3. LES THEORIES DES CRISES DE GROSSMANN-MATTICK ET LE PROGRAMME COMMUNISTE (suite)
 
 

Dans le N°7 de la RIMC, nous avons commencé une analyse critique des théories de Grossmann qui sont à la base des conceptions du BIPR (CWO-Battaglia Comunista). Nous avons étudié la conception générale de Grossmann qui, à partir des schémas d'Otto Bauer modélisait les perspectives de l'accumulation capitaliste. Selon Grossmann, le mode de production capitaliste courait à l'effondrement. Ce qui signifiait pour lui une crise mortelle résultant de l'insuffisance de la plus-value en regard d'une accumulation boulimique.

Nous avons démontré comment Grossmann s'armait de colles et de ciseaux, de gommes et de crayons pour falsifier, tronquer, truquer réécrire, afin de faire cadrer ses vues avec les écrits de Marx A chaque pas, Grossmann, dont les conceptions s'apparentent à celles de Ricardo, entre en contradiction avec Marx. Ce dernier fait explique sans doute qu'il connaît un succès important auprès de Battaglia Comunista et de la CWO regroupés au sein du BIPR.

3.4. Grossmann et le cycle industriel

La théorie de Grossmann, comme nous l'avons montré repose sur le sable et n'est que poudre aux yeux. En liant l'accumulation du capital au volume du capital déjà accumulé et tout particulièrement du capital constant, il crée une pénurie artificielle de plus-value. Il introduit notamment une contradiction dans la théorie de Marx en prétendant que la baisse du taux de profit et l'augmentation du taux d'accumulation vont de pair alors que Marx soutient explicitement l'inverse. Pour Grossmann c'est le début d'un long calvaire. Les contradictions les plus criantes avec la théorie doivent être gommées et les autres doivent être expliquées à toute force ce qui conduit Grossmann à des acrobaties théoriques pitoyables. Si Grossmann n'hésite pas à falsifier Marx, à le réécrire, il n'hésite pas non plus à employer un énorme chausse-pied, pour faire entrer la théorie de Marx, beaucoup plus vaste, dans la chaussure à clous étriquée qu'il fabrique, quitte à amputer tout ce qui pourrait dépasser et meurtrir le reste.

Grossmann ne peut esquiver, notamment, le fait que les crises aient, chez Marx, un caractère cyclique. Toute sa vie Marx chercha à en déterminer ou approfondir les fondements. La valorisation du capital est chez Grossmann une affaire réversible. Il ne s'agit pas de l'essence d'un mode de production particulier, c'est-à-dire le mode de production capitaliste, mais d'une opération économique qui peut revêtir des sens différents.

Pour Marx elle est le symbole de la valeur parvenue à l'autonomie, de la valeur qui cherche à s’accroître d'un maximum de survaleur, de plus-value. Cela suppose l'existence du travailleur libre, de l'ouvrier salarié qui en vendant sa force de travail aliène la capacité de celle-ci à produire une valeur extra au capitaliste qui personnifie le capital. Pour Grossmann l'affaire est beaucoup plus simple ou complexe, comme l'on voudra. Ne s'imagine t-il pas que, quand le capitalisme entre en crise - crise établie selon son point de vue (nous avons montré qu'il s'agissait de crises imaginaires)- c'est parce qu'il apporterait ses bienfaits aux ouvriers tout en réduisant les intérêts de la classe capitaliste à zéro. Dans son exemple, Grossmann en arrive à la conclusion que, en faisant dérouler son schéma, à un certain moment (pour lui la 35° année), la consommation de la classe capitaliste tombe à zéro et donc celle-ci n'a plus aucun intérêt à accumuler.

Le mécanisme de l'exploitation, est ainsi relégué au second plan au bénéfice de celui de la distribution. Si nous nous représentons le mode de production capitaliste dans sa forme la plus pure, où la valeur-capital exploiterait le prolétariat sans la moindre dépense de plus-value pour entretenir la classe capitaliste, ou sans que la classe capitaliste ne consomme de plus-value, bref en n'admettant que le capital n'ait en face de lui que du travail salarié productif et que le capital soit constitué uniquement de capital industriel engagé dans les diverses sphères de la production de plus-value, nous serions alors dans les conditions où le capital qui vise à la recherche du maximum de plus-value, à l'accumulation pour l'accumulation s'exprimant sans facteurs médiateurs serait, pour Grosmann le socialisme réalisé. La classe capitaliste n'existant pas ou étant réduite à une fonction productive de direction et de coordination du travail social elle n'obtiendrait aucune part de la plus -value ; les seuls revenus venant du salaire. Ce qui revient à dire que pour Grossmmann les salariés bénéficieront des fruits du système de production alors que l'exploitation y serait portée au maximum, la tendance immanente du capital, la recherche du maximum de survaleur, l'accumulation pour l'accumulation de valeur extra supplémentaire y étant réalisée. Belle conception que celle de Grossmann qui s'imagine que le mode de production capitaliste, l'existence de la valeur autonome et du salariat pourrait aller de pair avec l'émancipation du travail alors que le communisme implique la disparition de ces catégories. Si le communisme de Marx vise à la société sans Etat, sans classe et sans argent, la société de l'avenir de Grossmann est l'esclavage salarié surveillé par l'Etat.

Nous avions vu que pour Grossmann, la "crise" se présentait sous la forme d'une disproportion imaginaire ou une surproduction imaginaire de capital constant faisait face à une imaginaire force de travail inemployée.

Puis Grossmann cite Marx. Dans l'extrait cité il ressort (et ce point de vue est répété en bien d'autres endroits), que la surproduction concerne l'ensemble du capital social, c'est-à-dire aussi bien les moyens de production que les moyens de consommation, le secteur I que le secteur II et plus généralement l'ensemble des branches du capital social. Marx parle d'une "baisse du degré" d'exploitation de la force de travail avec pour conséquence une baisse brutale du taux de profit. Il s'ensuit une paralysie du processus de production, une crise dont la manifestation et la solution reposent sur la dévalorisation brutale (baisse des prix, destruction, etc.) du capital existant.

"Cette baisse du taux de profit dans la phase de suraccumulation diffère, cependant, de la baisse du taux de profit dans l'état initial de l'accumulation du capital. La baisse du taux de profit en elle-même constitue un phénomène qui accompagne constamment l'accumulation au cours de ses phases successives, y compris les premières phases de celle-ci, c'est-à-dire celles pendant lesquelles s'accumule une masse croissante de profit et dans celles où cela se produit en liaison avec la croissance de la partie k, destinée à la consommation de la classe capitaliste. (Nous laissons ici de coté les parts ac et av de la plus-value destinées à l'accumulation)"

(Grossmann - La loi de l'accumulation et de l'effondrement du système capitaliste. Ed. Siglo XXI P.83. Traduit de l'espagnol par CouC)

Après avoir ainsi crée de toutes pièces une surproduction, (encore n'est-elle que partielle), Grossmann continue à se débattre dans d'inextricables contradictions. La baisse du taux de profit est permanente dans le schéma. En aucun cas elle ne prend de caractère brutal. Grossmann en vient même à se poser la question de savoir à quel niveau la baisse du taux de profit se traduit-elle par une crise ? Question qui est le pont aux ânes de toute l'économie politique marxiste. De Grossmann à Tougan-Baranovsky, du CCI en passant par Chaulieu-Castoriadis, qui ne l'a pas posée dans une forme aussi vulgaire ? La "solution" de Grossmann consiste à fonder la crise sur l'apparition d'un point de rupture qui correspond dans sa représentation schématique au moment où la masse de plus-value devient insuffisante pour poursuivre l'accumulation sur les bases initiales définies. Pour d'autres, qui marquent une hostilité marquée à la théorie de la baisse du taux de profit, le CCI par exemple, on affirme qu'une situation de ce genre, c'est-à-dire l'existence d'un point particulier, "absolu", qui permettrait de tracer une ligne de démarcation entre la crise et l'accumulation et donc permettrait d'affirmer que la baisse du taux de profit induit une crise de surproduction, n'existe pas. Ils en concluent que la théorie de Marx est fausse ou insuffisante. Contre ceux qui la falsifient et ceux qui la nient la défense et l'approfondissement de la théorie révolutionnaire restent une tâche fondamentale du parti communiste.

Grossmann se trouve donc confronté à la théorie de Marx et à ses affirmations qui sont autant de démentis, à sa conception. Il se lance alors dans de nouvelles falsifications. S'il distingue justement la baisse du taux de profit qui intervient dans les crises, de la baisse du taux de profit qui accompagne l'accumulation, (il s'agit alors d'une baisse tendancielle), encore faudrait-il définir les conditions qui font que la baisse du taux de profit se traduise par une crise. Toute baisse du taux de profit n'est pas synonyme de crise. Mais inversement un niveau élevé du taux de profit ne met pas le capital à l'abri d'une crise de surproduction. Marx a en fait très bien défini dans quel cas la baisse (brutale ) du taux de profit était concomitante d'une crise de surproduction. C'est quand le "degré d'exploitation du travail baisse". Par conséquent, quand par rapport à la tendance du capital qui est l'élévation du degré d'exploitation du travail un retournement brutal de cette tendance apparaît, le taux de profit fléchit brusquement. C'est la crise. Ce phénomène pouvant intervenir à n'importe quel niveau du taux de profit, c'est donc un point "relatif" et non "absolu" au sens où on assimile la baisse du taux de profit, a un processus mécanique, ce qui impliquerait que des rapports de cause à effet identiques provoquent la même réaction au même moment.

La distinction de Grossmann n'est guère destinée à faire avancer la compréhension de la théorie de Marx, elle est plutôt là pour poignarder Marx. La distinction correcte aurait été de dire que la baisse brutale du taux de profit qui se manifeste au moment des crises et de la baisse tendancielle du taux de profit qui s'étend sur plusieurs cycles d'accumulation doivent être distinguées tout en montrant leurs connexions. En fait, après avoir esquivé le problème de la baisse brutale (aucun phénomène de ce genre n'intervient dans la perspective de Grossmann), voire l'avoir nié (cf. ci-dessus les positions de Grossmann sur l'existence de ce que nous appelons un "point absolu"), il lui faut justifier la baisse régulière du taux de profit qui accompagne l'accroissement du taux d'accumulation. Cette première contradiction a fait l'objet des falsifications que l'on a déjà décrites. Grossmann maintenant récidive. Il cite Marx en l'augmentant de commentaires de son cru.

"Mais, au-delà de certaines limites - dit Marx - (dans notre exemple nous désignions cette limite par r qui dans l'exemple schématique que nous présentons fait son apparition lors de la 21ème année de l'accumulation), la baisse de la partie k, destinée à la consommation de la classe capitaliste, et peu après, par la baisse des parties restantes de la plus-value destinée à l'accumulation. "La baisse du taux de profit serait accompagnée dans ce cas par une diminution de la masse absolue du profit (...) et la masse diminuée des profits devrait être calculée sur un capital total augmenté"

(op. cit. P.83,84)

Or, dans quelles conditions Marx se place-t-il ici ? Si nous nous reportons à la citation utilisée, supposée illustrer les propos de Grossmann nous ne pouvons que constater que Marx se situe dans un cas bien particulier, celui où la composition organique du capital ne subit pas de modifications du fait d'une modification dans sa composition technique, qu'il n'y a donc pas de progrès de la force productive du travail. Le cas envisagé par Marx s'efforce de montrer comment la baisse du taux de profit intervient. Pour ce faire, dans une perspective didactique, il neutralise le procès valorisation-dévalorisation. D'un point de vue théorique, nous sommes de fait ramenés à une phase dépassée du mode de production capitaliste, la phase de soumission formelle du travail au capital, quand le capital constant est faible et le capital variable développé, que le procès de valorisation repose sur la production de plus-value absolue. Marx n'envisage ici, pour bien faire comprendre le concept de suraccumulation, que la suraccumulation absolue telle qu'elle peut apparaître sans faire intervenir le procès valorisation-dévalorisation. Les modifications dans la composition organique et la baisse du taux d'exploitation résultent d'une hausse du salaire qui provoque une baisse sensible du taux de profit.

"Il y aurait aussi une baisse sensible et subite du taux général de profit, mais la cause en serait cette fois un changement dans la composition du capital, dû non pas au développement des forces productives, mais à une hausse dans la valeur monétaire du capital variable (en raison des salaires accrus) et à la diminution correspondante dans le rapport du surtravail au travail nécessaire"

(Marx. Capital Livre III. La Pléiade t.2 P.1034)

Cette perspective est toujours nette dans la citation de Marx reprise par Grossmann et qui figure 10 lignes sous celle que nous venons de citer. Mais Grossmann s'est empressé de la tronquer. "La baisse du taux de profit s'accompagnerait cette fois d'une diminution absolue de la masse du profit, [puisque dans les conditions que nous supposons, la masse de la force de travail employée et le taux de plus-value ne seraient pas accrus, si bien que la masse de plus-value ne pourrait pas non plus être augmentée](la partie tronquée par Grossmann est ici entre crochets). Et la masse de profit réduite serait à calculer sur un capital total accru"

(Marx op. cit. P.1034)(Souligné dans notre édition par Grossmann)

Comme on peut le voir, les conditions dans lesquelles s'appliquent une telle constatation, diminution de la masse du profit, sont particulièrement limitées. Elles correspondent à des hypothèses qui n'ont aucun rapport avec celles dans lesquelles Grossmann évolue. C'est-à-dire développement de la force productive du travail dont l'une des expressions est l'élévation de la composition organique du capital, le capital constant s'accroissant plus vite que le capital variable, et une augmentation de la force de travail en action sous l'influence de l'accumulation de la plus-value. Dans un tel cas de figure, quand la contradiction entre la valorisation et la dévalorisation du capital se réalise, quand le procès de valorisation repose sur la création de plus-value relative, quand le taux d'exploitation prospère sous l'effet non pas de l'allongement de la journée de travail (ce cas n'est pas nécessairement exclu pour autant) mais de l'abaissement de la valeur de la force de travail tandis que l'intensité du travail se développe parallèlement, nous sommes théoriquement dans le cadre de la phase de soumission réelle du travail au capital et la suraccumulation du capital ne résulte pas d'une hausse du salaire, le degré de la force productive demeurant inchangé.

Grossmann une nouvelle fois s'est mué en faussaire. Cela fait déjà deux fois que nous le prenons sur le fait, en flagrant délit de trucage. Ce n'est plus un "accident" mais une action systématique pour faire "coller" à toute force une interprétation erronée avec la théorie de Marx.

Bien que reposant elles-mêmes sur une mauvaise compréhension des conceptions de Marx, les déclarations de Mattick, disciple de Grossmann, sur la suraccumulation absolue montrent a contrario que nous sommes bien, avec les hypothèses retenues par Marx, dans un cadre complètement différent de celui retenu par Grossmann pour établir sa théorie des "crises".

"Selon lui (Martin Trottmann - un critique de Grossmann- NDR), Marx en parlant de suraccumulation absolue avait en tête une surproduction consécutive non à une valorisation imparfaite, mais à un manque de force de travail ayant comme conséquence d'élever les salaires et de faire baisser la plus-value. Cependant, le fait que dans les deux cas, le résultat final soit le même, à savoir la suspension de l'accumulation par suite d'un manque de profit, échappa à Trottmann. C'est cet état de choses que Marx voulait mettre en évidence, bien que son exemple soit boiteux et contredit toutes les données de l'expérience et jusqu'à la théorie marxienne de l'accumulation elle-même"

(Mattick, Crises et théories des crises Champ libre. p.87-88)

Mattick confirme ici que le cadre théorique considéré par Marx n'est pas le cadre habituel où Grossmann prétend évoluer. Dans la phase de soumission réelle il suffit que la suraccumulation soit relative pour que la crise soit manifeste. Il n'est pas nécessaire que le profit baisse absolument. Si ce cas se présente c'est que la crise est spécialement profonde. Quant à l'idée que cette crise est précédée d'une baisse de la consommation de la classe capitaliste, elle est dénuée de fondement. Là où Grossmann ne manque pas de culot c'est quand il prétend appuyer ses déductions théoriques sur des travaux empiriques qui démontrent l'inverse. Trois études, celle de Mitchell en 1927 pour les Etats-Unis, de Stamp (1918) pour l'Angleterre de 1880 à 1914 et de Lescure pour la France de 1874 à 1919 démontraient que le taux de profit croît de manière ininterrompue dans les périodes de prospérité pour connaître un déclin au moment des crises. Ces faits, loin d'aller dans le sens de Grossmann se retournent contre lui. Entre deux crises nous n'avons pas une baisse régulière du taux de profit comme la représentation schématique de Grossmann nous le présente mais une tendance à la hausse. La crise survenant plutôt à l'apogée du taux de profit et non à la fin d'une longue glissade, à son point le plus bas. Mais d'un cycle à l'autre, la moyenne des taux de profit du cycle aura tendance à baisser. C'est ce dernier phénomène que Marx décrit sous le concept de baisse tendancielle du taux de profit. A l'intérieur du cycle, la recherche du maximum de plus-value conduit à une élévation du taux de profit, qui s'achève par une nouvelle crise. Il manque plusieurs dimensions dans la conception de Grossmann. D'une part le taux de profit y baisse régulièrement, d'autre part la crise survient sans baisse brutale du taux de profit. Les conceptions théoriques sont manifestement en contradiction, à l'inverse de celles de Marx, avec les faits établis par les auteurs que nous avons cités, mais Grossmann n'est plus à un mensonge près. Par ailleurs, Grossmann ne peut ignorer que la théorie de Marx est aussi une théorie du cycle. Grossmann en vient donc naturellement à présenter sa conception comme représentative de la théorie du cycle industriel. La théorie marxienne du cycle économique et qui conçoit la valorisation croissante du capital social comme la cause décisive de l'accumulation du capital en même temps qu'elle attribue à la valorisation insuffisante le virage dans le sens de la crise, se sont entièrement confirmé par les recherches empiriques les plus récentes."(Grossmann P.84)

Nous avons vu ce qu'il fallait penser de la confrontation de la théorie de Grossmann avec les faits, voyons maintenant le cycle économique. Le cycle de Grossmann ne peut que se présenter ainsi. L'accumulation accélérée du capital liée à une baisse graduelle du taux de profit (ce qui est une contradiction théorique et démenti par les faits) laisse place à une tendance à l'effondrement. Grâce à une "dévalorisation" dont les modalités sont évidemment éludées (cf. CouC n¯) le capital se retrouve au niveau adéquat pour reprendre le chemin de l'accumulation. A un moment donné les mêmes problèmes vont se manifester, la tendance à l'effondrement s'affirmer à nouveau quand le capital accumulé est trop important. D'après Grossmann, nous avons là une théorie des crises, c'est-à-dire qu'il réintroduit ici le caractère cyclique des crises sans vouloir l'approfondir véritablement. En effet, pour Grossmann il ne peut s'agir que d'une suite de péripéties sur le chemin de la "crise ultime". La tendance fondamentale vers l'effondrement se décompose en une série de cycles, et cette tendance se présente périodiquement. Mais au-delà des vicissitudes, la tendance à l'effondrement est toujours plus présente et mène le capitalisme vers sa crise finale.

"De cette manière, la tendance à l'effondrement en tant que "tendance de base" naturelle du système capitaliste, se décompose en une série de cycles, en apparence indépendants, où la tendance à l'effondrement s'impose seulement périodiquement, une fois ou l'autre, de la même manière que le processus naturel de croissance de la laine des ovins est interrompu avec chaque tonte, pour recommencer ensuite. La théorie marxienne de l'effondrement constitue pour cela le présupposé et le fondement nécessaire de la théorie des crises, parce que la crise, selon Marx, représente seulement une tendance à l'effondrement momentanément interrompue et qui n'a pas atteint son plein développement, ou alors qui représente une déviation passagère de la ligne tendancielle suivie par le capitalisme.

Mais malgré toutes les interruptions périodiques et atténuations de la tendance à l'effondrement, avec le progrès de l'accumulation, le mécanisme global marche nécessairement vers sa fin, car avec la croissance absolue de l'accumulation du capital, la valorisation du capital devient toujours plus difficile. Si ces tendances contraires parvenaient à atténuer ou paralyser - l'exposé de ces tendances contraires et leur dynamique forme le contenu du troisième chapitre de ce livre - alors la tendance à l'effondrement acquiert une prédominance et s'impose dans sa validité absolue comme crise "ultime""(P 95)

La conception de Grossmann présentée par lui comme identique à celle de Marx est des plus vulgaires. Elle ressemble à la pratique des patriciens romains dans les orgies. Le capital s'accumule comme la nourriture au fond de l'estomac et à chaque bouchée il faut enfourner plus de nourriture. Quand le capital est suraccumulé, quand les dents du fond de notre patricien baignent, le capital connaît une profonde dévalorisation, notre romain se met alors les doigts au fond de la gorge et se précipite aux vespasiennes. Le plus grand silence entoure les modalités de cette dévalorisation (de ce point de vue il y a une différence avec le patricien qui vomit tout son content) Quels sont les rapports qui sont modifiés, dans quelles proportions ? Pourquoi le capital, étant donné la composition organique atteinte et les besoins en plus-value, peut-il connaître un nouveau cycle d'accumulation ou comment le patricien peut-il à nouveau recommencer à manger alors que la dernière bouchée est toujours plus importante et qu'à elle seule elle devient susceptible de remplir l'ensemble de l'estomac.

En fait le point de vue de Marx implique que l'organisme boulimique de plus-value, donc recherche des bouchées toujours plus grandes qui sont assimilées tandis que les déjections sont régulières. Périodiquement la bouchée attendue se révèle insuffisante en regard des besoins de l'organisme et provoque une mauvaise ingestion et aiguillage de la nourriture qui doit être expulsée violemment (toux et vomissement). La crise passée, l'organisme affaibli mais remis en place peut reprendre sa course et sa fortification jusqu'à la prochaine crise. Celle-ci est indépendante du volume général atteint par les bouchées si ce n'est que plus l'organisme à de besoins plus les crises sont grandes. Encore une fois, il ne s'agit pas d'un moment absolu, quand le corps serait saturé de nourriture au point de ne plus rien pouvoir avaler, mais d'un moment relatif, d'une insuffisance de nourriture par rapport aux besoins (croissants) nécessaires. On ne peut attendre le trépas de l'intéressé de la crise mais par contre sa fragilisation temporaire avec une relative paralysie pouvant donner l'opportunité de le terrasser. Dans des conditions historiques déterminées, ou au sein d'un cadre géopolitique défini, nous savons que l'organisme ira vers des convulsions toujours plus grandes qui permettent de penser que le monstre peut être achevé sinon il se régénérera au travers de sursauts redoutables, de crises d'une gravité sans précédents. S'il n'y a pas de crise ultime au sens d'une crise économique finale, seul le prolétariat révolutionnaire peut mettre fin à la domination du capital, la contradiction peut connaître un dénouement par la destruction des antagonismes en présence, ce qui signifie la fin de l'humanité.

Après avoir tenté de combiner une théorie aussi pauvre avec l'explication générale du cycle, Grossmann se pose le problème de sa durée. Il est bien évident que de son point de vue la durée du cycle est déterminée par :

1) le niveau de la composition organique

2) l'importance du taux de plus-value

3) le niveau du taux d'accumulation

4) la progression de la composition organique marginale

En d'autres termes, le taux de profit et son niveau et le taux d'accumulation et son niveau. Après de longs détours, Grossmann en arrive, tout en accumulant, à la conclusion ci-dessus qui ne nous a guère éclairé sur la durée du cycle ni sur ces tendances?

C'est que de ce point de vue Grossmann accumule les contradictions avec la théorie de Marx. Dans son schéma le cycle (qui se confond avec la crise finale) dure trente cinq ans. Dans l'hypothèse d'une hausse du taux de la plus-value et donc d'une baisse du taux de profit moindre, la durée du cycle serait allongée. Pour le raccourcir il faut supposer d'une part un accroissement d'autant plus important de la plus-value à accumuler (hypothèse en flagrante contradiction avec la théorie de Marx, mais que Grossmann utilise pour fonder sa théorie -cf. RIMC N°7) ou d'autre part un accroissement de la composition organique marginale, du rapport du capital constant additionnel au capital variable additionnel. Cette dernière hypothèse suppose de réintroduire une accélération de la baisse du taux de profit que nous venons de limiter par l'élévation du taux de plus-value. En définitive, la crise surviendra d'autant plus vite que le taux de profit baisse et que le taux d'accumulation est élevé, en d'autres termes que les hypothèses contradictoires qui fondent la théorie de Grossmann sont d'autant plus criantes.

Marx travaillait sur l'hypothèse d'un cycle décennal, c'est-à-dire sur la durée du cycle qui s'offrait à ses yeux dans la deuxième moitié du XIX ème siècle. Mais il inférait des lois de la production capitaliste que le cycle irait en se raccourcissant. Des travaux de Grossmann, il ressort que le raccourcissement du cycle est tributaire d'hypothèses contradictoires entre elles et d'autant moins probables que les contre tendances à la baisse du taux de profit (notamment la hausse du taux d'exploitation) se manifestent. Grossmann s'efforce de dissimuler ce point d'une part en ne mentionnant pas les perspectives de Marx d'autre part en bavardant autour d'exemples qui montrent un cycle d'environ dix ans. Par conséquent Grossmann, devenant incapable de fonder véritablement une tendance au raccourcissement du cycle laisse le lecteur dans l'incertitude, en se gardant bien de signaler la totalité de la position de Marx. Pour Marx le temps de rotation du capital fixe, en introduisant une divergence entre la transmission de la valeur au produit, c'est-à-dire le cycle de la valeur et son renouvellement lors de son usure définitive, c'est-à-dire le cycle de la valeur d'usage, était une base matérielle du cycle industriel. S'il n'est jamais parvenu à une solution définitive, il en fera un thème de ses recherches tout au long de sa vie. Avec la rotation du capital fixe, il faut également tenir compte du cycle de la valorisation du capital, qui tend à pousser le taux de profit jusqu'à la limite de rupture ainsi que le cycle du capital dans la sphère financière, avec leur autonomie relative et leurs relations, combinaisons, interpénétrations. De 1815 à 1847 le cycle industriel est d'environ 5 ans. A partir de 1847 il passe à 10 ans. Cette période correspond aussi à l'affermissement de la phase de soumission réelle du travail au capital en Angleterre. C'est-à-dire que le machinisme s'étend dans les diverses branches d'industrie, le capital fixe se développe dans l'ensemble de la société et joue un rôle croissant dans les fondements du cycle industriel et contribue à l'allonger.

"A mesure que la valeur et la durée du capital fixe engagé se développent avec le mode de production capitaliste, la vie de l'industrie et du capital industriel se développe dans chaque entreprise particulière et se prolonge sur une grande période, disons en moyenne 10 ans"

(Marx Pléiade. P.614 T.1)

La phase de soumission réelle instaurée, le développement de la productivité du travail, qui en abaisse la valeur et le progrès technique qui affecte le capital fixe en le rendant obsolète, caractéristiques de cette phase contrebalancent cet allongement "Mais si, d'une part, cette vie est prolongée par le développement du capital fixe, elle est abrégée, d'autre part par le progrès incessant des moyens de production qui va de pair avec le développement du mode de production capitaliste. D'où le renouvellement des moyens de production et leur remplacement continuel par suite de l'usure "morale", bien avant leur usure physique complète."

Dans la mesure où la rotation du captal fixe est un élément de détermination du cycle industriel, elle contribuerait également à son raccourcissement. En tout état de cause la tendance générale de la production capitaliste est la réduction de la durée du cycle.

"Comme les corps célestes une fois lancés dans leurs orbes les décrivent pour un temps indéfini, de même la production sociale une fois jetée dans ce mouvement alternatif d'expansion et de contraction le répète par une nécessité mécanique. Les effets deviennent causes à leur tour, et des péripéties, d'abord irrégulières et en apparence accidentelles, affectent de plus en plus la forme d'une périodicité normale. Mais c'est seulement de l'époque où l'industrie mécanique, ayant jeté des racines assez profondes, exerça une influence prépondérante sur toute la production nationale, où, grâce à elle, le commerce étranger commença à primer le commerce intérieur, où le marché universel s'annexa successivement de vastes terrains au Nouveau Monde, en Asie, en Australie, où enfin les nations industrielles entrant en lice furent devenues assez nombreuses, c'est de cette époque successives embrassent des années et qui aboutissent toujours à une crise générale, fin d'un cycle et point de départ d'un autre. Jusqu'ici la durée périodique de ces cycles est de dix ou onze ans, mais il n'y a aucune raison pour considérer ce chiffre comme constant. Au contraire on doit inférer des lois de la production capitaliste, telles que nous venons de les développer, qu'il est variable et que la période des cycles se raccourcira graduellement."

(Marx, Capital L.I, La Pléiade T.1 P.1149-1150)

On ne s'étonnera pas que fort de l'exemple de Grossmann, son disciple Paul Mattick, minimise l'importance qu'attribue Marx au rôle du capital fixe dans la détermination de la durée du cycle.

"Le cycle déterminé de crises, que le siècle dernier a traversé, constitue cependant un donné empirique dont la théorie marxienne n'a pas traité directement. Certes, Marx devait s'efforcer de rattacher cette périodicité fixe à la rotation du capital. Mais il n'insista guère cependant sur la validité de cette interprétation, et, de toute façon, sa théorie ne prend pas pour base une périodicité particulière des crises. Elle se borne à dire en effet que des crises éclatent forcément, sous forme de surproduction de capital et comme instrument pour assurer la reprise de l'accumulation"

(Paul Mattick, Marx et Keynes, Gallimard, P.93)

Comme on peut le constater Mattick n'est pas en reste dès qu'il s'agit de falsifier les positions de Marx, en ce sens il est un bon élève de son maître, le docteur Grossmann.

C'est pourtant en nous rattachant aux analyses de Marx, et en s'appuyant sur les travaux empiriques accomplis depuis 1945, que CouC a pu mettre en évidence le cycle industriel actuel et prévoir les dernières crises qui ont secoué régulièrement la production capitaliste.

3.5. Grossmann et le taux d'intérêt

 

La théorie de Grossmann est grossièrement mécanique. Il leur est impossible de rendre compte de la réalité de l'accumulation capitaliste qui exige une conception dialectique. Les soubassements théoriques de son analyse, pleinement ricardienne, ont été démontrés dans le numéro 7 de la RIMC. Nous avons vu que le point de vue de Grossmann tournait le dos au communisme scientifique. Comme Grossmann rencontre à, chaque instant des difficultés liées à la différence de ses conceptions d'avec celles de Marx, il lui est toujours plus difficile "d'adapter" son modèle pour le faire ressembler le plus possible aux véritables théories matérialistes. Nous avons vu ici comment de telles tentatives tournaient à la catastrophe à propos du cycle industriel. Remontant un degré dans l'échelle des phénomènes nous allons voir maintenant comment la déroute théorique gagne du terrain en suivant la progression de Grossmann au sujet du crédit et de l'intérêt.

"Une fois que l'on a compris les causes du développement conjoncturel (nous avons vu, en effet à quelle hauteur de "compréhension" nous étions parvenus ! NDR), on peut expliquer alors une série de phénomènes, qui, s'ils ont bien été vérifiés empiriquement, n'ont pas été suffisamment expliqués avec les théories des crises antérieures"

(Grossmann opc P.149)

Le lecteur averti des pratiques de Grossmann ne peut ici que se méfier d'autant plus. Voilà Grossmann ouvertement en recherche d'"amélioration", on ne peut que craindre le pire ! Grossmann indique que le cadre général de son analyse implique que soit réalisé un équilibre entre les diverses sphères de la production de la société bourgeoise, que l'accumulation atteint un niveau tel que la force de travail est entièrement employée, tandis que les prix sont constants. Grossmann ajoute que même sur la base de conditions aussi favorables, l'accumulation, à un certain moment, s'effondre. Puis, Grossmann déclare que, dans la réalité, de telles conditions n'existent pas. L'équilibre ne peut être que le fruit du hasard. Deux cas sont donc abstraitement possibles ; l'accumulation est, soit plus élevée, soit inférieure à celle correspondant à la situation d'équilibre. Pour Grossmann seul le deuxième cas est pratiquement possible. Une telle argumentation mérite qu'on s'y arrête. En effet, nous dit Grossmann, comme l'accumulation se fait sur la base de la technique la plus moderne, une accumulation trop grande devrait buter sur la rareté de la force de travail. En y regardant d'un peu plus près, on peut remarquer que ce cas de figure correspond en fait, à la fameuse "crise" pour insuffisance de plus-value. Prenons le point de départ du schéma de Bauer-Grossmann :

200 000 c + 25 000 v

Dans le schéma d'origine on accumule 10% en capital constant et 5% en capital variable soit 20 000 pour l'accroissement du capital constant et 1250 pour l'augmentation du capital variable. La plus-value consommée par le capitaliste s'élève à 3750. Nous avons donc 20 000 ac + 1250 av + 3750 = 25 000. Si l'accumulation était plus importante, par exemple si l'accumulation du capital constant était de 15%, le capital constant nécessaire pour une telle accumulation serait de 30 000, soit une valeur supérieure à la plus-value. Avant même de se poser le problème de la force de travail, nous retrouvons la condition première de la "crise" selon Grossmann, soit l'insuffisance de la plus-value nécessaire pour permettre l'accumulation du capital. En fait donc, la "crise" de Grossmann n'est que l'expression d'un cas de surprospérité de l'accumulation capitaliste, ce que les économistes appellent la "surchauffe", ce qui correspondrait à la phase de sur spéculation du cycle. Non seulement l'accumulation du capital ne serait pas paralysée mais elle battrait son plein, venant se heurter aux limites "naturelles" de l'accumulation, l'élasticité et la plasticité de l'accumulation étant mobilisées au maximum. Reprenons maintenant un exemple qui laisse une place à l'augmentation du capital variable. Si l'accroissement du capital constant est de 10,5% soit 21000, la force de travail nécessaire pour mettre en mouvement ce capital constant aura, sur la base de la composition organique marginale telle que définie précédemment (20000/1250) une valeur de 1312. Il reste encore une plus-value de 2688 pour la consommation de la classe capitaliste. En l'absence d'une telle réduction, nous nous trouvons dans la même situation de crise que précédemment, c'est-à-dire que la plus-value destinée à l'accumulation est insuffisante en regard des besoins de celle-ci. Dans un tel cas de figure, la méthode de Grossmann est d'abord d'envisager l'augmentation du capital constant. Il aurait donc dit que le capital constant s'élevait à 221 000. En puisant 21 000 de plus-value parmi les 21 250 disponibles, il reste seulement 250 pour l'achat de la force de travail alors que 1312 sont nécessaires. Et même en supposant que la population disponible représente une valeur de 1250, une force de travail inemployée de 1062 est alors sur le pavé. Dans le numéro 7 nous avons vu comment Grossmann s'empressait de dissimuler son raisonnement en calculant la "surproduction" de capital sur la base de la composition organique moyenne et non, comme nous l'avons fait, de la composition organique marginale. En l'occurrence au lieu d'un rapport 21000:1312, il calcule une composition organique moyenne 221000 : 26312 qui, rapportée à la population ouvrière en excédent (1062) donne une "surproduction" de capital de 8924. En suivant la méthode de Grossmann nous en retirons les mêmes effets, une insuffisance artificielle de capital variable apparaît, dont une des conséquences est de faire ressortir une surproduction tout aussi artificielle de capital constant. Et ce phénomène peut être mis en évidence dès que l'accumulation capitaliste s'emballe et dépasse ses possibilités matérielles. Pris au propre piège de sa conception, Grossmann bat discrètement la retraite et expédie en trois lignes une telle éventualité, et ce avec l'argument savoureux que la force de travail serait insuffisante. Dans le même cas de figure, suivant le point de vue, suivant que l'on se focalise sur le capital constant ou sur le capital variable on peut faire apparaître soit un excédent de population soit une insuffisance de celle-ci. On a ici une nouvelle fois la preuve du caractère purement artificiel et mécanique de la théorie de Grossmann, de son incapacité à se sortir de ses contradictions sinon par la voie charlatanesque. L'étude du second cas de figure, le seul retenu, et pour cause, par Grossmann ne peut que confirmer ce jugement. Grossmann suppose maintenant que la progression de la valeur du capital constant est de 5% au lieu des 10% de la situation d'origine. Donc le capital constant s'élève à 210000. Du point de vue de la composition organique marginale on pourrait penser que pour mettre en mouvement ce capital constant additionnel un taux de croissance de 2,5% du capital variable ferait l'affaire. En d'autres termes si pour un capital constant additionnel de 20000 un capital variable supplémentaire de 1250 était nécessaire, pour une augmentation du capital constant de 10000 c'est 650 de capital variable qui seraient requis, soit encore une croissance de 625/25000 = 2,5%.

Par rapport à une population disponible équivalent à un capital variable de 1250, la population inemployée représente un capital de 625. Mais ici aussi Grossmann s'empresse de faire ses calculs sur la base de la composition organique moyenne. En conséquence, si pour 220000 c le capital variable correspondant était de 26250 v, pour 210000 c il suffit sur la même base de 25056v. Ce qui implique que le capital variable supplémentaire ne se monte qu'à 26v. Par rapport à 25625 (25000 + 625) trouvés par le calcul précédent, l'armée de réserve est artificiellement accrue et s'élève à 1250-56 = 1194. Mais là n'est pas le plus important. Suivons Grossmann. Par rapport à l'accumulation d'origine, qui s'élevait à 22500 (20000 c + 2500 v) il reste (22500 - 10056 (10000 + 56)) soit 12444. En supposant que la classe capitaliste consomme 10% de la plus-value soit 2500 la première année, les 12444 restant peuvent fournir la base du capital de prêt pour les investissements. En suivant cette logique il obtient le tableau suivant.

Année    C               V    armée de réserve.

1        200000 + 25000 + 2500 +            12444 (14944) + 10000 + 56

2        210000 + 25056 + 1194 + 2505 + 11994 (14499) + 10500 + 57

3        220000 + 25113 + 2449 + 2511 + 11516 (14027) + 11025 + 61

4        231000 + 25174 + 3766 + 2517 + 11009 (13526) + 11576 + 72

5        243101 + 25246 + 5141 + 2524 + 10500 (13034) + 12155 + 57

6        255256 + 25303 + 6603 + 2530 + 10011 (12541) + 12762 + -

7        268018 + 24842 + 7974 + 2484 +   9211 (11603) + 13201 + 38

8        281219 + 24880 + 9576 + 2488 +   8386 (10874) + 14060 + -

9        295279 + 24726 + 11452 +........+           (85081) + 14763 +

 

Bien que diminuant régulièrement à chaque cycle, un capital inemployé, baptisé pour la circonstance capital de prêt par Grossmann, se cumule pour atteindre 85081. Dans le même temps une armée de réserve accrue artificiellement prend de l'ampleur. Après avoir cité sommairement quelques extraits de Marx, Grossmann déclare "Le capital de prêt, dont nous parlons ici, dans l'analyse du cycle réel de la production doit être différencié du capital de prêt dans sa condition de normalité. Donc ici nous traitons le cas, dans lequel, en conformité avec les hypothèses, l'appareil de production est trop petit (nous supposons que c croît seulement de 5% annuel, au lieu de 10% comme c'est nécessaire) et par conséquent une partie de la plus-value accumulée dans le procès de production ne peut trouver d'investissement productif."

(op. cit. p.154)

Grossmann affirme alors que ce capital est la base du développement d'un capital de prêt, à la recherche d'investissements. Il s'agit ici aussi d'une pure fantaisie. Le capital argent susceptible d'être prêté, en fait ne trouve aucun emprunteur sinon il y aurait accumulation. En effet, en face d'un capital argent nous trouvons une plus-value qui revêt la forme matérielle des éléments du capital constant et du capital variable. La valeur correspondant à cette plus-value est en fait mise en jachère si elle n'est pas accumulée. Il ne s'agit pas de capital de prêt mais de capital en excédent. L'idée que du capital productif puisse demeurer inemployé, demeurer en jachère, est le symptôme non pas d'un rapport préteur emprunteur, mais d'une surproduction. Et cette surproduction appelle une dévalorisation brutale du capital et non pas son maintien artificiel d'une année sur l'autre, constituant ainsi une réserve dans laquelle le capital pourrait puiser en cas de besoin. L'idée d'une surproduction permanente est étrangère à la théorie de Marx. Dans notre numéro 22 consacré au militarisme nous avions passé en revue les divagations de Mandel. Ce dernier développait un raisonnement strictement identique à Grossmann pour justifier non pas l'existence du capital de prêt et la baisse du taux d'intérêt mais le développement du secteur de l'armement et son rôle régulateur sur la production capitaliste. Ici c'est le pseudo capital de prêt qui joue un tel rôle. Quand il est en excédent il fait baisser le taux d'intérêt. Cette baisse du taux d'intérêt favorise le taux de profit d'entreprise tout comme le développement de l'armée de réserve qui fait pression sur les salaires. Ces facteurs encouragent l'accumulation et donc la résorption de l'armée de réserve comme du capital de prêt qui trouve alors des débouchés productifs. Voilà la bluette qui sert de théorie du cycle et du taux d'intérêt à Grossmann. Et c'est un tel escroc, faussaire, mercenaire stalinien, qui sert de mentor à une partie du mouvement communiste. Une théorie bourrée de contradictions, qui foule aux pieds le communisme révolutionnaire à chaque pas, nous est resservie, agrémentée, en général, d'autres imbécillités propres à leurs auteurs, par CWO et associés.

( à suivre)