BREF HISTORIQUE DU MOUVEMENT DE LA CLASSE PROLETARIENNE DANS L'AIRE EURO-NORD AMERICAINE DES ORIGINES A NOS JOURS.

 

 

 

 

 

5. LA SECONDE INTERNATIONALE (suite).

 

 

En ce qui concerne l'étude de cette période du mouvement ouvrier, notre plan se déroule de la manière suivante, en épousant les grandes séquences qui rythment la vie de l'Internationale.

1889-1900 : les années de fondation ; délimitation stricte vis-à-vis de l'anarchisme.

1900-1907 : l'offensive opportuniste et la réaction des communistes authentiques.

1907-1914 : la montée des périls et la délimitation par rapport à la guerre.

Dans notre dernière livraison (cf. RIMC N°11), nous avons étudié la première période.

Au cours de ce numéro, nous examinerons le second thème, en recourant à la succession des congrès pour suivre l'évolution des positions et les polémiques. Ainsi les principaux débats qui marquent l'évolution de la Seconde Internationale vers sa dégénérescence, trahison et faillite seront abordés. Cependant, il existe d'autres éléments, sous-jacents ou plus explicites, qui jalonnent la vie de la Seconde internationale - ce sont ceux de l'action syndicale et de la grève générale, de l'activité parlementaire, ou de l'attitude face à la question coloniale - et qui seront abordés dans les numéros suivants. A travers l'étude de ces questions tactiques, nous suivrons l'émergence des oppositions de gauche. Cette analyse se poursuivra dans le texte de transition entre l'épisode de la Seconde Internationale et celui de l'Internationale Communiste. Nous essaierons de connecter entre eux, ce qui est toujours difficile sur le plan de l'exposition, l'étude de la vie des sections et partis sur le plan national et de l'avancée des thèses communistes sur le plan international. Enfin, par rapport au plan prévu dans les "Thèses de travail"[1]  , cette démarche nous amènera à introduire dès le prochain chapitre la problématique de la révolution double en Russie et de l'action du POSDR puis des bolcheviks, ce qui nous conduira à aborder la partie consacrée à la "Question russe."

5.3. Opportunisme, réformisme, révisionnisme.

5.3.1. D'une manière générale, on peut définir l'opportunisme comme la recherche de succès immédiats au prix de diverses concessions tactiques, en négligeant de prendre en compte les répercussions à long terme de telles tactiques sur les intérêts profonds et les buts historiques de la classe prolétarienne. La plupart du temps l'opportunisme (qu'aucune garantie institutionnelle ou organisationnelle ne peut empêcher de surgir au sein d'un parti prolétarien) jure fidélité aux principes mais justifie les concessions tactiques au nom des résultats immédiats.

"On met au premier plan des questions politiques générales abstraites, et l'on cache par là les questions concrètes les plus pressantes qui, aux premiers évènements importants, à la première crise politique, viennent d'elles-mêmes s'inscrire à l'ordre du jour. Que peut-il en résulter, sinon qu'au moment décisif, le parti sera pris au dépourvu et que sur les points décisifs règneront la confusion et l'absence d'unité du fait que ces questions n'auront jamais été discutées ?

Cet oubli des grandes considérations essentielles devant les intérêts passagers du jour, cette course aux succès éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans se préoccuper des conséquences ultérieures, cet abandon de l'avenir du mouvement que l'on sacrifie au présent, tout cela a peut-être des mobiles "honnêtes". Mais cela est et reste de l'opportunisme. Or l'opportunisme "honnête" est peut-être le plus dangereux de tous."

(Engels. Critique du programme d'Erfurt. Cité par Lénine dans "L'Etat et la révolution".)

C'est pourquoi la lutte contre une tendance à l'opportunisme au sein d'un parti ne peut se résoudre en abandonnant le terrain à l'adversaire, ni en essayant de l'éliminer par une mesure purement institutionnelle (par l'exclusion d'individus par exemple). Une fois individualisées les causes matérielles profondes qui concourent à produire cette déviation, il faut œuvrer à redresser le courant en rétablissant une compréhension dialectique des rapports entre but final et mouvement, principe et tactique. Jusqu'au bout, dans la Seconde Internationale, les défenseurs du programme ont cohabité avec les opportunistes qui, s'ils contribuaient par leur attitude à pourrir le parti du prolétariat, n'avaient pas encore réussi (jusqu'en 1914) à en faire un pur et simple organe bourgeois.

5.3.2. L'opportunisme, comme tendance générale au sein du mouvement ouvrier s'exprime concrètement sous différentes formes. Mais avec le réformisme, qui finit par privilégier la lutte pour les réformes comme but véritable du mouvement, et conclut que la société bourgeoise ne se détruit pas mais se réforme, on passe à un autre degré dans la corruption du prolétariat. L'opportunisme, en réalisant son être, a aussi changé de camp et de fonction : il s'agit désormais de nier toute capacité révolutionnaire au prolétariat.

"Les marxistes, à la différence des anarchistes, reconnaissent la lutte pour les réformes, c'est-à-dire pour telles améliorations dans la situation des travailleurs qui laissent comme par le passé le pouvoir entre les mains de la classe dominante. Mais, en même temps, les marxistes mènent la lutte plus énergique contre les réformistes qui limitent directement ou indirectement aux réformes les aspirations et l'activité de la classe ouvrière. Le réformisme est une duperie bourgeoise à l'intention des ouvriers, qui resteront toujours des esclaves salariés, malgré les améliorations isolées, aussi longtemps que durera la domination du capital."

(Lénine. Marxisme et réformisme. Œuvres t.19. p.399)

En même temps, Lénine montrait que la seule bonne réforme, est celle qui est arrachée de haute lutte et non concédée à la suite de manœuvres et de compromis. De même, la lutte pour les réformes doit toujours être guidée en fonction de leur importance dans la préparation révolutionnaire du prolétariat (par exemple la lutte pour le droit de réunion afin de favoriser l'expression et l'organisation révolutionnaire).

5.3.3. Dans la mesure où l'opportunisme est un produit de la pénétration des intérêts bourgeois au sein du mouvement ouvrier, il s'est exprimé différemment suivant les pays, prenant appui sur, et en retour accentuant les déviations "nationales" du prolétariat de chacun des trois grands pays qui formèrent le berceau du socialisme : opportunisme pratique (trade-unionisme) en Grande-bretagne, forme plus "républicaine" en France avec le ministérialisme, enfin justification "théorique" de l'opportunisme en Allemagne avec le courant révisionniste. De même que le programme communiste avait vu s'unifier théoriquement les expériences diverses de la classe ouvrière des trois pays, de même l'opportunisme devait tenter de sommer les principales déviations "nationales" en s'attaquant directement à la théorie communiste là où celle-ci était le plus ancrée : en Allemagne.

Les anglais ont toujours privilégié les revendications économiques, pratiques, au détriment de l'activité politique et théorique. Le développement d'un fort mouvement syndical et les succès rencontrés par celui-ci dans ses luttes pour l'amélioration des conditions de vie des masses ouvrières devait former le terrain sur lequel allait se développer l'opportunisme en Angleterre : surestimation de la lutte immédiate, au détriment de l'action politique ; conception "trade-unioniste" de la lutte des classes ; corruption des chefs syndicalistes.

Par contre en France, pays où a été privilégiée la forme politique du combat pour l'émancipation du prolétariat, l'offensive du réformisme se déploie sous l'aspect politique : participation de socialistes aux ministères bourgeois, tentative de conquérir l'Etat de l'intérieur, etc.

C'est en Allemagne que la vague réformiste allait trouver à la fois sa consécration et son achèvement. Le terrain d'attaque était plus difficile, c'est aussi pour cela que l'attaque elle-même a été plus profonde, en prenant la forme du courant révisionniste qui ne propose plus seulement des recettes pour améliorer l'efficacité du mouvement ou susciter des succès immédiats, mais s'attaque à ses principes mêmes, en en proposant la révision intégrale, c'est-à-dire l'abandon.

"Si l'on tient compte de certaines manifestations sporadiques qui se sont fait jour - nous pensons par exemple à la fameuse question de la subvention accordée aux compagnies maritimes - les tendances opportunistes à l'intérieur de notre mouvement remontent assez loin. Mais c'est seulement en 1890 qu'on voit se dessiner une tendance déclarée et unique en ce sens : après l'abolition de la loi d'exception contre les socialistes, quand la social-démocratie eut reconquis le terrain de la légalité. Le socialisme d'Etat à la Vollmar, le vote du budget en Bavière, le socialisme agraire de l'Allemagne du Sud, les projets de Heine tendant à l'établissement d'une politique de marchandage, les vues de Schippel sur la politique douanière et la milice : telles sont les principales étapes qui jalonnent la voie de la pratique opportuniste.

Le signe distinctif de l'opportunisme, c'est d'abord l'hostilité à la "théorie". C'est tout naturel puisque notre "théorie" - c'est-à-dire les principes du socialisme scientifique - pose des limites très fermes à l'action pratique à la fois quant aux objectifs visés, aux moyens de lutte, et enfin au mode de lutte lui-même. Aussi ceux qui ne cherchent que les succès pratiques ont-ils tout naturellement tendance à réclamer la liberté de manœuvre, c'est-à-dire à séparer la pratique de la "théorie", à s'en rendre indépendants.

Mais à chaque tentative d'action pratique la théorie leur retombait sur la tête : le socialisme d'Etat, le socialisme agraire, la politique de marchandage, le problème de la milice, autant de défaites pour l'opportunisme. Bien évidemment, pour affirmer son existence contre nos principes, ce courant devait, en toute logique, finir par s'en prendre  à la théorie elle-même, aux principes, et plutôt que de les ignorer, chercher à les ébranler et à construire sa propre théorie. La théorie de Bernstein fut une tentative de cet ordre ; aussi avons-nous vu au congrès de Stuttgart tous les opportunistes se grouper autour de la bannière de Bernstein.

Si les divers courants de l'opportunisme pratique sont un phénomène très naturel, explicable par les conditions de notre lutte et la croissance de notre mouvement, la théorie de Bernstein est par ailleurs une tentative non moins naturelle pour réunir ces courants en une expression théorique générale, pour découvrir une base théorique qui leur soit propre et rompre en lice avec le socialisme scientifique. La doctrine bernsteinienne servit donc de légitimation scientifique à l'opportunisme et le soumit à l'épreuve du feu. Comment l'opportunisme soutint-il cette épreuve ? Nous l'avons vu : l'opportunisme n'est pas en mesure de construire une théorie positive qui résiste, si peu que ce soit à la critique. Il n'est capable que de s'attaquer d'abord à certains principes isolés de la doctrine marxiste ; mais comme cette doctrine constitue un édifice solidement assemblé, il finit par abattre le système tout entier, du dernier étage aux fondations. Ce qui prouve que l'opportunisme pratique est incompatible, par sa nature et ses fondements, avec le système marxiste.(...)

La théorie de Bernstein fut la première tentative, mais aussi la dernière, pour donner à l'opportunisme une base théorique. Nous disons "la dernière" parce qu'avec la doctrine bernsteinienne l'opportunisme est allé si loin - à la fois négativement dans l'abjuration du socialisme scientifique et positivement dans la confusion théorique, l'assemblage incohérent de tous les éléments disponibles des autres systèmes - qu'il ne lui reste rien à ajouter. Le livre de Bernstein marque la fin de l'évolution théorique de l'opportunisme, il en tire les dernières conséquences."

(Rosa Luxembourg. Réforme ou révolution. Maspero. pp.85-87)

5.3.4. Mais, de même que le programme communiste n'est pas un programme "allemand", mais est celui du prolétariat international en lutte pour son émancipation, de même le révisionnisme, tout en étant immédiatement fruit de l'activité des opportunistes allemands, puise en fait son matériel pratique dans toutes les expériences opportunistes, surtout celle anglaise (Rosa Luxembourg a souligné dans un article intitulé "Les lunettes anglaises", que c'est l'observation de la société capitaliste anglaise et du mouvement ouvrier anglais - notamment les fabiens - qui a fourni à Bernstein ses "conclusions" théoriques sur la nécessité de réviser la théorie communiste). Le révisionnisme a été la tentative de justifier théoriquement toutes les variétés d'opportunisme qui se faisaient jour au sein du mouvement ouvrier international.

Dans tous les cas, quelle que soit la physionomie qu'il prend dans chaque nation, le réformisme est un seul et même phénomène, qui atteint le prolétariat international, comme le soulignait Lénine.

"Le révisionnisme est un phénomène international. Pour tout socialiste un peu averti et pensant, il ne saurait y avoir le moindre doute que les rapports entre les orthodoxes et les bernsteiniens en Allemagne, entre les guesdistes et les jauressistes (aujourd'hui les broussistes surtout) en France ; entre la Fédération social-démocrate et le parti ouvrier indépendant en Angleterre ; entre les bolcheviks et les mencheviks en Russie, sont au fond partout de même nature, en dépit de l'immense diversité des conditions nationales et des facteurs historiques dans l'état actuel de tous ces pays. La "démarcation" au sein du socialisme international contemporain s'établit, en fait dès aujourd'hui, suivant la même ligne dans les divers pays du monde, attestant par là un grand pas en avant, en comparaison de ce qui se passait il y a trente ou quarante ans, alors que, dans les divers pays, des tendances dissemblables s'affrontaient au sein d'un socialisme international unique."

(Lénine. Marxisme et révisionnisme. œuvres t.15 p.28)

 

5.3.5. C'est dans ce contexte que la Gauche Communiste d'Italie, parlait d'une véritable vague opportuniste qui submerge le mouvement ouvrier international dans les dernières années du 19° siècle.

"Si l'on fait abstraction du bakouninisme dans la première Internationale (1867-1871) et du Sorélisme dans la Deuxième (1907-1914), que nous considérons comme des mouvements étrangers au marxisme, une première vague de l'opportunisme au sein du mouvement prolétarien marxiste est représentée par le révisionnisme social-démocrate. Sa vision était la suivante : la victoire de la bourgeoisie étant partout assurée, une phase historique sans insurrection et sans guerre s'ouvre ; sur la base de l'extension de l'industrie, de l'augmentation du nombre des travailleurs et du suffrage universel, le socialisme devient possible par évolution graduelle et sans violence. On tente ainsi (Bernstein) de vider le marxisme de son contenu révolutionnaire, en prétendant que celui-ci n'appartiendrait pas en propre à la classe ouvrière, mais serait un reflet de mauvais aloi de la période insurrectionnelle bourgeoise. Dans cette période, la question tactique de l'alliance entre partis bourgeois avancés, ou de gauche, et partis prolétariens revêt un aspect différent : il ne s'agit plus d'aider le capitalisme à naître, mais d'en faire dériver le socialisme à l'aide de lois et de réformes : il ne s'agit plus de se battre ensemble dans les villes et dans les campagnes, mais de voter ensemble dans les assemblées parlementaires. Cette proposition de former des alliances et des blocs allant jusqu'à l'acceptation de postes de ministres par des chefs ouvriers revêt le caractère historique d'un abandon de la voie révolutionnaire : c'est pourquoi les marxistes radicaux condamnent tout bloc électoral."

(Thèses caractéristiques du parti. 1951)

5.3.6. Les racines matérielles du réformisme sont profondes et complexes. Outre la classique explication par la "corruption des chefs ouvriers", le révisionnisme s'est trouvé porté par la conjonction d'un certain nombre de phénomènes historiques que le mouvement ouvrier n'avait pas encore connus jusque-là.

Nous avons vu comment le mouvement prolétarien avait engendré le programme communiste (cf. CouC N°s 16, 18), et comment celui-ci s'impose contre toutes les autres tendances socialistes qui s'expriment au sein de la classe ouvrière. Avec l'expérience de la Commune de Paris et la mort de la Ière Internationale, les thèses communistes se trouvent confirmées de manière éclatante. Pour autant que survivent les divers courants anarchistes, socialistes petits-bourgeois etc. leur critique est déjà pleinement achevée, et la séparation d'avec eux est consommée. C'est pourquoi à la mort de l'AIT, Marx et Engels prévoient que la recomposition du mouvement se fera sur des bases purement communistes. Or, cette même victoire et extension de la théorie communiste exige que l'offensive des courants qui lui sont hostiles se porte à un autre niveau. Désormais la critique de la théorie communiste va se faire sur le terrain même du communisme, et au sein des partis socialistes et sociaux-démocrates.

Lénine insiste sur cette dialectique en montrant que l'influence de la théorie communiste a forcé ses adversaires à se déguiser en communistes, en "marxistes".

"Dans les cinquante premières années de son existence (à compter de 1840), le marxisme combattit les théories qui lui étaient foncièrement hostiles. De 1840 à 1845 Marx et Engels règlent leur compte aux jeunes hégéliens radicaux, qui s'en tenaient en philosophie à l'idéalisme.

Vers la fin de la décennie 1840-1850, la lutte s'engage dans le domaine des doctrines économiques, contre le proudhonisme. Les années 1850-1860 achèvent cette lutte critique des partis et des doctrines qui se manifestèrent pendant la tourmente de 1848. De 1860 à 1870, la lutte passe du domaine de la théorie générale dans un domaine plus proche du mouvement ouvrier proprement dit : le bakouninisme est chassé de l'Internationale. Au début de la décennie 1870-1880 en Allemagne, le proudhonien Mulhberger réussit quelques temps à se faire valoir ; vers 1880, c'est le tour du positiviste Dühring. Mais cette fois l'influence que l'un et l'autre exercent sur le prolétariat est tout à fait insignifiante. Dès lors le marxisme l'emporte indéniablement sur toutes les autres idéologies du mouvement ouvrier. (...) Le socialisme pré marxiste est battu. Il poursuit la lutte, non plus sur son terrain propre mais sur le terrain général du marxisme ; en tant que révisionnisme."

(id. t.15 pp.28-29)

5.3.7. Lénine donne une explication classique des causes de l'opportunisme, en faisant intervenir les éléments suivants :

         Présence permanente aux côtés du prolétariat d'une petite bourgeoisie en voie de prolétarisation, qui draine avec elle ses concepts, ses préjugés, ses habitudes petites-bourgeoises jusque dans les rangs du prolétariat. A cet égard, le propre succès du parti du prolétariat renforce ce phénomène, dans la mesure où il attire à lui une masse considérables de petits-bourgeois, intellectuels etc.

         ◊◊ Le changement d'attitude de la bourgeoisie à l'égard du prolétariat. Inquiète des succès du parti du prolétariat, la bourgeoisie, qui n'est déjà plus la bourgeoisie triomphante du siècle passé, mais une classe sur le déclin, estime (du moins sa frange la plus éclairée et la plus consciente) qu'il faut travailler à amortir les antagonismes sociaux. D'où la défense par une fraction de la bourgeoisie d'une politique ouvrière, d'où la cour faite aux chefs ouvriers, qu'elle tente de corrompre en leur offrant des avantages, des postes dans les rangs des serviteurs de la bourgeoisie etc.

         ◊◊◊ Enfin, et cet élément est à la racine matérielle des trois autres, Lénine insiste sur la possibilité pour la bourgeoisie d'un pays donné de corrompre "sa" classe ouvrière, grâce au monopole impérialiste de cette nation. Le pillage des colonies, les super-profits dégagés grâce à la politique impérialiste, permettent de distribuer au prolétariat des "miettes" qui contribuent à lier son sort à la bourgeoisie et à le corrompre.

5.3.8. Ce que Lénine ne met pas suffisamment en évidence lorsqu'il évoque la présence d'une petite bourgeoisie à côté du prolétariat, c'est que, à côté des anciennes classes moyennes qui se prolétarisent, et dont le poids économique et social décroît - mais qui peuvent encore conserver des effectifs très importants dans la société - le MPC moderne suscite en même temps qu'une croissance du prolétariat, une augmentation simultanée, et généralement dans des proportions plus grandes, d'une classe moyenne salariée.

Loin d'être un démenti au programme révolutionnaire et aux prévisions de Marx - ce que prétendait Bernstein, qui avait bien noté le phénomène mais l'interprétait comme une réfutation du programme communiste - ce développement d'une classe moyenne liée au travail improductif avait été prévu par Marx, comme en témoigne ce passage des "Théories sur la plus-value" que nous souhaitons citer ici dans son intégralité :

"Supposons que grâce à la productivité de l'industrie on en soit arrivé à (p.242-3)

...devenu plus grand, consommera plus de produits de luxe. p.244"

Nous reviendrons sur ces aspects dans d'autres travaux. Ce qu'on peut noter ici, c'est que ce phénomène ne s'atténue pas avec le développement du MPC, et qu'il fournit donc un terreau favorable à l'épanouissement du réformisme. De fait, cette classe moyenne moderne joue un rôle tampon, amortisseur des antagonismes entre les principales classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat. Facteur de conservation sociale, cette classe qui vit du surtravail pèse de tout son poids sur le prolétariat. En outre, en tant que classe salariée, elle renforce la mystification du capital qui tend à voiler l'opposition entre producteurs de plus-value et consommateurs de celle-ci [2].

5.3.9. En s'inspirant de thèses de Marx et Engels sur les difficultés de la pénétration du socialisme en Angleterre (première nation impérialiste à l'époque) dès les années 1850, Lénine en vient à insister sur le caractère limité et fragile d'une telle corruption, avec la généralisation du développement des contradictions impérialistes.

"Autrefois, l'on pouvait soudoyer, corrompre pour des dizaines d'années la classe ouvrière de tout un pays. Aujourd'hui ce serait invraisemblable, voire impossible ; par contre, chaque "grande" puissance impérialiste peut soudoyer et soudoie des couches moins nombreuses (que dans l'Angleterre des années 1848 à 1868) de "l'aristocratie ouvrière". Autrefois, un "parti ouvrier bourgeois", selon l'expression remarquablement profonde d'Engels, ne pouvait se constituer que dans un seul pays, attendu qu'il était seul à détenir le monopole, mais en revanche pour longtemps. Aujourd'hui, "le parti ouvrier bourgeois" est inévitable et typique pour tous les pays impérialistes mais, étant donné leur lutte acharnée pour le partage du butin, il est improbable qu'un tel parti puisse triompher pour longtemps dans plusieurs pays."

(Lénine. L'impérialisme et la scission du socialisme. T.23 p.128)

Ainsi l'Angleterre qui a été pendant des lustres le seul pays à jouir d'un monopole impérialiste, a pu corrompre profondément et pour longtemps le prolétariat au point de former un véritable "parti ouvrier bourgeois" (Engels)[3]. Mais dans la mesure où d'autres nations arrivent à ce stade de domination du marché mondial à la fin du 19° siècle, Lénine estime que la concurrence inter-impérialiste qui s'établit ainsi, contribue à affaiblir la domination impérialiste de chaque nation prise séparément. Ainsi, on assiste à un double phénomène dans le même temps : une généralisation de la création des "partis ouvriers bourgeois" à l'échelle internationale, et à un affaiblissement de leur influence sur les masses, les conditions de celles-ci empirant avec l'accroissement de la rivalité inter-impérialiste. Autrement dit, la concurrence sur le marché mondial tend, selon Lénine, à saper graduellement les bases matérielles même du réformisme. Les "miettes" de l'exploitation impérialiste, en étant partagées en un plus grand nombre de participants, contribuent à corrompre une plus grande masse de prolétaires à l'échelle internationale, mais moins profondément à chaque fois. Le phénomène s'étend et, à mesure, il s'affaiblit.

5.3.10. Aussi bien sur la question de l'influence du développement des classes moyennes que sur cette question des surprofits impérialistes, Lénine se montre incapable de voir un phénomène très important, qui constitue la base matérielle principale du réformisme, et qui est la métamorphose des mécanismes de l'exploitation capitaliste : passage de l'extraction de la plus-value absolue à l'extraction de plus-value relative, coïncidant avec le passage de la phase de soumission formelle du travail au capital à la phase de soumission réelle du travail au capital [4].

L'extraction de plus-value absolue ne peut s'accroître qu'en utilisant deux méthodes : réduction du salaire réel et extension de la durée de la journée de travail. Dans les deux cas, on attaque de front le prolétariat qui se défend en s'organisant dans les syndicats. La lutte contre l'exploitation se déroule sous la forme d'une lutte pour l'augmentation du salaire réel, et la diminution du temps de travail.

En revanche l'extraction de plus-value relative, avec le passage à la phase réelle, est basée sur l'accroissement de la productivité et de l'intensité du travail. Tout en accroissant démesurément l'exploitation, le capital se trouve en mesure de concéder un salaire réel plus élevé au prolétariat, tout en accroissant le taux et la masse de la plus-value. Ainsi l'on peut concéder aux ouvriers de meilleurs salaires, de meilleurs conditions de vie et de travail, réduire le temps de travail, développer tout un arsenal de lois de protection sociale. Il ne faut pas s'imaginer pour autant que ces avantages sont concédés spontanément par la bourgeoisie et sans que le prolétariat réussisse à les arracher à travers de dures luttes de classes.  En effet, si le réformisme est un moment nécessaire du capital, en ce sens que ce dernier est obligé d'acheter la paix sociale, il ne le fait absolument pas par philanthropie, mais poussé par les nécessités de sa propre conservation.

Dans "Capitalisme et réformes"[5] Bordiga souligne que l'Etat qui à l'origine intervient dans la phase révolutionnaire bourgeoise pour discipliner par la terreur le prolétariat naissant en même temps qu'il brise les vestiges de la forme de production féodale [6], est conduit dans un second temps à "légiférer dans un sens directement opposé, à céder en apparence aux revendications ouvrières sur ce point, à mobiliser tout un arsenal de phrases philanthropiques sur la justice sociale, la santé du peuple etc." Ce faisant, l'Etat ne fait que démontrer que le libre jeu du capitalisme est d'une telle violence qu'il n'amène que la destruction et la ruine. Marx a montré, dans le Capital que la révolution industrielle avait représenté un tel holocauste qu'une partie de la bourgeoisie s'était trouvé effrayée, non pas dans l'abstrait, à la manière humaniste, mais très concrètement car elle craignait d'en arriver à détruire physiquement la source de la plus-value elle-même, la classe ouvrière. Cependant, la bourgeoisie et son Etat n'auraient pas pris de mesures visant à améliorer la situation du prolétariat (lois sociales, diminution de la journée de travail etc.), si de la part de celui-ci, la réaction ne s'était pas exprimée sous la forme de gigantesques luttes de classes, et de l'unité de la classe en un sujet collectif agissant qui dépasse le cadre du rapport individuel marchand dans lequel le droit bourgeois veut enfermer l'ouvrier, seul face au capitaliste avec son "contrat de travail".

"Au contraire, en passant de la concurrence entre eux à l'action et à l'organisation commune, en descendant dans la rue en révolte contre les traitements inhumains, les ouvriers ont contraint l'Etat à intervenir de façon autoritaire dans les rapports économiques de production et à les rectifier. Non seulement ils s'assuraient ainsi un peu de temps et de répit pour se préparer à des luttes d'une portée historique bien plus vaste, mais la preuve était donnée que le système social et politique créé par la bourgeoisie n'apporte de garantie qu'à une partie des composantes de la société, protège une domination de classe, et doit historiquement être combattu, attaqué et renversé par des moyens révolutionnaires, tout comme ceux qui l'ont précédé." (idem).

Le phénomène qui est au fondement du réformisme contrairement à celui de la distribution des miettes des profits impérialistes privilégié par Lénine, est un phénomène profond et durable, parce que déterminé par le cours même de la réalisation du MPC, à travers les deux phases historiques de celui-ci. C'est un aspect intrinsèque au développement du MPC. Il en résulte que la possibilité de corrompre profondément non seulement une partie de la classe ouvrière (ce qui correspond au concept de l'aristocratie ouvrière), mais même sa totalité, est fournie par la réalisation de l'être même du capital, et s'approfondit avec le développement de ce dernier. Cette possibilité s'est donc non seulement étendue à de nouvelles nations, mais s'est encore approfondie à l'intérieur de chaque nation.

5.3.11. Les racines du réformisme, sont donc bien plus profondes, bien plus ancrées dans la réalité même de l'être-capital que ne veut bien le voir Lénine. Sur le plan phénoménal, l'extension du réformisme recoupe bien, effectivement, la forme décrite par Lénine. Au départ, seule l'Angleterre connaît cette possibilité, grâce à son monopole impérialiste. Mais celui-ci découle du fait qu'elle est la première nation à connaître le passage à la phase de soumission réelle du travail au capital. De ce fait également, aux surprofits coloniaux l'Angleterre peut ajouter des mécanismes internes, encore plus importants pour comprendre l'extension et l'ampleur de la base matérielle du réformisme, mécanismes qui sont liés au développement de la plus-value relative.

Par la suite le phénomène s'étend à d'autres nations, dans la mesure où celles-ci accèdent à leur tour à la phase de soumission réelle. Ainsi la logique de Lénine est battue en brèche. Si, dans cette logique, on pouvait penser que le phénomène irait en s'affaiblissant au fur et à mesure que de nouveaux pays atteindraient le stade de "l'impérialisme", puisqu'il y aurait moins de miettes à partager, c'est l' inverse qui se produit lorsque plus de pays atteignent le stade de la soumission réelle. Là, le réformisme se renforce puisque se consolident ses bases matérielles créées par la propre métamorphose des conditions de l'exploitation capitaliste.

Ce sont ces mêmes bases matérielles qui conditionnent la politique de la classe bourgeoise à l'égard du camp ouvrier et lui dictent son attitude qui consiste à tout faire pour favoriser la création d'un "parti ouvrier bourgeois", d'un pôle représentatif de l'esclavage salarié au sein  de la société bourgeoise, d'un "parti du travail" avec lequel puissent se discuter des aménagement sociaux et politiques, en essayant d'enrayer la lutte de la classe prolétarienne. Ainsi les politiques de séduction vis-à-vis des chefs ouvriers, de reconnaissance de la classe ouvrière comme membre de la nation, comme acteur de l'entreprise et de l'Etat, ne relèvent pas d'une simple manœuvre ou d'une tactique, elles expriment une nécessité profonde pour la bourgeoisie devant le poids croissant du prolétariat et de la menace qu'il représente. Cette nécessité de gouverner avec "l'appui de la classe ouvrière" (Engels) est d'autant plus forte dans le capitalisme moderne que se développent en même temps les possibilités matérielles de négocier cet appui.

Par rapport à tous ces points, et en regard du développement du Mode de Production Capitaliste, Lénine est conduit à sous-estimer l'ampleur de la gangrène réformiste et, tout en en prévoyant justement le cours, à considérer avec trop d'optimisme le poids de son influence réelle sur la classe.

Le corollaire de cette sous-estimation s'exprime parfaitement dans les problèmes liés à la tactique. En effet, si la diminution des surprofits coloniaux aboutit à la fragilisation du réformisme, alors la base d'action des partis réformistes s'affaiblit en quelque sorte "naturellement". La victoire contre eux est inscrite dans le cours des choses, et il suffira d'un coup d'épaules pour précipiter leur chute. La sous-estimation de leur poids dans la société conduit donc à l'adoption d'une tactique plus "souple" que si l'on admet que l'ennemi est là et bien là parce que le cours même de la vie du capital ne fait que renforcer sa puissance. En outre, dans un cas les luttes anti-coloniales joueront un rôle plus que prépondérant dans l'affaiblissement du réformisme, dans l'autre cas, il faudra que des crises violentes viennent saper les bases du réformisme à l'intérieur même des métropoles capitalistes.

5.3.12. Lénine fut ainsi empêché de voir les racines "modernes" et profondes du réformisme. Sans nier la lutte contre celui-ci (il fut l'un des plus ardents défenseurs de l'orthodoxie révolutionnaire) il considérait toutefois celui-ci comme un phénomène transitoire, propre à la période 1871-1914, qu'il caractérise ainsi :

"La faillite de la II° Internationale s'est exprimée avec le plus de relief dans la trahison scandaleuse par la majorité des partis social-démocrates officiels d'Europe, de leurs convictions et de leurs résolutions solennelles de Stuttgart et de Bâle. Mais cette faillite, qui marque la victoire totale de l'opportunisme, la transformation des partis social-démocrates en partis ouvriers national-libéraux, n'est que le résultat de toute l'époque historique de la II° Internationale, de la fin du XIX° siècle. Les conditions objectives de cette époque transitoire - qui va de l'achèvement des révolutions bourgeoises et nationales en Europe occidentale au commencement des révolutions socialistes, - ont engendré et alimenté l'opportunisme."

(Lénine. La faillite de l'Internationale p.250 t.21)

Ceci a surtout de l'importance en ce qui concerne la Troisième Internationale car si dans la Seconde, le point de rupture nécessaire avec l'opportunisme fut clairement individualisé et préparé par les communistes, il était dangereux de considérer comme transitoire un phénomène qui, surgi des conditions les plus modernes de la production capitaliste, ne manquerait pas de ré-infester par la suite les rangs du parti du prolétariat.

5.3.13. L'opportunisme s'attaque donc directement à la théorie sous la forme du révisionnisme [7]. Il nia que le mode de production capitaliste connaisse l'évolution catastrophique qui avait été prévue par le programme communiste. Concrètement cela signifiait nier la concentration et la centralisation du capital, nier l'aggravation de l'exploitation envers la classe ouvrière, nier enfin l'approfondissement des contradictions du capital qui ne pouvaient mener qu'à des catastrophes et pour finir, à son renversement violent. Sur le plan politique, le révisionnisme en concluait qu'il fallait lutter uniquement pour l'obtention de réformes, afin de réaliser graduellement le socialisme, les "prémisses" de celui-ci étant de plus en plus ancrées dans la réalité de la société capitaliste. Sur le plan philosophique on rejetait le déterminisme matérialiste pour en revenir à Kant et à une justification "éthique" du socialisme. Là encore, le révisionnisme tirait sa force de la consolidation de la phase de soumission réelle du travail au capital ; mais tandis que pour le communisme révolutionnaire cette époque est celle du mûrissement des contradictions du MPC, qui vont désormais jouer pleinement, le révisionnisme en tirait la conclusion qu'il existait de nouveaux faits, que la théorie n'aurait pas prévus et qui démentaient celle-ci.

5.3.14. L'enjeu du conflit n'était pas autre chose que la préservation ou la liquidation de la théorie. Le problème central auquel se trouva confronté la II° Internationale au cours de son existence fut : évolution graduelle ou crise catastrophique du capitalisme ?

Ce dernier point de vue, celui révolutionnaire était défendu par Kautsky, Plékhanov, Lénine, Rosa Luxembourg etc.[8] Ils démontrèrent que le révisionnisme avait tort en ce qui concerne la concentration et la centralisation du capital, la paupérisation croissante du prolétariat, l'aggravation des antagonismes de classe. Ils démolirent l'argumentation révisionniste, qui était une tentative d'unifier tous les arguments possibles contre la théorie communiste, incluant ceux qu'elle avait déjà critiqués depuis longtemps.

"Les choses allaient encore plus mal pour le révisionnisme en ce qui concerne la théorie des crises et la théorie de la faillite. Ce n'est que pendant un laps de temps très court que seuls les moins clairvoyants ont pu songer à une refonte des principes de la doctrine de Marx sous l'influence de quelques années d'essor ou de prospérité industriels. La réalité ne tarda pas à montrer aux révisionnistes que l'époque des crises n'était pas révolue : une crise succéda à la prospérité."

(Lénine. Marxisme et révisionnisme. T.15 p.31)

Mais seuls d'authentiques révolutionnaires comme Lénine, Luxembourg en tiraient des conclusions révolutionnaires pratiques : si le capitalisme est promis à une évolution catastrophique, le moment viendra, tôt ou tard, où le prolétariat sera appelé à engager à nouveau la lutte contre son vieil ennemi ; pour s'y préparer, il lui faut un parti de luttes de classe [9]. C'est cette position des "gauches" qui était totalement en phase avec la stratégie d'Engels, qui se révéla profondément juste en 1914 .

5.3.15. Quant au courant "centriste" qui défendait formellement l'orthodoxie révolutionnaire (comme Kautsky dans "Le chemin du pouvoir" par exemple), Bernstein avait beau jeu de dire, face à lui, qu'il ne faisait qu'exprimer théoriquement ce que le parti du prolétariat était déjà devenu en pratique. A côté d'un opportunisme ouvert, marqué, il se manifestait dans la Seconde Internationale un courant encore plus dangereux peut-être, qui tout en défendant la lettre de la théorie, renonçait de fait à la préparation révolutionnaire pour ne se consacrer qu'à l'activité légale, parlementaire etc. Si la trahison pure et simple de la droite opportuniste était prévisible et prévue, on ne voyait pas suffisamment que ce centre orthodoxe, rattaché par mille liens à l'opportunisme, allait être entraîné dans l'abîme à sa suite, faisant sombrer corps et biens la Seconde Internationale dans le gouffre de la contre-révolution.

5.3.16. Au cours des congrès de la Seconde Internationale, la lutte contre le révisionnisme se manifesta de la manière suivante.

         - 1900. Congrès de Paris. Lutte contre le ministérialisme.

Comme nous l'avons déjà vu dans les thèses consacrées au mouvement ouvrier français[10], le courant réformiste dans ce pays - qui s'exprimait plus qu'ailleurs sur le plan politique - a bradé les principes au point d'envisager la participation de socialistes au gouvernement bourgeois. C'est ce qu'on a appelé le "ministérialisme". Violemment critiquée par l'aile révolutionnaire (Guesde, Vaillant) du mouvement, cette participation du centriste Millerand au ministère Waldeck-Rousseau en 1899 fut discutée devant le congrès de Paris de l'Internationale, en 1900.

Lénine souligne la portée internationale de ce débat :

"Si la critique théorique de Bernstein et de ces convoitises politiques demeuraient encore obscures pour certains, les Français ont pris soin de faire une démonstration pratique de la "nouvelle méthode". Cette fois encore la France a justifié sa réputation de "pays de l'histoire duquel la lutte des classes, plus qu'ailleurs était poussée réellement jusqu'au bout" (Engels). Au lieu de théoriser, les socialistes français ont agi délibérément ; les conditions politiques de la France, plus évoluées sous le rapport démocratique, leur ont permis de passer immédiatement au "bernsteinisme pratique" avec toutes ses conséquences. Millerand a fourni un brillant exemple de ce bernsteinisme pratique ; aussi, avec quel zèle Bernstein et Vollmar se sont-ils empressés de défendre et de louanger Millerand."

(Que Faire ? Œuvres. T.5 p.360)

La manière dont une telle tactique fut défendue par Jaurès, arguant qu'elle était nécessaire pour défendre la "république en danger" est caractéristique du réformisme : se référer à une tactique passée (en l'occurrence la défense de la république par le prolétariat dans le cours de la révolution bourgeoise), pour nier les échéances révolutionnaires présentes et futures. De la même manière, en 1914, le réformisme tentera de justifier sa trahison en recourant à des exemples historiques passés où le parti révolutionnaire appelait à la défense de la nation "oubliant" qu'il s'agissait désormais d'une guerre inter-impérialiste, et que la révolution communiste était à l'ordre du jour.

"Qui veut juger le jauréssisme du point de vue du matérialisme dialectique doit strictement distinguer entre les motifs subjectifs et les conditions historiques objectives. De son point de vue subjectif, Jaurès entendait sauver la République et s'alliait à cette fin à la démocratie bourgeoise. Les conditions objectives de cette "expérience" étaient les suivantes : la république était un fait en France, et aucun danger sérieux ne la menaçait ; la classe ouvrière avait pleine possibilité de développer son organisation politique indépendante de classe, mais - précisément influencée, dans une certaine mesure par les exercices parlementaires, brillants et abondants de ses chefs - ne mettait pas assez cette possibilité à profit ; l'histoire posait déjà, en réalité, devant la classe ouvrière le problème de la révolution socialiste, dont les Millerand détournaient le prolétariat en lui promettant de minuscules réformes sociales."

(Lénine. La dictature du prolétariat... Œuvres t.8 p.298)

La manière dont fut résolu le débat illustre bien l'impuissance de la Seconde Internationale à être un véritable parti révolutionnaire. Au lieu de condamner les expédients tactiques réformistes et de réaffirmer la nécessité de la préparation révolutionnaire, le congrès approuva la résolution de Kautsky (dont Lénine rappelait, bien des années plus tard la faiblesse à cette occasion, comme signe avant-coureur des trahisons futures [11]), qui laissait la porte ouverte à toutes les entreprises réformistes.

Voici le texte de cette résolution :

"Dans un Etat démocratique moderne, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ne peut être le résultat d'un coup de main, mais bien d'un long et pénible travail d'organisation prolétarienne sur le terrain économique et politique, de la régénération physique et morale de la classe ouvrière et de la conquête graduelle des municipalités et des assemblées législatives. Mais dans les pays où le pouvoir gouvernemental est centralisé, il ne peut être conquis fragmentairement.L'entrée d'un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois ne peut pas être considérée comme le commencement normal de la conquête politique, mais seulement comme un expédient forcé, transitoire et exceptionnel.Si, dans un cas particulier, la situation politique nécessite cette expérience dangereuse, c'est là une question de tactique et non de principe. Le congrès international n'a pas à se prononcer sur ce point. Mais, en tout cas, l'entrée d'un socialiste dans un gouvernement bourgeoise ne permet d'espérer de bons résultats pour le prolétariat militant que si le parti socialiste, dans sa grande majorité, approuve pareil acte, et si le ministre socialiste reste le mandataire de son parti.

Dans le cas, au contraire, où ce ministre devient indépendant de ce parti, ou n'en représente qu'une portion, son intervention dans un ministère bourgeois menace d'amener la désorganisation et la confusion pour le prolétariat militant ; elle menace de l'affaiblir, au lieu de le fortifier, et d'entraver la conquête prolétarienne des pouvoirs publics, au lieu de la favoriser."

On remarquera que, dans sa dernière partie, la résolution ne remet nullement en cause le caractère légal et pacifique de la "conquête des pouvoirs publics" mais qu'elle se contente de nier qu'une telle conquête puisse être le fait d'un socialiste isolé. Et surtout, comme le soulignait Lénine dans "L'Etat et la révolution", elle ne pose pas le problème de la destruction de l'Etat et de son remplacement par l'Etat prolétarien.

5.3.17.        1904. Congrès d'Amsterdam. Lutte contre le révisionnisme.

La lutte contre le révisionnisme, qui faisait rage dans la social-démocratie allemande depuis le congrès de Hanovre (1899) et de Lübeck (1901) trouva son apogée au congrès de Dresde (1903) où fut votée une résolution condamnant le révisionnisme et où l'aile gauche réclama avec force, mais hélas sans succès, l'exclusion des éléments révisionnistes.

L'importance et l'enjeu de cette lutte à l'échelle internationale amenèrent les Allemands à présenter leur résolution de Dresde devant le congrès d'Amsterdam (1904), afin de donner une sanction internationale à la condamnation du révisionnisme dans leurs propres rangs.

La résolution de Dresde "repousse de la façon la plus énergique les tentatives révisionnistes tendant à changer notre tactique éprouvée et glorieuse, basée sur la lutte des classes et à remplacer la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie par une politique de concessions à l'ordre établi.

La conséquence d'une telle tactique révisionniste serait de faire d'un parti qui poursuit la transformation la plus rapide possible de la société bourgeoise en société socialiste - un parti, par suite, révolutionnaire dans le meilleur sens du mot - un parti se contentant de réformer la société bourgeoise."

Les principaux adversaires de la résolution furent les réformistes français, Jaurès accusant la social-démocratie allemande de n'être révolutionnaire qu'en paroles et de manquer de tradition révolutionnaire, contrairement au prolétariat français qui avait arraché par sa lutte la république. Ce à quoi Bebel répondit que l'important n'était pas la lutte pour la république bourgeoise, mais pour la révolution socialiste.

Cependant, Jaurès mettait le doigt sur une contradiction réelle de la SD allemande, lorsqu'il s'écriait : "En ce moment, ce qui pèse sur l'Europe et sur le monde...c'est l'impuissance politique de la Social-Démocratie allemande !"

L'argumentation de Jaurès était la suivante : le Reich allemand n'étant pas une république démocratique, le parlement n'y a qu'un pouvoir restreint, le vrai pouvoir restant concentré aux mains de couches encore semi féodales ; dans ces conditions, les succès parlementaires du parti allemand n'ont qu'une influence réelle limitée. En même temps, restant cantonné dans cette sphère, il peut se permettre un radicalisme révolutionnaire d'autant plus grand qu'il est sans enjeu réel. On voit bien qu'au fond de la logique de Jaurès, il y a l'idée que les socialistes français sont plus raisonnables, plus "mûrs" parce que leur appartenance à une nation plus évoluée sur le plan politique les place devant des occasions concrètes d'agir directement au niveau de l'appareil du gouvernement bourgeois.

Toutefois, l'argument de Jaurès est inopérant dès lors qu'il sert de justificatif à une action de compromis avec l'Etat bourgeois. La dialectique entre l'action légale du prolétariat et la préparation révolutionnaire est toute autre. Car si le prolétariat doit lutter pour l'établissement de la république démocratique, celle-ci ne constitue pas un but en soi, un stade absolu à partir duquel on peut lutter pour l'obtention de réformes. Au contraire, elle n'a pour le prolétariat qu'une valeur transitoire (contrairement à la bourgeoisie, qui en fait le stade absolu de l'évolution de l'humanité, même si elle est par ailleurs disposée à la liquider formellement, à la moindre menace révolutionnaire) en tant que terrain de lutte le plus adéquat pour affronter la bourgeoisie de manière directe, immédiate, sans plus devoir mener de lutte contre d'autres adversaires comme par exemple les forces d'ancien régime.

Bien qu'adoptée par la majorité du congrès de 1904, la résolution de Dresde était impuissante, à elle seule, à redresser le cours opportuniste suivi par la II° Internationale. Pas plus que dans la social-démocratie allemande, on en tira des conclusions sur la nécessité d'expulser les éléments qui défendaient une tactique révisionniste. Ceux-ci en furent quittes pour camoufler hypocritement leurs positions. On réaffirmait la nature révolutionnaire du parti, mais on renonçait à en tirer des conclusions pratiques sur l'organisation et l'activité de celui-ci. Ce qui pouvait conduire un Bernstein à affirmer : "battu dans les congrès par la force de la tradition, le révisionnisme l'emporte victorieusement dans la pratique."

Un tel travail critique allait être entamé par les éléments révolutionnaires lors du congrès suivant.

5.3.18. 1907 - Congrès de Stuttgart. Unification des révolutionnaires dans la lutte contre le réformisme.

L'importance du congrès de Stuttgart réside dans le fait qu'il fut l'occasion pour la gauche révolutionnaire de renforcer la lutte contre le réformisme à l'échelle internationale, notamment en ce qui concerne la lutte contre le militarisme. La gauche internationale put se réunir en marge des assemblées générales et unifier sa tactique afin de "durcir" les résolutions du congrès. Pour cette raison, Lénine soulignait l'importance du congrès de Stuttgart.

"Somme toute, le congrès de Stuttgart a mis concrètement face à face sur toute une série de questions importantes, l'aile révolutionnaire et l'aile opportuniste de la social-démocratie internationale, et donné à ces questions une solution conforme à l'esprit du marxisme révolutionnaire. Les résolutions de ce congrès, explicitées lors des débats, doivent devenir le compagnon constant de tout propagandiste et de tout militant. L'unité tactique et l'unité de lutte révolutionnaire des prolétaires de tous les pays feront puissamment avancer le travail commencé à Stuttgart."

(Lénine. Le congrès socialiste international de Stuttgart. Œuvres. T.13 p.81)

Sur le plan organisationnel, Lénine voyait dans le congrès de Stuttgart la marque d'une plus grande organicité internationale, qui pouvait faire de l'Internationale une véritable autorité guidant et organisant l'avance du mouvement dans chaque pays.

"L'importance considérable du congrès socialiste international de Stuttgart réside précisément dans le fait qu'il a achevé de consolider la deuxième Internationale et qu'avec lui les congrès internationaux se sont transformés en assemblées de travail exerçant une influence profonde sur le caractère et l'orientation des activités du mouvement socialiste dans le monde entier. En principe, les différents partis nationaux ne sont pas obligés d'appliquer les décisions des congrès internationaux, mais la portée morale de ces décisions est telle que leur non-application est une exception presque aussi rare que la non-application par les partis des décisions de leurs propres congrès. Le congrès d'Amsterdam était parvenu à unir les socialistes français et sa résolution contre le "ministérialisme" traduisait véritablement la volonté du prolétariat conscient du monde entier et définissait la politique des partis ouvriers.

Le congrès de Stuttgart a constitué lui aussi un grand pas dans notre direction, s'avérant, sur toute une série de questions importantes, l'instance suprême qui allait déterminer la ligne politique du socialisme. Cette ligne, le congrès de Stuttgart, plus fermement encore que celui d'Amsterdam, l'a définie dans l'esprit de la social-démocratie révolutionnaire, face à l'opportunisme. C'est avec raison que l'Egalité, organe des travailleurs social-démocrates allemands publié sous la direction de Clara Zetkin, écrit à ce propos : "sur toutes les questions, les déviations opportunistes des différents partis socialistes ont été corrigées dans un esprit révolutionnaire grâce au travail des socialistes de tous les pays."

(Lénine . id. p.85. œuvres t.13)

L'un des grands succès de l'aile gauche à Stuttgart, fut l'amendement de la résolution sur la guerre. Déposée par Rosa Luxembourg et Martov, il stipulait que "la propagande, en cas de guerre, ne doit pas seulement viser la fin de la guerre, mais qu'il importe également de profiter de ce moment pour hâter la chute de la domination de la classe capitaliste."

Malheureusement, les conclusions d'un tel principe n'étaient pas tirées dans les faits, à savoir qu'on n'en déduisait rien quant à la préparation révolutionnaire. L'acceptation d'une telle résolution par le congrès, si elle avait un sens précis pour l'aile révolutionnaire, et constituait une défaite pour le courant opportuniste, n'empêchait pas la majorité de se maintenir dans "l'extrémisme en paroles et l'opportunisme en fait." Malgré Stuttgart, la gauche allait se trouver impuissante à endiguer le flot de l'opportunisme qui allait se manifester surtout sur la question de la guerre.

5.3.19. Le cours de l'opportunisme.

Si, comme nous l'avons vu, Lénine sous-estimait gravement la puissance du réformisme, notamment parce qu'il n'en individualisait pas les causes profondes, il défendait néanmoins clairement la tactique à suivre vis-à-vis de l'opportunisme, en prévision du cours que celui-ci devait nécessairement suivre historiquement.

La question à laquelle se trouvait confrontée l'aile gauche était : quelles sont les conditions de rupture avec le réformisme, sachant que celui-ci n'est pas un phénomène marginal, mais un courant important, exprimant la capacité de la bourgeoisie d'influencer profondément et durablement la classe ouvrière ?

Or, la lutte contre le réformisme ne pouvait se dérouler que là où celui-ci avait une influence réelle, c'est-à-dire dans les rangs du parti du prolétariat. Ce qui excluait toute possibilité d'abandon de l'organisation aux mains des opportunistes par exemple en organisant des scissions prématurées qui n'auraient pas été justifiées devant le prolétariat [12].

En fait, la lutte contre le réformisme était inséparable de la lutte pour la préparation révolutionnaire. Dans la mesure où le révisionnisme est la marque de la pénétration des intérêts bourgeois au sein de la classe ouvrière, et où il ne raisonne qu'en fonction du moment présent et des intérêts immédiats, il était prévisible qu'il serait incapable d'assumer ses responsabilités au moment de la crise révolutionnaire. Il se dévoilerait alors pour ce qu'il est réellement, à savoir un courant bourgeois, allié à la bourgeoisie et ennemi du prolétariat. Lorsque la rupture se produirait dans les faits, on ne pourrait dénoncer avec quelque efficacité la trahison de l'opportunisme que si dans le même temps on se montrait capable d'offrir au prolétariat une authentique voie révolutionnaire. Pour cela l'aile révolutionnaire devait se préparer à mener une lutte politique et théorique avant l'échéance révolutionnaire, pratique pendant la révolution.

"On ne peut pas se représenter la révolution sociale du prolétariat sans cette lutte (entre social-démocratie révolutionnaire et opportunisme NDR), sans qu'une démarcation claire et fondée doctrinalement apparaisse entre la "Montagne" et la "Gironde" socialistes, avant cette révolution, sans qu'il y ait rupture complète entre les éléments opportunistes, petits-bourgeois, et les éléments prolétariens, révolutionnaires, de la nouvelle force historique pendant cette révolution."

(Lénine. Le réformisme dans la Social-démocratie russe. t.17 p.231)

Si le centre (Kautsky et consorts) fut capable d'appuyer du poids de l'orthodoxie la première phase, celle doctrinale de la lutte, il se révéla complètement incapable d'engager la seconde, celle pratique, capitulant complètement devant le réformisme, c'est-à-dire devant la bourgeoisie.

L'important, dans la lutte contre le révisionnisme, était donc de maintenir cette capacité à prévoir, qui caractérise le parti communiste. Capacité à prévoir le moment où l'opportunisme serait incapable de faire face à l'éclatement de la crise révolutionnaire et donc le moment où il serait le plus facile d'arracher à son influence la masse du prolétariat à la recherche de son chemin de classe vers la reprise révolutionnaire.

"Ce que nous traversons aujourd'hui, le plus souvent dans l'ordre des idées seulement (soul. par nous NDR), à savoir les mises en cause des rectifications théoriques de Marx, ce qui, à l'heure présente ne se manifeste dans la pratique que pour certaines questions particulières du mouvement ouvrier, comme les divergences tactiques avec les révisionnistes et les scissions qui se produisent sur ce terrain, la classe ouvrière aura nécessairement (id. NDR) à le subir dans des proportions incomparablement plus vastes, lorsque la révolution prolétarienne aura aggravé toutes les questions litigieuses, concentré toutes les divergences sur des points d'une valeur immédiate pour la détermination de la conduite des masses, nous aura obligés, dans le feu de la lutte, à séparer les ennemis des amis, à rejeter les mauvais alliés pour porter à l'ennemi des coups décisifs."

(Lénine. marxisme et révisionnisme. œuvres t.15 p.36)

Cette prévision allait se révéler profondément juste en 1914, pour ce qui concerne la conduite du réformisme ; mais le degré de préparation révolutionnaire de la classe et du parti allait se révéler insuffisant pour empêcher l'organisation du naufrage de l'Internationale par le révisionnisme et ses alliés du centre.

 

                                                                           (à suivre)



[1] Ce plan, qui reprend le plan de travail d'Invariance, publié dans le N°5 de la première série, et dont une première partie avait été publiée dans le N°6, a été publié dans le N°11 de Communisme ou Civilisation.

[2] Le poids de cette mystification elle-même peut se mesurer au fait qu'elle atteint jusqu'au milieu révolutionnaire qui est incapable de trouver la boussole révolutionnaire dès qu'il s'agit de définir les rapports entre travail productif et improductif ou même de donner une définition du prolétariat.

[3] "En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation bourgeoise entre toutes veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Evidemment, de la part d'une nation qui exploite le monde entier, c'est jusqu'à un certain point logique." (Engels à Marx. 7 Oct. 1858).

[4] Le lecteur trouvera un exposé détaillé sur ces concepts et  les conséquences sur différents aspects de la vie du mode de production capitaliste, dans les numéros 5, 7 et 9 de Communisme ou Civilisation.

[5]  Sul Filo del Tempo, Battaglia N°5 - 1950, réédité par la revue Invariance Mars 1993

[6] Cf. sur ce point Communisme ou Civilisation N°5 - 1978.

[7] Sur le révisionnisme, cf. Communisme ou Civilisation N°8 - 1979 pp. 17-32

[8] cf. le travail sur "La crise catastrophique, base vivante et vitale de la prévision révolutionnaire du communisme", travail publié dans CouC et la RIMC depuis 1980.

[9] "Et la doctrine marxiste n'est pas seulement à même de le réfuter théoriquement, mais elle est seule capable d'expliquer d'ailleurs l'opportunisme comme phénomène historique dans le devenir du parti. La progression historique du prolétariat jusqu'à la victoire n'est effectivement pas une chose si simple. Toute l'originalité de ce mouvement réside en ce que, pour la première fois dans l'histoire, les masses populaires doivent réaliser leur volonté par elles-mêmes et contre toutes les classes dominantes, mais situer cette volonté dans l'au-delà de la société actuelle, par-delà cette société. Mais cette volonté, les masses ne peuvent se la façonner que dans la lutte continue avec l'ordre existant, que dans le cadre de cet ordre. Unifier la grande masse populaire avec un but qui dépasse tout l'ordre existant, la bataille de chaque jour avec la grande réforme du monde, tel est le gros problème du mouvement social-démocrate, lequel, conséquemment, doit opérer sa progression entre ces deux écueils : entre abandon du caractère de masse et abandon du but final, entre retombée à l'état de sectes et culbute dans le mouvement réformiste, bourgeois, entre anarchie et opportunisme."

(Rosa Luxembourg. Réforme ou révolution. p.79)

[10] cf. RIMC N° 6

[11] "...avant de s'élever contre les représentants les plus en vue de l'opportunisme en France (Millerand et Jaurès) et en Allemagne (Bernstein), Kautsky avait manifesté de très grands flottements. La revue marxiste Zaria, qui parut de 1901 à 1902 à Stuttgart et qui défendait les idées prolétariennes révolutionnaires avait du polémiser avec Kautsky et traiter de "résolution-caoutchouc" la résolution bâtarde, évasive et conciliatrice à l'égard des opportunistes qu'il avait proposée au Congrès socialiste de Paris en 1900. On a publié en Allemagne des lettres de Kautsky attestant de non moindres flottements avant son entrée en campagne contre Bernstein." (L'Etat et la révolution).

[12] Dans certaines circonstances, la scission fut possible, comme par exemple dans le Parti Socialiste Italien, qui expulsa les réformistes de la droite (Bissolati etc.) à son 13° congrès en 1912 à Reggio Emilia. En l'occurrence, il s'agissait d'une situation tout à fait conforme à celle décrite par Lénine : à l'occasion d'une crise (l'attentat contre le roi), les réformistes se rallient intégralement à une position bourgeoise (appui de la fraction parlementaire au monarque), démasquant ainsi vis-à-vis du prolétariat et du parti leur nature profonde d'alliés de la bourgeoisie. Dans un article du journal "Avanti", la Gauche du PSI soulignait qu'une telle lutte ne devait pas se laisser arrêter par le sentiment de l'unité si cette "unité" signifiait capitulation des principes révolutionnaires face aux poussées réformistes de l'ensemble de la classe ouvrière. Comme Marx le soulignait à propos du congrès de Gotha, une telle "unité" était "trop chèrement gagnée".

"Bissolati et ses camarades ont été poussés sur les marches du Quirinal par les exigences des organisations ouvrières mal préparées à la vraie lutte des classes. Ils sentaient le prolétariat derrière eux, et ont été tout étonnés lorsque le parti les a désavoués. Pour garder toute sa valeur à ce désaveu, le parti aujourd'hui aurait le devoir de retourner à la propagande envers les masses, pour leur redonner une conscience socialiste." (L'unita proletaria. Storia della Sinistra).