En Décembre 1994, une majorité de camarades parmi les militants de CouC a conclu une réflexion menée depuis plus de deux ans en décidant d'arrêter la publication de la revue, près de vingt ans après sa constitution . Cette décision correspond au sentiment profond que le cycle ouvert en 1976 s'est achevé. Certains camarades de CouC n'ont pas partagé cette analyse et s'en expliquent dans ce même numéro. Nous devons à nos lecteurs et sympathisants une explication et un historique de notre argumentation.
1- Aux origines.
La constitution de CouC en 1976 s'inscrivait dans un projet précis : fonder les positions générales du mouvement révolutionnaire actuel sur le "retour à Marx". Sous cette formule, il s'agit de renouer avec la tradition du socialisme scientifique, de trouver les leçons de l'action du parti afin d'éclairer les problèmes d'aujourd'hui et l'activité de demain. Dans cette tâche, la Gauche Communiste d'Italie était considérée comme le courant ayant su le plus fidèlement assurer la continuité du programme communiste depuis la faillite de la III° Internationale. Le point de départ de CouC est certes de restaurer le programme communiste, comme le dit la Gauche, mais aussi de comprendre les discontinuités éventuelles entre le 19° et le 20° siècle, sur le plan politique et tactique.
Il faut cependant rappeler que :
a) "fonder les positions générales du mouvement révolutionnaire" supposait un affrontement théorique sans concession avec toutes les déviations affichées par ce mouvement en général, et par certaines de ses composantes en particulier (comme par exemple la théorie de la décadence, l'analyse des crises, etc.)
b) les limites historiques de la Gauche étaient d'emblée soulignées (cf. CouC N°1), dans une critique qui reprenait, en la développant, celle entamée par la revue "Invariance" (1966-1969). De ce point de vue, le Groupe Communiste Mondial qui avait affiché formellement une volonté de "retour à Marx" ne pouvait pas être considéré comme un cadre adéquat. Le décalage profond entre les intentions affichées et les résultats du travail théorique, ainsi que le fonctionnement réel, proche de la secte, de ce groupe, le déconsidéraient définitivement pour cette tâche. La revue "Communisme ou Civilisation" est née à la suite d'une scission d'avec ce groupe. Le cycle de CouC.
L'analyse que nous faisons aujourd'hui est que le travail de "retour à Marx", qui fut fécond, a accompli son office, mais en déstabilisant ce qu'il prétendait fonder. En d'autres termes, il s'est introduit un décalage croissant entre les résultats de l'approfondissement du travail de "restauration théorique" à partir de Marx, et les positions théoriques et politiques de départ.
En 1976, CouC hérite pour une bonne part de positions propres au milieu révolutionnaire, pour qui la guerre de 1914 ouvre des changements économiques et politiques tels qu'il convient de dépasser l'action du mouvement ouvrier du "19° siècle". Bon nombre de sectes du milieu révolutionnaire où baigne CouC font même de ces positions une caractéristique du communisme révolutionnaire moderne. Les "frontières de classe" du CCI sont un bon exemple d'un tel point de vue. Invariance elle-même, se posant pourtant en héritière de la Gauche, n'a-t-elle pas admis l'intégration des syndicats ? n'a-t-elle pas jugé positivement certains aspects de la Gauche allemande (cf. N°s 6 et 7 de la première série) ?
La démarche de CouC à l'époque vise donc à comprendre comment le parti a analysé la situation au 19° siècle, époque où le moment théorico-pratique a été le plus élevé, pour en saisir aussi le côté caduc. Cependant, ce n'est pas en reprenant de pseudo-théories comme celle de la décadence que CouC compte accomplir cette tâche, mais en s'appuyant sur l'oeuvre scientifique de Marx et Engels.
Le concept de périodisation en phase formelle/phase réelle restauré par Invariance ouvre notamment cette possibilité. En fait, premier pas vers ce retour à Marx, CouC parle de phase de soumission formelle et phase de soumission réelle du travail au capital là où Invariance parle de domination formelle/réelle du capital. Mais il ne s'agit encore que d'une rupture dans les mots plutôt que dans les concepts.
CouC a également des critiques de son cru. Ainsi en est-il de la question philosophique où ses conceptions s'inspirent d'une tradition qui remonte à Lukàcs (celui d'"Histoire et Conscience de classe") et qui plus généralement figure dans la panoplie philosophique de "l'ultra-gauche".
Beaucoup d'aspects ont encore besoin d'être fondés. En attendant, CouC reprend le cadre de référence donné par le n°6 d'Invariance première série (1969). Ce dernier ne traite pas de tous les sujets nécessaires pour une première délimitation. La rédaction des "Thèses complémentaires", parues dans le N°1 de la revue en 1976 n'a pas d'autre origine. D'une manière plus générale CouC se revendique de la Gauche Communiste d'Italie, là aussi en continuité avec Invariance. CouC veut en incarner l'esprit véritable, l'essence, au delà du rabâchage formel et de la dégénerescence réelle des représentants plus "officiels". Mais CouC a poursuivi la relativisation de la gauche comme il relativise Invariance elle-même. Des conceptions erronées de CouC qui sont autant de différences vis-à-vis de la Gauche en passant par les échecs évidents de cette dernière (la question des crises ou du parti par exemple) l'éventail des divergences est large. Quant au concept même "d'invariance de la théorie", quel que soit sa validité, il est là pour couper court à un débat qu'on ne veut pas engager, tout en montrant la relation avec la gauche d'Italie. Il est à lui seul suffisamment fort pour donner une tonalité et une vision générale des réponses que pourrait faire CouC sur tel ou tel sujet et donc du même coup dispense CouC de prise de positions sur ce qu'elle ne veut ou ne peut pas aborder.
Dans un splendide isolement sectaire CouC entreprend une tâche qui va la rattraper : le retour à Marx. En effet, avant de pouvoir fonder de quelconques nouvelles positions ce sont les positions de départ de CouC qui sont rapidement minées. L'idée d'une différence de pensée véritable entre Marx et Engels, idée souvent colportée dans les milieux ultra-gauche comme staliniens (Althusser, par exemple, en a fait un de ses chevaux de bataille) ne repose sur rien. CouC capitule donc sur la question philosophique. Quand CouC avance dans certains domaines c'est pour mieux s'approprier et comprendre le socialisme scientifique. Dès qu'elle pose des pierres qui ne sont pas dans le cadre de cet édifice la ruine survient rapidement (par exemple la question syndicale). Deux séries de travaux vont aboutir à une conclusion qui s'insinue toujours plus dans CouC et qui rend caduc son projet original. Il s'agit de la périodisation du capital et de l'histoire du mouvement prolétarien.
La première étude montre que les formes les plus modernes du mode de production capitaliste sont présente dès la première moitié du XIXè siècle. La seconde étude met notamment à jour les positions de Marx et Engels sur les questions essentielles du mouvement ouvrier mais se révèle incapable de montrer sur quoi porteraient les différences dans la période actuelle. Il s'ensuit une tendance à éluder, à reporter à plus tard, à différer, aussi bien les réponses que les problèmes soulevés. Tout le mouvement révolutionnaire (qu'il s'agisse de la seconde ou de la troisième internationale ou de ses héritiers, en l'occurrence le milieu révolutionnaire) vit depuis près d'un siècle avec l'idée que le capitalisme contemporain s'est transformé vers le tournant du siècle et a fortiori avec la guerre de 1914 qui scelle dramatiquement ces métamorphoses. CouC était aussi l'héritier de tels présupposés. L'étude sur le mouvement ouvrier avait pour but de montrer, en restant sur les bases du socialisme scientifique, en quoi consistaient les positions de Marx et Engels ; de montrer en quoi elles étaient valides à leur époque et sur quelles bases on pouvait fonder les discontinuités.
Ce dernier objectif, pour autant qu'il soit indépendant des deux premiers, ne sera jamais atteint. Et pour cause ! Comme, parallèlement, le rend toujours plus évident la compréhension de la périodisation du capital, une telle coupure ne peut être fondée sur l'analyse de la base matérielle de la société. Les concepts de phase de soumission formelle et de phase de soumission réelle du travail au capital se révèlent les concepts scientifiques les plus riches pour la compréhension du monde moderne et on peut facilement démontrer que nous ne sommes pas sortis de la phase de soumission réelle du travail au capital. Le concept de phase de soumission réelle ne dispense pas pour autant d'étudier l'histoire, et la phase réelle a elle-même une histoire.
Lorsque les décalages étaient trop criants, nous avons pu expliciter les changements de position, par exemple sur la question philosophique en réaffirmant la validité des positions d'Engels dans "Dialectique de la nature" contre la critique de Lukàcs. En revanche, il est honnête de reconnaître ici que bien plus souvent, le débat et ses conclusions ont été esquivés, qu'il s'agisse de la "question syndicale" ou de la "question nationale" pour ne citer que ces deux points. Plus exactement des fondements théoriques ont été restaurés, sans que les conclusions politiques en soient toujours tirées, ce qui n'empêchait pas ceux qui savaient lire de les tirer eux-mêmes (cf. l'échange critique avec la CWO sur les questions de la valeur à l'échelle internationale dans CouC N°21. Novembre 1986 pp.42-46).
De nombreuses années de travail poussent dans cette direction que les autres travaux vérifient. Chaque fois que nous sommes allés dans le sens de Marx et Engels, nous avons progressé ; à l'inverse, chaque erreur d'interprétation ou conclusion insuffisamment fondée a tourné à notre confusion. Or, il n'y pas seulement une dimension théorique interne à CouC. Dans le même temps, la réalité du développement du mode de production capitaliste venait poser certains problèmes qui sont à chaque fois mille confirmations de la théorie de Marx, mais viennent mettre à mal les interprétations des épigones, quels qu'il soient, c'est-à-dire toutes les composantes du milieu révolutionnaire actuel. Le réveil de l'histoire de l'Europe allait précipiter cette évolution en rendant évidente la faillite de l'idéologie ultra-gauche et plus généralement de ce qui est la marque du milieu révolutionnaire toutes tendances confondues. La réunification démocratique de l'Allemagne, la guerre dans les Balkans, l'effondrement du "socialisme" ont ouvert autant de gouffres qui sont le tombeau de ces idéologies. A contrario, elles signent une nouvelle victoire sans appel du socialisme scientifique. La rencontre des deux phénomènes : la réappropriation théorique opérée par CouC et le mouvement de l'histoire réelle a abouti à la conclusion actuelle : le cycle entamé en 1976 est clos. Sur la base des résultats obtenus, il est possible de continuer un travail d'appropriation et de développement théorique des positions révolutionnaires, dégagé de l'ambiguïté initiale et encore plus résolument tourné vers la continuité théorico-pratique par rapport à l'uvre de Marx-Engels.
Du même coup, notre degré de rupture avec le milieu révolutionnaire issu de la III° Internationale, est d'autant plus grand. Toutes les tentatives de prouver une discontinuité dans les phénomènes historiques, discontinuité qui justifierait des modifications des fondements théoriques élaborés par Marx et Engels, ont échoué. Le travail théorique à accomplir est immense, il s'agit d'analyser un siècle de développement historique sans le recours aux artefacts commodes ayant eu cours dans la période post-révolutionnaire (celle des années 1920).
Pour affirmer cette rupture, il faut changer le nom et proclamer la fin de "Communisme ou Civilisation".
3°- Milieu révolutionnaire et mouvement réel.
D'une certaine manière, deux éléments fondamentaux caractérisent le milieu révolutionnaire actuel, et plus généralement tous les courants issus de la faillite de la III° Internationale :
a) L'idée que le mode de production capitaliste avait achevé sa course, ce qui se traduit par toute une gamme d'explications théoriques basée sur une périodisation erronée de ce mode de production (ascendance/décadence pour les luxembourgistes type CCI, phase impérialiste pour les léninistes et la Gauche d'Italie, capitalisme agonisant, pourrissant, etc. en général).
b) L'idée que la faillite de la III° Internationale est dûe essentiellement à des erreurs tactiques, et que le mouvement doit rompre avec les expressions anciennes (parlementarisme, syndicats, démocratie etc.)
A cela s'ajoute, de manière plus générale, une sclérose totale de la théorie, et un mépris constant du travail théorique, qui se traduit pour les uns par sa négation pure et simple, pour les autres par le postulat que la théorie révolutionnaire est close et définitivement restaurée, et qu'il suffit de mettre au point une nouvelle tactique. Or, si la théorie communiste mérite bien le nom de scientifique, c'est qu'elle demeure la seule, contre toute les théories et disciplines de la science bourgeoise, capable de comprendre le monde dans la perspective de sa transformation révolutionnaire. Encore faut-il le vouloir et fournir l'effort nécessaire.
La caricature de cet abandon de la fonction révolutionnaire de la théorie demeure sans doute le CCI, qui a certes compris la fonction révolutionnaire...du traitement de texte. Il suffit, systématiquement de remplacer "Ethiopie" par "Rwanda" ou "ex-URSS" et de faire suivre par "produit de la décomposition du capitalisme" pour produire à volonté n numéros de "Révolution Internationale". De ce puissant instrument de critique de la réalité qu'est la théorie communiste, il ne reste rien. De ce point de vue, lancé depuis longtemps sur l'orbite de la répétition du même, victime d'une sorte de maladie d'Alzheimer de la théorie révolutionnaire, le CCI est imperméable à toute analyse un tant soit peu critique de la réalité, qu'il ne voit plus qu'à travers ses lunettes déformantes.
Cependant, le milieu révolutionnaire dans son ensemble ne peut échapper à la conscience de sa propre faillite ; il lui manque simplement la lucidité et le courage pour en tirer les conclusions nécessaires.
Parfois affleurent, dans la presse du milieu, des doutes, mais qui ne sont en rien exploités. Par exemple dans sa livraison N°13, de 1995, la "Communist Workers Organisation" écrit :
"Même le capitalisme décadent, qui détruit la planète de nombreuses manières, peut produire quelque chose de potentiellement positif pour l'humanité comme un tout"
Mais c'est pour conclure immédiatement en-dessous (avec une curieuse référence à d'éventuelles protestations du CCI, comme s'il s'agissait de ne pas chagriner ce dernier) :
"Il ne fait aucun doute que ces camarades (ceux du CCI NDR) nieront ceci sur la base du fait qu'il n'y a rien de positif dans le capitalisme du 20° siècle. Cependant, comme nous le disons dans "Les bases matérielles de la guerre", reconnaître qu'il y a eu une croissance économique depuis 1914 n'est pas dire que le capitalisme aujourd'hui est historiquement progressif..." (id.)
Autrement dit, le mode de production capitaliste continue de développer les bases matérielles du communisme (à l'exemple, juste, de la CWO sur le développement des télécommunications, on pourrait ajouter le phénomène, beaucoup plus général, du minage du temps de travail nécessaire, conformément aux prévisions de Marx), mais ceci n'a rien de progressif, ni de positif pour le prolétariat. Comprenne qui peut !
A propos, justement, du problème du temps de travail, les "Cahiers du marxisme vivant" consacrent André Gorz, sociologue réactionnaire dont nous avons déjà critiqué les écrits dans la RIMC N° 4 , comme représentant d'un "nouvel utopisme", dans lequel on peut voir un "signe des temps". Or, si l'utopisme, celui de Fourier, d'Owen était effectivement, sous une forme encore immature, le signe annonciateur de la véritable critique de la société capitaliste effectuée scientifiquement par Marx et Engels, les "propositions" des Gorz et autres courants syndicalo-humanistes ne sont qu'un énième avatar du réformisme des plus crapuleux.
Dans le même article (intitulé "Quel Avenir ?"), les "Cahiers" relèvent fort justement que "contrairement à ce que prétendent les théoriciens du déclin des forces de production, le capitalisme ne cesse de s'étendre", et saluent comme un phénomène "révolutionnaire" (les guillements sont des Cahiers) la jonction des aires euro-américaines et de l'aire dite du Tiers-Monde, dans le même mouvement d'expansion des forces productives capitalistes. Sans en tirer toutefois des conclusions quant aux perspectives révolutionnaires, autres qu'un prudent aggiornamento qui repousse la "formation d'une masse révolutionnaire (Marx-Engels) et d'un "parti résolument anti-capitaliste" (Cahiers) à "plusieurs années". Or, un tel phénomène conditionne également l'analyse produite par Communisme ou Civilisation, et notamment induit une réflexion sur la forme que doit prendre aujourd'hui l'activité révolutionnaire, que nous exposons plus loin dans le point 4.
Le PCI-Programme Communiste, quant à lui, se livre à des contorsions sur la prévision, dans son numéro daté de Mai 1995. Reprenant une étude d'économistes américains, ce qui est décidément une manie , le PCI ne prévoit pas de risque de guerre mondiale avant 25 ans, soit l'année 2020. Ceci paraît tout à fait plausible, car la phase actuelle correspond à un redéploiement des rapports de force entre les grandes puissances impérialistes, et ce redéploiement prendra nécessairement du temps (sans doute effectivement celui d'une génération), avant d'amener les contradictions à un point si aigu que se reposera la question de la guerre mondiale et celle de la révolution communiste. En attendant c'est le PCI lui-même qui fait étalage de contradictions insolubles.
D'un côté en effet, le PCI reconnaît que c'est grâce à son dynamisme économique, et notamment celui de l'Allemagne et du Japon, que le MPC en arrive à la perspective d'un inévitable nouveau partage impérialiste à l'échelle mondiale. Mais d'un autre côté, on affirme avoir eu raison de voir dans la formule d'Eisenhower qui promettait, en 1954, "40 ans de paix froide", la perspective "d'un régime en putréfaction, incapable de rien offrir d'autre que la prolongation exténuante de sa crise, et cependant encore assez fort pour penser pouvoir s'accorder quarante ans de purulente agonie." Voici donc que, alors même que au contraire d'une agonie, le MPC a su montrer sa vitalité, le PCI affirme en 1995 avoir eu raison dans ce commentaire de 1954, tout en reconnaissant aujourd'hui que "le régime bourgeois a fait la démonstration de sa capacité à résister à sa propre crise". (p.2)
Par ailleurs le PCI affirme : "Il n'y a plus maintenant de possibilité d'une expansion économique consistante, dont bénéficierait (sic!) tous les pays capitalistes, comme c'était le cas de celle d'il y a trente ou quarante ans" (p.3, soul. par nous). Donc, il y a trente ou quarante ans le capital pouvait s'offrir une "expansion économique consistante", depuis le lit même de sa "purulente agonie". A défaut de bouleverser la science, voici qui intéressera certainement la psychiatrie ou la neurologie (Alzheimer, toujours !) !
On retrouve les mêmes incohérences en ce qui concerne la guerre. Le PCI souligne que "pour le capitalisme international, seule une guerre mondiale peut donner les conditions d'une reprise à grande échelle du cycle productif" (p.10), autrement dit, il s'agit là d'une perspective future, et d'une menace, pour le prolétariat et l'humanité. Mais quelques lignes plus loin, on peut lire ceci : "l'effondrement de l'URSS, en donnant un coup d'envoi à une (sic!) nouveau partage du marché mondial, donne en même temps une sérieuse bouffée d'oxygène au capitalisme mondial, un délai supplémentaire d'une à deux décennies avant les échéances fatales." (p.11). Par conséquent, le capitalisme mondial est capable d'obtenir sans guerre ce que par ailleurs il ne saurait réaliser que par le truchement de la guerre mondiale.
En fait, le PCI est incapable d'aller jusqu'au bout des critiques qu'il induit lui-même à sa propre théorie. D'un côté on conserve des arguments éculés sur la crise permanente du capitalisme, sur la prévision etc. d'un autre côté, la réalité historique elle-même force à formuler de nouveaux éléments, des doutes, mais ceux-ci sont simplement juxtaposés à l'argumentation antérieure, générant ainsi cet invraisemblable capharnaüm théorique.
De son côté, Perspective Internationaliste poursuit (cf. N°28, Mai 95) en grande partie une dérive que nous avions commenté dans notre numéro 22. La mention "Fraction Externe du Courant Communiste International" a disparu, consacrant ainsi une évolution inéluctable, mais PI n'en clarifie pas pour autant ses positions, qui semblent faire l'enjeu d'un débat interne dont le détail ne nous est pas livré. Entre un rejet pur et simple de la perspective communiste, qui semble tenter certains éléments en filigrane, et la réaffirmation du programme communiste, mais mal compris, encore mal dégagé du passif (théorie de la décadence), il reste à la ex (?)- FECCI un effort à faire pour se montrer vraiment révolutionnaire.
Plus récemment, on peut observer des interrogations chez "Mouvement Communiste" sur les limites de l'activité révolutionnaire, et même une inconstance dans l'invariance qui stupéfie chez ces sourcilleux gardiens du temple que sont les militants de "Programme de la Société Communiste".
Il est souvent revenu à Communisme ou Civilisation de faire avancer, de manière souterraine, la compréhension du mouvement révolutionnaire. Nous avons pu noter que des éléments de "restauration" importants comme par exemple la périodisation, la dialectique du parti historique et du parti formel, etc. sur lesquels nous avons particulièrement insisté "diffusaient" dans le milieu, où ils étaient parfois partiellement repris, mais sans forcément une grande cohérence. En même temps, nous précisons : de manière "souterraine", car cette influence est toujours restée diffuse, discrète, nous-même n'ayant pas pour ligne de conduite de participer à des "débats" bruyants, des conférences, etc. et préférant agir sur le plan de la seule défense de la théorie. Nos contributions ont d'ailleurs rarement fait l'objet de confrontations sérieuses, (écartons ici d'emblée l'absurde "travail" du Groupe Communiste Mondial et sa fixation paranoïaque sur CouC).
Le mouvement révolutionnaire actuel est en fait toujours moins capable de mener à bien les tâches de l'époque. Il a joué et continue de jouer un rôle de diffusion et de défense des idées générales du communisme révolutionnaire et internationaliste, mais il est chaque jour moins capable d'un effort théorique qui par bien des côtés détruirait la coquille ossifiée et desséchée dans laquelle il a enfermé la théorie révolutionnaire. Dans toutes ses composantes, donc y compris nous-mêmes, le milieu a également subi les coups de bâtons que lui a administré l'histoire. Une partie du milieu a ainsi sombré, une autre ne s'est maintenue qu'en glissant dans des conceptions toujours plus fantasmagoriques. On peut donc constater objectivement que le milieu est exsangue. De nombreuses expressions fragmentaires de celui-ci ont disparu (UP, Alarme, l'Aube, etc.), d'autres sont en crise ou muettes (FECCI, FCI,), et ceux qui se maintiennent le font au prix d'un abâtardissement considérable de la réflexion, (même si le niveau de départ n'était déjà pas brillant) (CCI, bordiguistes). De plus, certaines cristallisations attendues dans d'autres aires au cours des années 1980 se sont révélées précaires (Argentine, Inde, Iran, Japon etc.). De fait le milieu ne s'est donné aucun outil pour affronter la situation actuelle sur le plan théorique et ne peut que ressasser des vieilles formules toujours plus inadéquates. La seule réaction saine et attitude finalement cohérente est la nôtre, qui est celle de la défense inconditionnelle du socialisme scientifique. Sans donc renoncer à jouer un rôle dans et avec le milieu, sans en modifier fondamentalement la définition, nous devons constater que les faits nous poussent à prendre une distance encore plus grande avec le milieu ou ce qu'il en reste. Nous ne renonçons pas pour autant à une attitude refusant le sectarisme et nous nous efforçons de mettre en avant les points communs favorisant l'unité des forces prolétariennes.
C'est toujours dans le souci de la rigueur révolutionnaire, dans le respect de la théorie communiste conçue comme totalité, dans l'affrontement sans concessions avec les idées reçues et les compromis d'où qu'ils viennent et a fortiori du mouvement communiste que nous continuerons notre travail de militants communistes.
4°- Le devenir du travail révolutionnaire dans le cycle de la contre-révolution.
Nous avons toujours soutenu la position selon laquelle, en phase de contre-révolution il ne servait à rien de singer l'existence d'un parti révolutionnaire ou même de groupes. Nous avons toujours affirmé que CouC n'était pas un groupe et ne se fixait pas comme cadre d'être un pôle de regroupement de révolutionnaires, mais une expression théorique du travail de "restauration" du programme communiste. Aujourd'hui, l'approfondissement même de la contre-révolution, sa durée exceptionnelle obligent même à reconsidérer la forme dans laquelle doit se faire la continuation de l'activité, qui, plus que jamais, ne peut que se situer sur le terrain de la théorie et lui seul.
Le problème politique qui est posé aux générations actuelles du parti communiste au sens historique est double. D'une part un effort scientifique important pour renouer le mieux possible avec la tradition du socialisme scientifique. D'autre part un effort de transmission de ce dernier qui transcende les générations existantes. Tous ces facteurs conduisent à penser que la forme "livre", contrairement à la forme "revue" (qui exprimait elle-même une adéquation par rapport à la nature contre-révolutionnaire de la période) devient plus appropriée pour continuer notre activité . Cette attitude est conforme à celle de Marx et Engels qui, pour une période contre-révolutionaire moins sombre que celle actuelle, se posaient la question d'un passage de la forme revue à la forme livre si les difficultés perduraient après l'écrasement de la révolution de 1848.
"Pour l'heure, l'essentiel, c'est que nous ayons la possibilité de nous faire imprimer, soit dans une revue trimestrielle dans laquelle nous attaquerons directement et où nous assurerons nos positions face aux personnes, soit dans de gros ouvrages, où nous pourrons faire la même chose, sans avoir besoin même de mentionner l'un quelconque de ces cafards. L'une comme l'autre de ces solutions me convient ; encore qu'il me semble que si la réaction tend à se renforcer, la première éventualité s'avérera moins sûre à la longue, et la seconde constituera de plus en plus la seule ressource sur laquelle nous devrons nous rabattre."
(Engels à Marx, 13 Février 1851)
Notons toutefois ici que cette solution de repli est envisagée alors même que la prévision d'une crise révolutionnaire pour 1852 est maintenue. D'autre part, les "personnes" et "cafards" dont il est question sont les membres de "l'émigration", c'est-à-dire du "milieu révolutionnaire" au sens actuel, comme le montre cette autre citation extraite d'une lettre de la même période.
"On s'aperçoit de plus en plus que l'émigration est une institution qui transforme chacun en fou, âne ou fripouille. Il faut donc s'en tenir à l'écart, et se contenter d'écrire en toute indépendance, se moquant même comme d'une guigne du prétendu parti révolutionnaire."
(Engels à Marx 12 Février 1851)
Ainsi, dans la première citation, la revue s'adresse encore directement au "milieu" (pour l'insulter !), et le livre non.
Le travail de défense du programme communiste se poursuivra donc, dans les années à venir, sous la forme de la publication d'ouvrages. D'ores et déjà 4 thèmes ont été retenus, à paraître dans les prochaines années. Il s'agira pour une part de rassembler tous les matériaux parus depuis 20 ans dans CouC et qui ne sont pas ou plus accessibles (notamment justement à cause de la forme revue), d'autre part d'épurer ces matériaux en les confrontant à la rigueur du communisme scientifique. Les thèmes sur lesquels nous travaillerons en priorité sont les suivants :
Par ailleurs, il existe un devoir absolu de conservation, diffusion, défense du patrimoine révolutionnaire. L'effort que le milieu n'a jamais fait de façon systématique depuis des années doit être repris. Nous saluons l'initiative de la section de Schio qui propose de numériser de manière systématique tous les textes de la Gauche. Sans sombrer dans la loghorrée grandiloquente de la bourgeoisie et des médias par rapport à un phénomène comme Internet, par exemple, il est dommage que le milieu ne se préoccupe pas plus d'investir cet outil qui a comme premier mérite d'être international.
Nos ouvrages, conformément à la règle qu'avait édictée la Gauche, ne seront pas signés individuellement, car ils sont le fruit d'une collectivité de travail anonyme qui se situe au-delà des générations. Nous ne les signerons pas non plus d'un nom de parti ou de groupe, ce qui n'aurait aucun sens. Nous utiliserons, pour nous identifier clairement comme militants communistes, le pseudonyme collectif de Robin Goodfellow, la "vieille taupe" de Marx. La question a été posée de savoir s'il fallait éditer ces ouvrages chez des éditeurs bourgeois ou si cela constituait un obstacle rédhibitoire. En fait, nous considérons qu'il n'y a aucune objection à le faire, à condition bien sûr de conserver la maîtrise totale des titres, du contenu, des préfaces, etc. Il est donc peu probable que l'un de ces éditeurs souhaite nous publier. Mais si cela devait être le cas, nous le ferions plus volontiers, étant assurés ainsi d'une diffusion cohérente.
Nous savons que le chemin ainsi emprunté est dur, long et ingrat. Nous savons aussi qu'il suscitera, dans le camp des philistins, incompréhensions, sarcasmes, insultes, et affirmations triomphantes. Nous nous en moquons car ces philistins ont déjà sombré dans le dérisoire et se trouvent dans une impasse absolue. Si au contraire, pour quelques-uns, la voie que nous choisissons est juste, leur participation sera bienvenue.
Robin Goodfellow. Février 1998.