BREF HISTORIQUE DU MOUVEMENT DE LA CLASSE
PROLETARIENNE DANS L'AIRE EURO-NORD AMERICAINE DES ORIGINES A NOS JOURS.
5. LA SECONDE INTERNATIONALE
(suite).
En ce qui concerne l'étude de cette période du mouvement
ouvrier, notre plan se déroule de la manière suivante, en épousant les grandes
séquences qui rythment la vie de l'Internationale.
1889-1900 : les
années de fondation ; délimitation stricte vis-à-vis de l'anarchisme.
1900-1907 :
l'offensive opportuniste et la réaction des communistes authentiques.
1907-1914 : la
montée des périls et la délimitation par rapport à la guerre.
Dans notre dernière livraison (cf.
RIMC N°11), nous avons étudié la première période.
Au cours de ce numéro, nous examinerons le second thème, en
recourant à la succession des congrès pour suivre l'évolution des positions et
les polémiques. Ainsi les principaux débats qui marquent l'évolution de la
Seconde Internationale vers sa dégénérescence, trahison et faillite seront
abordés. Cependant, il existe d'autres éléments, sous-jacents ou plus
explicites, qui jalonnent la vie de la Seconde internationale - ce sont ceux de
l'action syndicale et de la grève générale, de l'activité parlementaire, ou de
l'attitude face à la question coloniale - et qui seront abordés dans les
numéros suivants. A travers l'étude de ces questions tactiques, nous suivrons
l'émergence des oppositions de gauche. Cette analyse se poursuivra dans le
texte de transition entre l'épisode de la Seconde Internationale et celui de
l'Internationale Communiste. Nous essaierons de connecter entre eux, ce qui est
toujours difficile sur le plan de l'exposition, l'étude de la vie des sections
et partis sur le plan national et de l'avancée des thèses communistes sur le
plan international. Enfin, par rapport au plan prévu dans les "Thèses de
travail"[1] , cette démarche
nous amènera à introduire dès le prochain chapitre la problématique de la
révolution double en Russie et de l'action du POSDR puis des bolcheviks, ce qui
nous conduira à aborder la partie consacrée à la "Question russe."
5.3. Opportunisme, réformisme, révisionnisme.
5.3.1. D'une
manière générale, on peut définir l'opportunisme comme la recherche de succès
immédiats au prix de diverses concessions tactiques, en négligeant de prendre
en compte les répercussions à long terme de telles tactiques sur les intérêts
profonds et les buts historiques de la classe prolétarienne. La plupart du
temps l'opportunisme (qu'aucune garantie institutionnelle ou organisationnelle
ne peut empêcher de surgir au sein d'un parti prolétarien) jure fidélité aux
principes mais justifie les concessions tactiques au nom des résultats
immédiats.
"On met au premier plan
des questions politiques générales abstraites, et l'on cache par là les
questions concrètes les plus pressantes qui, aux premiers évènements
importants, à la première crise politique, viennent d'elles-mêmes s'inscrire à
l'ordre du jour. Que peut-il en résulter, sinon qu'au moment décisif, le parti
sera pris au dépourvu et que sur les points décisifs règneront la confusion et
l'absence d'unité du fait que ces questions n'auront jamais été discutées ?
Cet oubli des grandes
considérations essentielles devant les intérêts passagers du jour, cette course
aux succès éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans se préoccuper
des conséquences ultérieures, cet abandon de l'avenir du mouvement que l'on
sacrifie au présent, tout cela a peut-être des mobiles "honnêtes".
Mais cela est et reste de l'opportunisme. Or l'opportunisme "honnête"
est peut-être le plus dangereux de tous."
(Engels. Critique du
programme d'Erfurt. Cité par Lénine dans "L'Etat
et la révolution".)
C'est pourquoi la lutte contre une tendance à l'opportunisme
au sein d'un parti ne peut se résoudre en abandonnant le terrain à
l'adversaire, ni en essayant de l'éliminer par une mesure purement
institutionnelle (par l'exclusion d'individus par exemple). Une fois
individualisées les causes matérielles profondes qui concourent à produire
cette déviation, il faut œuvrer à redresser le courant en rétablissant une
compréhension dialectique des rapports entre but final et mouvement, principe
et tactique. Jusqu'au bout, dans la Seconde Internationale, les défenseurs du
programme ont cohabité avec les opportunistes qui, s'ils contribuaient par leur
attitude à pourrir le parti du prolétariat, n'avaient pas encore réussi
(jusqu'en 1914) à en faire un pur et simple organe bourgeois.
5.3.2.
L'opportunisme, comme tendance générale au sein du mouvement ouvrier s'exprime
concrètement sous différentes formes. Mais avec le réformisme, qui finit par
privilégier la lutte pour les réformes comme but véritable du mouvement, et
conclut que la société bourgeoise ne se détruit pas mais se réforme, on passe à
un autre degré dans la corruption du prolétariat. L'opportunisme, en réalisant
son être, a aussi changé de camp et de fonction : il s'agit désormais de nier
toute capacité révolutionnaire au prolétariat.
"Les marxistes, à la
différence des anarchistes, reconnaissent la lutte pour les réformes,
c'est-à-dire pour telles améliorations dans la situation des travailleurs qui
laissent comme par le passé le pouvoir entre les mains de la classe dominante.
Mais, en même temps, les marxistes mènent la lutte plus énergique contre les
réformistes qui limitent directement ou indirectement aux réformes les aspirations
et l'activité de la classe ouvrière. Le réformisme est une duperie bourgeoise à
l'intention des ouvriers, qui resteront toujours des esclaves salariés, malgré
les améliorations isolées, aussi longtemps que durera la domination du
capital."
(Lénine. Marxisme et
réformisme. Œuvres t.19. p.399)
En même temps, Lénine montrait que la seule bonne réforme,
est celle qui est arrachée de haute lutte et non concédée à la suite de
manœuvres et de compromis. De même, la lutte pour les réformes doit toujours
être guidée en fonction de leur importance dans la préparation révolutionnaire
du prolétariat (par exemple la lutte pour le droit de réunion afin de favoriser
l'expression et l'organisation révolutionnaire).
5.3.3. Dans la
mesure où l'opportunisme est un produit de la pénétration des intérêts
bourgeois au sein du mouvement ouvrier, il s'est exprimé différemment suivant
les pays, prenant appui sur, et en retour accentuant les déviations
"nationales" du prolétariat de chacun des trois grands pays qui formèrent
le berceau du socialisme : opportunisme pratique (trade-unionisme) en
Grande-bretagne, forme plus "républicaine" en France avec le
ministérialisme, enfin justification "théorique" de l'opportunisme en
Allemagne avec le courant révisionniste. De même que le programme communiste
avait vu s'unifier théoriquement les expériences diverses de la classe ouvrière
des trois pays, de même l'opportunisme devait tenter de sommer les principales
déviations "nationales" en s'attaquant directement à la théorie communiste
là où celle-ci était le plus ancrée : en Allemagne.
Les anglais ont toujours privilégié les revendications
économiques, pratiques, au détriment de l'activité politique et théorique. Le
développement d'un fort mouvement syndical et les succès rencontrés par celui-ci
dans ses luttes pour l'amélioration des conditions de vie des masses ouvrières
devait former le terrain sur lequel allait se développer l'opportunisme en
Angleterre : surestimation de la lutte immédiate, au détriment de l'action
politique ; conception "trade-unioniste" de la lutte des classes ;
corruption des chefs syndicalistes.
Par contre en France, pays où a été privilégiée la forme
politique du combat pour l'émancipation du prolétariat, l'offensive du
réformisme se déploie sous l'aspect politique : participation de socialistes
aux ministères bourgeois, tentative de conquérir l'Etat de l'intérieur, etc.
C'est en Allemagne que la vague réformiste allait trouver à
la fois sa consécration et son achèvement. Le terrain d'attaque était plus
difficile, c'est aussi pour cela que l'attaque elle-même a été plus profonde,
en prenant la forme du courant révisionniste qui ne propose plus
seulement des recettes pour améliorer l'efficacité du mouvement ou susciter des
succès immédiats, mais s'attaque à ses principes mêmes, en en proposant la révision
intégrale, c'est-à-dire l'abandon.
"Si l'on tient compte de
certaines manifestations sporadiques qui se sont fait jour - nous pensons par
exemple à la fameuse question de la subvention accordée aux compagnies
maritimes - les tendances opportunistes à l'intérieur de notre mouvement
remontent assez loin. Mais c'est seulement en 1890 qu'on voit se dessiner une
tendance déclarée et unique en ce sens : après l'abolition de la loi
d'exception contre les socialistes, quand la social-démocratie eut reconquis le
terrain de la légalité. Le socialisme d'Etat à la Vollmar,
le vote du budget en Bavière, le socialisme agraire de l'Allemagne du Sud, les
projets de Heine tendant à l'établissement d'une politique de marchandage, les
vues de Schippel sur la politique douanière et la
milice : telles sont les principales étapes qui jalonnent la voie de la
pratique opportuniste.
Le signe distinctif de
l'opportunisme, c'est d'abord l'hostilité à la "théorie". C'est tout
naturel puisque notre "théorie" - c'est-à-dire les principes du
socialisme scientifique - pose des limites très fermes à l'action pratique à la
fois quant aux objectifs visés, aux moyens de lutte, et enfin au mode de
lutte lui-même. Aussi ceux qui ne cherchent que les succès pratiques ont-ils
tout naturellement tendance à réclamer la liberté de manœuvre, c'est-à-dire à
séparer la pratique de la "théorie", à s'en rendre indépendants.
Mais à chaque tentative
d'action pratique la théorie leur retombait sur la tête : le socialisme d'Etat,
le socialisme agraire, la politique de marchandage, le problème de la milice,
autant de défaites pour l'opportunisme. Bien évidemment, pour affirmer son
existence contre nos principes, ce courant devait, en toute logique, finir par
s'en prendre à la théorie elle-même, aux
principes, et plutôt que de les ignorer, chercher à les ébranler et à
construire sa propre théorie. La théorie de Bernstein fut une tentative de cet
ordre ; aussi avons-nous vu au congrès de Stuttgart tous les opportunistes se
grouper autour de la bannière de Bernstein.
Si les divers courants de
l'opportunisme pratique sont un phénomène très naturel, explicable par les
conditions de notre lutte et la croissance de notre mouvement, la théorie de
Bernstein est par ailleurs une tentative non moins naturelle pour réunir ces
courants en une expression théorique générale, pour découvrir une base
théorique qui leur soit propre et rompre en lice avec le socialisme
scientifique. La doctrine bernsteinienne servit donc de légitimation scientifique
à l'opportunisme et le soumit à l'épreuve du feu. Comment l'opportunisme
soutint-il cette épreuve ? Nous l'avons vu : l'opportunisme n'est pas en mesure
de construire une théorie positive qui résiste, si peu que ce soit à la
critique. Il n'est capable que de s'attaquer d'abord à certains principes
isolés de la doctrine marxiste ; mais comme cette doctrine constitue un édifice
solidement assemblé, il finit par abattre le système tout entier, du dernier
étage aux fondations. Ce qui prouve que l'opportunisme pratique est
incompatible, par sa nature et ses fondements, avec le système marxiste.(...)
La théorie de Bernstein fut la
première tentative, mais aussi la dernière, pour donner à l'opportunisme une
base théorique. Nous disons "la dernière" parce qu'avec la doctrine
bernsteinienne l'opportunisme est allé si loin - à la
fois négativement dans l'abjuration du socialisme scientifique et positivement
dans la confusion théorique, l'assemblage incohérent de tous les éléments
disponibles des autres systèmes - qu'il ne lui reste rien à ajouter. Le livre
de Bernstein marque la fin de l'évolution théorique de l'opportunisme, il en
tire les dernières conséquences."
(Rosa Luxembourg. Réforme
ou révolution. Maspero. pp.85-87)
5.3.4. Mais, de
même que le programme communiste n'est pas un programme "allemand",
mais est celui du prolétariat international en lutte pour son émancipation, de
même le révisionnisme, tout en étant immédiatement fruit de l'activité des
opportunistes allemands, puise en fait son matériel pratique dans toutes
les expériences opportunistes, surtout celle anglaise (Rosa Luxembourg a
souligné dans un article intitulé "Les lunettes anglaises", que c'est
l'observation de la société capitaliste anglaise et du mouvement ouvrier
anglais - notamment les fabiens - qui a fourni à Bernstein ses
"conclusions" théoriques sur la nécessité de réviser la théorie
communiste). Le révisionnisme a été la tentative de justifier théoriquement
toutes les variétés d'opportunisme qui se faisaient jour au sein du mouvement
ouvrier international.
Dans tous les cas, quelle que soit
la physionomie qu'il prend dans chaque nation, le réformisme est un seul et
même phénomène, qui atteint le prolétariat international, comme le soulignait
Lénine.
"Le révisionnisme est un
phénomène international. Pour tout socialiste un peu averti et pensant, il ne
saurait y avoir le moindre doute que les rapports entre les orthodoxes et les
bernsteiniens en Allemagne, entre les guesdistes et
les jauressistes (aujourd'hui les broussistes
surtout) en France ; entre la Fédération social-démocrate et le parti ouvrier
indépendant en Angleterre ; entre les bolcheviks et les mencheviks en Russie,
sont au fond partout de même nature, en dépit de l'immense diversité des
conditions nationales et des facteurs historiques dans l'état actuel de tous
ces pays. La "démarcation" au sein du socialisme international
contemporain s'établit, en fait dès aujourd'hui, suivant la même ligne
dans les divers pays du monde, attestant par là un grand pas en avant, en
comparaison de ce qui se passait il y a trente ou quarante ans, alors que, dans
les divers pays, des tendances dissemblables s'affrontaient au sein d'un
socialisme international unique."
(Lénine. Marxisme et
révisionnisme. œuvres t.15 p.28)
5.3.5. C'est dans
ce contexte que la Gauche Communiste d'Italie, parlait d'une véritable vague
opportuniste qui submerge le mouvement ouvrier international dans les dernières
années du 19° siècle.
"Si l'on fait abstraction
du bakouninisme dans la première Internationale
(1867-1871) et du Sorélisme dans la Deuxième
(1907-1914), que nous considérons comme des mouvements étrangers au marxisme,
une première vague de l'opportunisme au sein du mouvement prolétarien marxiste
est représentée par le révisionnisme social-démocrate. Sa vision était la
suivante : la victoire de la bourgeoisie étant partout assurée, une phase
historique sans insurrection et sans guerre s'ouvre ; sur la base de
l'extension de l'industrie, de l'augmentation du nombre des travailleurs et du
suffrage universel, le socialisme devient possible par évolution graduelle et
sans violence. On tente ainsi (Bernstein) de vider le marxisme de son contenu
révolutionnaire, en prétendant que celui-ci n'appartiendrait pas en propre à la
classe ouvrière, mais serait un reflet de mauvais aloi de la période
insurrectionnelle bourgeoise. Dans cette période, la question tactique de
l'alliance entre partis bourgeois avancés, ou de gauche, et partis prolétariens
revêt un aspect différent : il ne s'agit plus d'aider le capitalisme à naître,
mais d'en faire dériver le socialisme à l'aide de lois et de réformes : il ne
s'agit plus de se battre ensemble dans les villes et dans les campagnes, mais
de voter ensemble dans les assemblées parlementaires. Cette proposition de
former des alliances et des blocs allant jusqu'à l'acceptation de postes de
ministres par des chefs ouvriers revêt le caractère historique d'un abandon de
la voie révolutionnaire : c'est pourquoi les marxistes radicaux condamnent tout
bloc électoral."
(Thèses caractéristiques du
parti. 1951)
5.3.6. Les
racines matérielles du réformisme sont profondes et complexes. Outre la
classique explication par la "corruption des chefs ouvriers", le
révisionnisme s'est trouvé porté par la conjonction d'un certain nombre de
phénomènes historiques que le mouvement ouvrier n'avait pas encore connus
jusque-là.
Nous avons vu comment le mouvement prolétarien avait
engendré le programme communiste (cf. CouC N°s 16, 18), et comment celui-ci s'impose contre
toutes les autres tendances socialistes qui s'expriment au sein de la classe
ouvrière. Avec l'expérience de la Commune de Paris et la mort de la Ière Internationale, les thèses communistes se trouvent
confirmées de manière éclatante. Pour autant que survivent les divers courants
anarchistes, socialistes petits-bourgeois etc. leur
critique est déjà pleinement achevée, et la séparation d'avec eux est
consommée. C'est pourquoi à la mort de l'AIT, Marx et
Engels prévoient que la recomposition du mouvement se fera sur des bases
purement communistes. Or, cette même victoire et extension de la théorie
communiste exige que l'offensive des courants qui lui sont hostiles se porte à
un autre niveau. Désormais la critique de la théorie communiste va se faire sur
le terrain même du communisme, et au sein des partis socialistes et
sociaux-démocrates.
Lénine insiste sur cette dialectique en montrant que
l'influence de la théorie communiste a forcé ses adversaires à se déguiser en
communistes, en "marxistes".
"Dans les cinquante
premières années de son existence (à compter de 1840), le marxisme combattit
les théories qui lui étaient foncièrement hostiles. De 1840 à 1845 Marx et
Engels règlent leur compte aux jeunes hégéliens radicaux, qui s'en tenaient en
philosophie à l'idéalisme.
Vers la fin de la décennie
1840-1850, la lutte s'engage dans le domaine des doctrines économiques, contre
le proudhonisme. Les années 1850-1860 achèvent cette lutte critique des partis
et des doctrines qui se manifestèrent pendant la tourmente de 1848. De 1860 à
1870, la lutte passe du domaine de la théorie générale dans un domaine plus
proche du mouvement ouvrier proprement dit : le bakouninisme
est chassé de l'Internationale. Au début de la décennie 1870-1880 en Allemagne,
le proudhonien Mulhberger réussit quelques temps à se
faire valoir ; vers 1880, c'est le tour du positiviste Dühring. Mais cette fois
l'influence que l'un et l'autre exercent sur le prolétariat est tout à fait
insignifiante. Dès lors le marxisme l'emporte indéniablement sur toutes les
autres idéologies du mouvement ouvrier. (...) Le socialisme pré marxiste est
battu. Il poursuit la lutte, non plus sur son terrain propre mais sur le
terrain général du marxisme ; en tant que révisionnisme."
(id.
t.15 pp.28-29)
5.3.7. Lénine
donne une explication classique des causes de l'opportunisme, en faisant
intervenir les éléments suivants :
◊ Présence
permanente aux côtés du prolétariat d'une petite bourgeoisie en voie de
prolétarisation, qui draine avec elle ses concepts, ses préjugés, ses habitudes
petites-bourgeoises jusque dans les rangs du prolétariat. A cet égard, le
propre succès du parti du prolétariat renforce ce phénomène, dans la mesure où
il attire à lui une masse considérables de petits-bourgeois,
intellectuels etc.
◊◊
Le changement d'attitude de la bourgeoisie à l'égard du prolétariat. Inquiète
des succès du parti du prolétariat, la bourgeoisie, qui n'est déjà plus la
bourgeoisie triomphante du siècle passé, mais une classe sur le déclin, estime
(du moins sa frange la plus éclairée et la plus consciente) qu'il faut
travailler à amortir les antagonismes sociaux. D'où la défense par une fraction
de la bourgeoisie d'une politique ouvrière, d'où la cour faite aux chefs
ouvriers, qu'elle tente de corrompre en leur offrant des avantages, des postes
dans les rangs des serviteurs de la bourgeoisie etc.
◊◊◊
Enfin, et cet élément est à la racine matérielle des trois autres, Lénine
insiste sur la possibilité pour la bourgeoisie d'un pays donné de corrompre
"sa" classe ouvrière, grâce au monopole impérialiste de cette
nation. Le pillage des colonies, les super-profits
dégagés grâce à la politique impérialiste, permettent
de distribuer au prolétariat des "miettes" qui contribuent à lier son
sort à la bourgeoisie et à le corrompre.
5.3.8. Ce que
Lénine ne met pas suffisamment en évidence lorsqu'il évoque la présence d'une petite
bourgeoisie à côté du prolétariat, c'est que, à côté des anciennes classes
moyennes qui se prolétarisent, et dont le poids économique et social décroît -
mais qui peuvent encore conserver des effectifs très importants dans la société
- le MPC moderne suscite en même temps qu'une croissance du prolétariat, une
augmentation simultanée, et généralement dans des proportions plus grandes,
d'une classe moyenne salariée.
Loin d'être un démenti au programme révolutionnaire et aux
prévisions de Marx - ce que prétendait Bernstein, qui avait bien noté le
phénomène mais l'interprétait comme une réfutation du programme communiste - ce
développement d'une classe moyenne liée au travail improductif avait été prévu
par Marx, comme en témoigne ce passage des "Théories sur la
plus-value" que nous souhaitons citer ici dans son intégralité :
"Supposons que grâce à la
productivité de l'industrie on en soit arrivé à (p.242-3)
...devenu plus grand,
consommera plus de produits de luxe. p.244"
Nous reviendrons sur ces
aspects dans d'autres travaux. Ce qu'on peut noter ici, c'est que ce phénomène
ne s'atténue pas avec le développement du MPC, et qu'il fournit donc un terreau
favorable à l'épanouissement du réformisme. De fait, cette classe moyenne
moderne joue un rôle tampon, amortisseur des antagonismes entre les principales
classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat. Facteur de
conservation sociale, cette classe qui vit du surtravail pèse de tout son poids
sur le prolétariat. En outre, en tant que classe salariée, elle renforce la
mystification du capital qui tend à voiler l'opposition entre producteurs de
plus-value et consommateurs de celle-ci [2].
5.3.9. En
s'inspirant de thèses de Marx et Engels sur les difficultés de la pénétration
du socialisme en Angleterre (première nation impérialiste à l'époque) dès les
années 1850, Lénine en vient à insister sur le caractère limité et fragile
d'une telle corruption, avec la généralisation du développement des
contradictions impérialistes.
"Autrefois, l'on pouvait
soudoyer, corrompre pour des dizaines d'années la classe ouvrière de tout
un pays. Aujourd'hui ce serait invraisemblable, voire impossible ; par contre, chaque
"grande" puissance impérialiste peut soudoyer et soudoie des couches moins
nombreuses (que dans l'Angleterre des années 1848 à 1868) de
"l'aristocratie ouvrière". Autrefois, un "parti ouvrier
bourgeois", selon l'expression remarquablement profonde d'Engels, ne
pouvait se constituer que dans un seul pays, attendu qu'il était seul à détenir
le monopole, mais en revanche pour longtemps. Aujourd'hui, "le parti
ouvrier bourgeois" est inévitable et typique pour tous les pays
impérialistes mais, étant donné leur lutte acharnée pour le partage du butin,
il est improbable qu'un tel parti puisse triompher pour longtemps dans
plusieurs pays."
(Lénine. L'impérialisme et
la scission du socialisme. T.23 p.128)
Ainsi l'Angleterre qui a été pendant des lustres le seul
pays à jouir d'un monopole impérialiste, a pu corrompre profondément et pour
longtemps le prolétariat au point de former un véritable "parti ouvrier
bourgeois" (Engels)[3].
Mais dans la mesure où d'autres nations arrivent à ce stade de domination du
marché mondial à la fin du 19° siècle, Lénine estime que la concurrence inter-impérialiste qui s'établit ainsi, contribue à
affaiblir la domination impérialiste de chaque nation prise séparément. Ainsi,
on assiste à un double phénomène dans le même temps : une généralisation de la
création des "partis ouvriers bourgeois" à l'échelle internationale,
et à un affaiblissement de leur influence sur les masses, les conditions de
celles-ci empirant avec l'accroissement de la rivalité inter-impérialiste.
Autrement dit, la concurrence sur le marché mondial tend, selon Lénine, à saper
graduellement les bases matérielles même du réformisme. Les "miettes"
de l'exploitation impérialiste, en étant partagées en un plus grand nombre de
participants, contribuent à corrompre une plus grande masse de prolétaires à
l'échelle internationale, mais moins profondément à chaque fois. Le phénomène s'étend
et, à mesure, il s'affaiblit.
5.3.10. Aussi
bien sur la question de l'influence du développement des classes moyennes que
sur cette question des surprofits impérialistes, Lénine se montre incapable de
voir un phénomène très important, qui constitue la base matérielle principale
du réformisme, et qui est la métamorphose des mécanismes de l'exploitation
capitaliste : passage de l'extraction de la plus-value absolue à l'extraction
de plus-value relative, coïncidant avec le passage de la phase de soumission
formelle du travail au capital à la phase de soumission réelle du travail au
capital [4].
L'extraction de plus-value absolue ne peut s'accroître qu'en
utilisant deux méthodes : réduction du salaire réel et extension de la durée de
la journée de travail. Dans les deux cas, on attaque de front le prolétariat
qui se défend en s'organisant dans les syndicats. La lutte contre
l'exploitation se déroule sous la forme d'une lutte pour l'augmentation du
salaire réel, et la diminution du temps de travail.
En revanche l'extraction de plus-value relative, avec le
passage à la phase réelle, est basée sur l'accroissement de la productivité et
de l'intensité du travail. Tout en accroissant démesurément l'exploitation, le
capital se trouve en mesure de concéder un salaire réel plus élevé au
prolétariat, tout en accroissant le taux et la masse de la plus-value. Ainsi
l'on peut concéder aux ouvriers de meilleurs salaires, de meilleurs
conditions de vie et de travail, réduire le temps de travail, développer tout
un arsenal de lois de protection sociale. Il ne faut pas s'imaginer pour autant
que ces avantages sont concédés spontanément par la
bourgeoisie et sans que le prolétariat réussisse à les arracher à travers de
dures luttes de classes. En effet, si le
réformisme est un moment nécessaire du capital, en ce sens que ce
dernier est obligé d'acheter la paix sociale, il ne le fait absolument pas par
philanthropie, mais poussé par les nécessités de sa propre conservation.
Dans "Capitalisme et réformes"[5]
Bordiga souligne que l'Etat qui à l'origine
intervient dans la phase révolutionnaire bourgeoise pour discipliner par la
terreur le prolétariat naissant en même temps qu'il brise les vestiges de la
forme de production féodale [6],
est conduit dans un second temps à "légiférer dans un sens directement
opposé, à céder en apparence aux revendications ouvrières sur ce point, à
mobiliser tout un arsenal de phrases philanthropiques sur la justice sociale,
la santé du peuple etc." Ce faisant, l'Etat ne
fait que démontrer que le libre jeu du capitalisme est d'une telle violence
qu'il n'amène que la destruction et la ruine. Marx a montré, dans le Capital
que la révolution industrielle avait représenté un tel holocauste qu'une partie
de la bourgeoisie s'était trouvé effrayée, non pas dans l'abstrait, à la
manière humaniste, mais très concrètement car elle craignait d'en arriver à
détruire physiquement la source de la plus-value elle-même, la classe ouvrière.
Cependant, la bourgeoisie et son Etat n'auraient pas pris de mesures visant à
améliorer la situation du prolétariat (lois sociales, diminution de la journée
de travail etc.), si de la part de celui-ci, la
réaction ne s'était pas exprimée sous la forme de gigantesques luttes de
classes, et de l'unité de la classe en un sujet collectif agissant qui dépasse
le cadre du rapport individuel marchand dans lequel le droit bourgeois veut
enfermer l'ouvrier, seul face au capitaliste avec son "contrat de
travail".
"Au contraire, en passant
de la concurrence entre eux à l'action et à l'organisation commune, en
descendant dans la rue en révolte contre les traitements inhumains, les
ouvriers ont contraint l'Etat à intervenir de façon autoritaire dans les
rapports économiques de production et à les rectifier. Non seulement ils
s'assuraient ainsi un peu de temps et de répit pour se préparer à des luttes
d'une portée historique bien plus vaste, mais la preuve était donnée que le
système social et politique créé par la bourgeoisie n'apporte de garantie qu'à
une partie des composantes de la société, protège une domination de classe, et
doit historiquement être combattu, attaqué et renversé par des moyens
révolutionnaires, tout comme ceux qui l'ont précédé." (idem).
Le phénomène qui est au fondement du réformisme
contrairement à celui de la distribution des miettes des profits impérialistes
privilégié par Lénine, est un phénomène profond et durable, parce que
déterminé par le cours même de la réalisation du MPC, à travers les deux
phases historiques de celui-ci. C'est un aspect intrinsèque au développement du
MPC. Il en résulte que la possibilité de corrompre profondément non seulement
une partie de la classe ouvrière (ce qui correspond au concept de
l'aristocratie ouvrière), mais même sa totalité, est fournie par la réalisation
de l'être même du capital, et s'approfondit avec le développement de ce
dernier. Cette possibilité s'est donc non seulement étendue à de
nouvelles nations, mais s'est encore approfondie à l'intérieur de chaque
nation.
5.3.11. Les
racines du réformisme, sont donc bien plus profondes, bien plus ancrées dans la
réalité même de l'être-capital que ne veut bien le
voir Lénine. Sur le plan phénoménal, l'extension du réformisme recoupe bien,
effectivement, la forme décrite par Lénine. Au départ, seule l'Angleterre
connaît cette possibilité, grâce à son monopole impérialiste. Mais celui-ci
découle du fait qu'elle est la première nation à connaître le passage à la
phase de soumission réelle du travail au capital. De ce fait également, aux
surprofits coloniaux l'Angleterre peut ajouter des mécanismes internes, encore
plus importants pour comprendre l'extension et l'ampleur de la base matérielle
du réformisme, mécanismes qui sont liés au développement de la plus-value
relative.
Par la suite le phénomène s'étend à d'autres nations, dans
la mesure où celles-ci accèdent à leur tour à la phase de soumission réelle.
Ainsi la logique de Lénine est battue en brèche. Si, dans cette logique, on
pouvait penser que le phénomène irait en s'affaiblissant au fur et à mesure que
de nouveaux pays atteindraient le stade de "l'impérialisme",
puisqu'il y aurait moins de miettes à partager, c'est l'
inverse qui se produit lorsque plus de pays atteignent le stade de la
soumission réelle. Là, le réformisme se renforce puisque se consolident ses
bases matérielles créées par la propre métamorphose des conditions de
l'exploitation capitaliste.
Ce sont ces mêmes bases matérielles qui conditionnent la
politique de la classe bourgeoise à l'égard du camp ouvrier et lui dictent son
attitude qui consiste à tout faire pour favoriser la création d'un "parti
ouvrier bourgeois", d'un pôle représentatif de l'esclavage salarié au
sein de la société bourgeoise, d'un
"parti du travail" avec lequel puissent se discuter des aménagement
sociaux et politiques, en essayant d'enrayer la lutte de la classe
prolétarienne. Ainsi les politiques de séduction vis-à-vis des chefs ouvriers,
de reconnaissance de la classe ouvrière comme membre de la nation, comme acteur
de l'entreprise et de l'Etat, ne relèvent pas d'une simple manœuvre ou d'une
tactique, elles expriment une nécessité profonde pour la bourgeoisie devant le
poids croissant du prolétariat et de la menace qu'il représente. Cette
nécessité de gouverner avec "l'appui de la classe ouvrière" (Engels)
est d'autant plus forte dans le capitalisme moderne que se développent en même
temps les possibilités matérielles de négocier cet appui.
Par rapport à tous ces points, et en regard du développement
du Mode de Production Capitaliste, Lénine est conduit à sous-estimer l'ampleur
de la gangrène réformiste et, tout en en prévoyant justement le cours, à
considérer avec trop d'optimisme le poids de son influence réelle sur la
classe.
Le corollaire de cette sous-estimation s'exprime
parfaitement dans les problèmes liés à la tactique. En effet, si la diminution
des surprofits coloniaux aboutit à la fragilisation du réformisme, alors la
base d'action des partis réformistes s'affaiblit en quelque sorte
"naturellement". La victoire contre eux est inscrite dans le cours
des choses, et il suffira d'un coup d'épaules pour précipiter leur chute. La
sous-estimation de leur poids dans la société conduit donc à l'adoption d'une
tactique plus "souple" que si l'on admet que l'ennemi est là et bien
là parce que le cours même de la vie du capital ne fait que renforcer sa puissance.
En outre, dans un cas les luttes anti-coloniales joueront un rôle plus que
prépondérant dans l'affaiblissement du réformisme, dans l'autre cas, il faudra
que des crises violentes viennent saper les bases du réformisme à l'intérieur
même des métropoles capitalistes.
5.3.12. Lénine
fut ainsi empêché de voir les racines "modernes" et profondes du
réformisme. Sans nier la lutte contre celui-ci (il fut l'un des plus ardents
défenseurs de l'orthodoxie révolutionnaire) il considérait toutefois celui-ci
comme un phénomène transitoire, propre à la période 1871-1914, qu'il
caractérise ainsi :
"La faillite de la II°
Internationale s'est exprimée avec le plus de relief dans la trahison
scandaleuse par la majorité des partis social-démocrates
officiels d'Europe, de leurs convictions et de leurs résolutions solennelles de
Stuttgart et de Bâle. Mais cette faillite, qui marque la victoire totale de
l'opportunisme, la transformation des partis social-démocrates
en partis ouvriers national-libéraux, n'est que le
résultat de toute l'époque historique de la II° Internationale, de la fin du
XIX° siècle. Les conditions objectives de cette époque transitoire - qui
va de l'achèvement des révolutions bourgeoises et nationales en Europe
occidentale au commencement des révolutions socialistes, - ont engendré et
alimenté l'opportunisme."
(Lénine. La faillite de
l'Internationale p.250 t.21)
Ceci a surtout de l'importance en ce qui concerne la
Troisième Internationale car si dans la Seconde, le point de rupture nécessaire
avec l'opportunisme fut clairement individualisé et préparé par les
communistes, il était dangereux de considérer comme transitoire un phénomène
qui, surgi des conditions les plus modernes de la production capitaliste, ne
manquerait pas de ré-infester par la suite les rangs
du parti du prolétariat.
5.3.13.
L'opportunisme s'attaque donc directement à la théorie sous la forme du révisionnisme [7].
Il nia que le mode de production capitaliste connaisse l'évolution
catastrophique qui avait été prévue par le programme communiste. Concrètement
cela signifiait nier la concentration et la centralisation du capital, nier
l'aggravation de l'exploitation envers la classe ouvrière, nier enfin
l'approfondissement des contradictions du capital qui ne pouvaient mener qu'à
des catastrophes et pour finir, à son renversement violent. Sur le plan
politique, le révisionnisme en concluait qu'il fallait lutter uniquement pour
l'obtention de réformes, afin de réaliser graduellement le socialisme, les
"prémisses" de celui-ci étant de plus en plus ancrées dans la réalité
de la société capitaliste. Sur le plan philosophique on rejetait le
déterminisme matérialiste pour en revenir à Kant et à une justification
"éthique" du socialisme. Là encore, le révisionnisme tirait sa force
de la consolidation de la phase de soumission réelle du travail au capital ;
mais tandis que pour le communisme révolutionnaire cette époque est celle du
mûrissement des contradictions du MPC, qui vont désormais jouer pleinement, le
révisionnisme en tirait la conclusion qu'il existait de nouveaux faits, que la
théorie n'aurait pas prévus et qui démentaient celle-ci.
5.3.14. L'enjeu
du conflit n'était pas autre chose que la préservation ou la liquidation de la
théorie. Le problème central auquel se trouva confronté la II° Internationale
au cours de son existence fut : évolution graduelle ou crise catastrophique du
capitalisme ?
Ce dernier point de vue, celui révolutionnaire était défendu
par Kautsky, Plékhanov, Lénine, Rosa Luxembourg etc.[8]
Ils démontrèrent que le révisionnisme avait tort en ce qui concerne la
concentration et la centralisation du capital, la paupérisation croissante du
prolétariat, l'aggravation des antagonismes de classe. Ils démolirent
l'argumentation révisionniste, qui était une tentative d'unifier tous les arguments
possibles contre la théorie communiste, incluant ceux qu'elle avait déjà
critiqués depuis longtemps.
"Les choses allaient
encore plus mal pour le révisionnisme en ce qui concerne la théorie des crises
et la théorie de la faillite. Ce n'est que pendant un laps de temps très court
que seuls les moins clairvoyants ont pu songer à une refonte des principes de
la doctrine de Marx sous l'influence de quelques années d'essor ou de
prospérité industriels. La réalité ne tarda pas à montrer aux révisionnistes
que l'époque des crises n'était pas révolue : une crise succéda à la
prospérité."
(Lénine. Marxisme et
révisionnisme. T.15 p.31)
Mais seuls d'authentiques révolutionnaires comme Lénine,
Luxembourg en tiraient des conclusions révolutionnaires pratiques : si
le capitalisme est promis à une évolution catastrophique, le moment viendra,
tôt ou tard, où le prolétariat sera appelé à engager à nouveau la lutte contre
son vieil ennemi ; pour s'y préparer, il lui faut un parti de luttes de classe [9].
C'est cette position des "gauches" qui était totalement en phase avec
la stratégie d'Engels, qui se révéla profondément juste en 1914
.
5.3.15. Quant au
courant "centriste" qui défendait formellement l'orthodoxie
révolutionnaire (comme Kautsky dans "Le chemin du pouvoir" par
exemple), Bernstein avait beau jeu de dire, face à lui, qu'il ne faisait
qu'exprimer théoriquement ce que le parti du prolétariat était déjà devenu en
pratique. A côté d'un opportunisme ouvert, marqué, il se manifestait dans la
Seconde Internationale un courant encore plus dangereux peut-être, qui tout en
défendant la lettre de la théorie, renonçait de fait à la préparation
révolutionnaire pour ne se consacrer qu'à l'activité légale, parlementaire etc. Si la trahison pure et simple de la droite opportuniste
était prévisible et prévue, on ne voyait pas suffisamment que ce centre
orthodoxe, rattaché par mille liens à l'opportunisme, allait être entraîné dans
l'abîme à sa suite, faisant sombrer corps et biens la Seconde Internationale
dans le gouffre de la contre-révolution.
5.3.16. Au cours
des congrès de la Seconde Internationale, la lutte contre le révisionnisme se
manifesta de la manière suivante.
- 1900.
Congrès de Paris. Lutte contre le ministérialisme.
Comme nous l'avons déjà vu dans les thèses consacrées au
mouvement ouvrier français[10],
le courant réformiste dans ce pays - qui s'exprimait plus qu'ailleurs sur le
plan politique - a bradé les principes au point d'envisager la participation de
socialistes au gouvernement bourgeois. C'est ce qu'on a appelé le
"ministérialisme". Violemment critiquée par l'aile révolutionnaire
(Guesde, Vaillant) du mouvement, cette participation du centriste Millerand au
ministère Waldeck-Rousseau en 1899 fut discutée devant le congrès de Paris de
l'Internationale, en 1900.
Lénine souligne la portée internationale de ce débat :
"Si la critique théorique
de Bernstein et de ces convoitises politiques demeuraient encore obscures pour
certains, les Français ont pris soin de faire une démonstration pratique de la
"nouvelle méthode". Cette fois encore la France a justifié sa
réputation de "pays de l'histoire duquel la lutte des classes, plus
qu'ailleurs était poussée réellement jusqu'au bout" (Engels). Au lieu de
théoriser, les socialistes français ont agi délibérément ; les conditions
politiques de la France, plus évoluées sous le rapport démocratique, leur ont
permis de passer immédiatement au "bernsteinisme
pratique" avec toutes ses conséquences. Millerand a fourni un brillant
exemple de ce bernsteinisme pratique ; aussi, avec
quel zèle Bernstein et Vollmar se sont-ils empressés
de défendre et de louanger Millerand."
(Que Faire ? Œuvres. T.5
p.360)
La manière dont une telle tactique fut défendue par Jaurès,
arguant qu'elle était nécessaire pour défendre la "république en
danger" est caractéristique du réformisme : se référer à une tactique
passée (en l'occurrence la défense de la république par le prolétariat dans le
cours de la révolution bourgeoise), pour nier les échéances révolutionnaires
présentes et futures. De la même manière, en 1914, le réformisme tentera de
justifier sa trahison en recourant à des exemples historiques passés où le
parti révolutionnaire appelait à la défense de la nation "oubliant"
qu'il s'agissait désormais d'une guerre inter-impérialiste,
et que la révolution communiste était à l'ordre du jour.
"Qui veut juger le jauréssisme du point de vue du matérialisme dialectique
doit strictement distinguer entre les motifs subjectifs et les conditions
historiques objectives. De son point de vue subjectif, Jaurès entendait sauver
la République et s'alliait à cette fin à la démocratie bourgeoise. Les
conditions objectives de cette "expérience" étaient les suivantes :
la république était un fait en France, et aucun danger sérieux ne la menaçait ;
la classe ouvrière avait pleine possibilité de développer son organisation
politique indépendante de classe, mais - précisément influencée, dans une
certaine mesure par les exercices parlementaires, brillants et abondants de ses
chefs - ne mettait pas assez cette possibilité à profit ; l'histoire
posait déjà, en réalité, devant la classe ouvrière le problème de la révolution
socialiste, dont les Millerand détournaient le prolétariat en lui
promettant de minuscules réformes sociales."
(Lénine. La dictature du
prolétariat... Œuvres t.8 p.298)
La manière dont fut résolu le débat illustre bien
l'impuissance de la Seconde Internationale à être un véritable parti
révolutionnaire. Au lieu de condamner les expédients tactiques réformistes et
de réaffirmer la nécessité de la préparation révolutionnaire, le congrès
approuva la résolution de Kautsky (dont Lénine rappelait, bien des années plus
tard la faiblesse à cette occasion, comme signe avant-coureur des trahisons futures [11]),
qui laissait la porte ouverte à toutes les entreprises réformistes.
Voici le texte de cette résolution :
"Dans un Etat
démocratique moderne, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ne
peut être le résultat d'un coup de main, mais bien d'un long et pénible travail
d'organisation prolétarienne sur le terrain économique et politique, de la
régénération physique et morale de la classe ouvrière et de la conquête
graduelle des municipalités et des assemblées législatives. Mais dans les pays
où le pouvoir gouvernemental est centralisé, il ne peut être conquis fragmentairement.L'entrée
d'un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois ne peut pas être
considérée comme le commencement normal de la conquête politique, mais
seulement comme un expédient forcé, transitoire et exceptionnel.Si, dans un cas
particulier, la situation politique nécessite cette expérience dangereuse,
c'est là une question de tactique et non de principe. Le congrès international
n'a pas à se prononcer sur ce point. Mais, en tout cas, l'entrée d'un
socialiste dans un gouvernement bourgeoise ne permet d'espérer de bons
résultats pour le prolétariat militant que si le parti socialiste, dans sa
grande majorité, approuve pareil acte, et si le ministre socialiste reste le
mandataire de son parti.
Dans le cas, au contraire, où
ce ministre devient indépendant de ce parti, ou n'en représente qu'une portion,
son intervention dans un ministère bourgeois menace d'amener la désorganisation
et la confusion pour le prolétariat militant ; elle menace de l'affaiblir,
au lieu de le fortifier, et d'entraver la conquête prolétarienne des pouvoirs
publics, au lieu de la favoriser."
On remarquera que, dans sa dernière partie, la résolution ne
remet nullement en cause le caractère légal et pacifique de la "conquête
des pouvoirs publics" mais qu'elle se contente de nier qu'une telle
conquête puisse être le fait d'un socialiste isolé. Et surtout, comme le
soulignait Lénine dans "L'Etat et la
révolution", elle ne pose pas le problème de la destruction de l'Etat
et de son remplacement par l'Etat prolétarien.
5.3.17. 1904. Congrès d'Amsterdam. Lutte
contre le révisionnisme.
La lutte contre le révisionnisme, qui faisait rage dans la
social-démocratie allemande depuis le congrès de Hanovre (1899) et de Lübeck
(1901) trouva son apogée au congrès de Dresde (1903) où fut votée une
résolution condamnant le révisionnisme et où l'aile gauche réclama avec force,
mais hélas sans succès, l'exclusion des éléments révisionnistes.
L'importance et l'enjeu de cette lutte à l'échelle
internationale amenèrent les Allemands à présenter leur résolution de Dresde
devant le congrès d'Amsterdam (1904), afin de donner une sanction
internationale à la condamnation du révisionnisme dans leurs propres rangs.
La résolution de Dresde "repousse de la façon la plus
énergique les tentatives révisionnistes tendant à changer notre tactique
éprouvée et glorieuse, basée sur la lutte des classes et à remplacer la conquête
du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie par une politique de
concessions à l'ordre établi.
La conséquence d'une telle tactique révisionniste serait de
faire d'un parti qui poursuit la transformation la plus rapide possible de la
société bourgeoise en société socialiste - un parti, par suite, révolutionnaire
dans le meilleur sens du mot - un parti se contentant de réformer la société
bourgeoise."
Les principaux adversaires de la résolution furent les
réformistes français, Jaurès accusant la social-démocratie allemande de n'être
révolutionnaire qu'en paroles et de manquer de tradition révolutionnaire,
contrairement au prolétariat français qui avait arraché par sa lutte la
république. Ce à quoi Bebel répondit que l'important n'était pas la lutte pour
la république bourgeoise, mais pour la révolution socialiste.
Cependant, Jaurès mettait le doigt sur une contradiction
réelle de la SD allemande, lorsqu'il s'écriait : "En ce moment, ce qui
pèse sur l'Europe et sur le monde...c'est l'impuissance politique de la Social-Démocratie allemande !"
L'argumentation de Jaurès était la suivante : le Reich
allemand n'étant pas une république démocratique, le parlement n'y a qu'un
pouvoir restreint, le vrai pouvoir restant concentré aux mains de couches
encore semi féodales ; dans ces conditions, les succès parlementaires du parti
allemand n'ont qu'une influence réelle limitée. En même temps, restant cantonné
dans cette sphère, il peut se permettre un radicalisme révolutionnaire d'autant
plus grand qu'il est sans enjeu réel. On voit bien qu'au fond de la logique de
Jaurès, il y a l'idée que les socialistes français sont plus raisonnables, plus
"mûrs" parce que leur appartenance à une nation plus évoluée sur le
plan politique les place devant des occasions concrètes d'agir directement au
niveau de l'appareil du gouvernement bourgeois.
Toutefois, l'argument de Jaurès est inopérant dès lors qu'il
sert de justificatif à une action de compromis avec l'Etat bourgeois. La
dialectique entre l'action légale du prolétariat et la préparation
révolutionnaire est toute autre. Car si le prolétariat doit lutter pour
l'établissement de la république démocratique, celle-ci ne constitue pas un but
en soi, un stade absolu à partir duquel on peut lutter pour l'obtention de
réformes. Au contraire, elle n'a pour le prolétariat qu'une valeur
transitoire (contrairement à la bourgeoisie, qui en fait le stade absolu de
l'évolution de l'humanité, même si elle est par ailleurs disposée à la liquider
formellement, à la moindre menace révolutionnaire) en tant que terrain de
lutte le plus adéquat pour affronter la bourgeoisie de manière directe,
immédiate, sans plus devoir mener de lutte contre d'autres adversaires comme
par exemple les forces d'ancien régime.
Bien qu'adoptée par la majorité du congrès de 1904, la
résolution de Dresde était impuissante, à elle seule, à redresser le cours
opportuniste suivi par la II° Internationale. Pas plus que dans la
social-démocratie allemande, on en tira des conclusions sur la nécessité
d'expulser les éléments qui défendaient une tactique révisionniste. Ceux-ci en
furent quittes pour camoufler hypocritement leurs positions. On réaffirmait la
nature révolutionnaire du parti, mais on renonçait à en tirer des conclusions
pratiques sur l'organisation et l'activité de celui-ci. Ce qui pouvait conduire
un Bernstein à affirmer : "battu dans les congrès par la force de la
tradition, le révisionnisme l'emporte victorieusement dans la pratique."
Un tel travail critique allait être entamé par les éléments
révolutionnaires lors du congrès suivant.
5.3.18. 1907 -
Congrès de Stuttgart. Unification des révolutionnaires dans la lutte contre le
réformisme.
L'importance du congrès de Stuttgart réside dans le fait
qu'il fut l'occasion pour la gauche révolutionnaire de renforcer la lutte
contre le réformisme à l'échelle internationale, notamment en ce qui concerne
la lutte contre le militarisme. La gauche internationale put
se réunir en marge des assemblées générales et unifier sa tactique afin de
"durcir" les résolutions du congrès. Pour cette raison, Lénine
soulignait l'importance du congrès de Stuttgart.
"Somme toute, le congrès
de Stuttgart a mis concrètement face à face sur toute une série de questions
importantes, l'aile révolutionnaire et l'aile opportuniste de la
social-démocratie internationale, et donné à ces questions une solution
conforme à l'esprit du marxisme révolutionnaire. Les résolutions de ce congrès,
explicitées lors des débats, doivent devenir le compagnon constant de tout
propagandiste et de tout militant. L'unité tactique et l'unité de lutte
révolutionnaire des prolétaires de tous les pays feront puissamment avancer le
travail commencé à Stuttgart."
(Lénine. Le congrès
socialiste international de Stuttgart. Œuvres. T.13 p.81)
Sur le plan organisationnel, Lénine voyait dans le congrès
de Stuttgart la marque d'une plus grande organicité internationale, qui pouvait
faire de l'Internationale une véritable autorité guidant et organisant l'avance
du mouvement dans chaque pays.
"L'importance
considérable du congrès socialiste international de Stuttgart réside
précisément dans le fait qu'il a achevé de consolider la deuxième
Internationale et qu'avec lui les congrès internationaux se sont transformés en
assemblées de travail exerçant une influence profonde sur le caractère et
l'orientation des activités du mouvement socialiste dans le monde entier. En
principe, les différents partis nationaux ne sont pas obligés d'appliquer les
décisions des congrès internationaux, mais la portée morale de ces décisions
est telle que leur non-application est une exception
presque aussi rare que la non-application par les
partis des décisions de leurs propres congrès. Le congrès d'Amsterdam était
parvenu à unir les socialistes français et sa résolution contre le
"ministérialisme" traduisait véritablement la volonté du prolétariat
conscient du monde entier et définissait la politique des partis ouvriers.
Le congrès de Stuttgart a
constitué lui aussi un grand pas dans notre direction, s'avérant, sur toute une
série de questions importantes, l'instance suprême qui allait déterminer la
ligne politique du socialisme. Cette ligne, le congrès de Stuttgart, plus
fermement encore que celui d'Amsterdam, l'a définie dans l'esprit de la
social-démocratie révolutionnaire, face à l'opportunisme. C'est avec raison que
l'Egalité, organe des travailleurs social-démocrates
allemands publié sous la direction de Clara Zetkin, écrit à ce propos :
"sur toutes les questions, les déviations opportunistes des différents
partis socialistes ont été corrigées dans un esprit révolutionnaire grâce au
travail des socialistes de tous les pays."
(Lénine .
id. p.85. œuvres t.13)
L'un des grands succès de l'aile gauche à Stuttgart, fut
l'amendement de la résolution sur la guerre. Déposée par Rosa Luxembourg et
Martov, il stipulait que "la propagande, en cas de guerre, ne doit pas
seulement viser la fin de la guerre, mais qu'il importe également de profiter
de ce moment pour hâter la chute de la domination de la classe
capitaliste."
Malheureusement, les conclusions d'un tel principe n'étaient
pas tirées dans les faits, à savoir qu'on n'en déduisait rien quant à la
préparation révolutionnaire. L'acceptation d'une telle résolution par le
congrès, si elle avait un sens précis pour l'aile révolutionnaire, et
constituait une défaite pour le courant opportuniste, n'empêchait pas la
majorité de se maintenir dans "l'extrémisme en paroles et l'opportunisme
en fait." Malgré Stuttgart, la gauche allait se trouver impuissante à
endiguer le flot de l'opportunisme qui allait se manifester surtout sur la
question de la guerre.
5.3.19. Le
cours de l'opportunisme.
Si, comme nous l'avons vu, Lénine sous-estimait gravement la
puissance du réformisme, notamment parce qu'il n'en individualisait pas les
causes profondes, il défendait néanmoins clairement la tactique à suivre
vis-à-vis de l'opportunisme, en prévision du cours que celui-ci devait
nécessairement suivre historiquement.
La question à laquelle se trouvait confrontée l'aile gauche
était : quelles sont les conditions de rupture avec le réformisme, sachant que
celui-ci n'est pas un phénomène marginal, mais un courant important, exprimant
la capacité de la bourgeoisie d'influencer profondément et durablement la
classe ouvrière ?
Or, la lutte contre le réformisme ne pouvait se dérouler que
là où celui-ci avait une influence réelle, c'est-à-dire dans les rangs du
parti du prolétariat. Ce qui excluait toute possibilité d'abandon de
l'organisation aux mains des opportunistes par exemple en organisant des
scissions prématurées qui n'auraient pas été justifiées devant le prolétariat [12].
En fait, la lutte contre le réformisme était inséparable de
la lutte pour la préparation révolutionnaire. Dans la mesure où le
révisionnisme est la marque de la pénétration des intérêts bourgeois au sein de
la classe ouvrière, et où il ne raisonne qu'en fonction du moment présent et
des intérêts immédiats, il était prévisible qu'il serait incapable d'assumer
ses responsabilités au moment de la crise révolutionnaire. Il se dévoilerait
alors pour ce qu'il est réellement, à savoir un courant bourgeois, allié à la
bourgeoisie et ennemi du prolétariat. Lorsque la rupture se produirait dans
les faits, on ne pourrait dénoncer avec quelque efficacité la trahison de
l'opportunisme que si dans le même temps on se montrait capable d'offrir au
prolétariat une authentique voie révolutionnaire. Pour cela l'aile
révolutionnaire devait se préparer à mener une lutte politique et théorique
avant l'échéance révolutionnaire, pratique pendant la révolution.
"On ne peut pas se
représenter la révolution sociale du prolétariat sans cette lutte (entre
social-démocratie révolutionnaire et opportunisme NDR), sans qu'une démarcation
claire et fondée doctrinalement apparaisse entre la "Montagne" et la
"Gironde" socialistes, avant cette révolution, sans qu'il y
ait rupture complète entre les éléments opportunistes, petits-bourgeois, et les
éléments prolétariens, révolutionnaires, de la nouvelle force historique pendant
cette révolution."
(Lénine. Le réformisme dans
la Social-démocratie russe. t.17 p.231)
Si le centre (Kautsky et consorts) fut capable d'appuyer du
poids de l'orthodoxie la première phase, celle doctrinale de la lutte,
il se révéla complètement incapable d'engager la seconde, celle pratique,
capitulant complètement devant le réformisme, c'est-à-dire devant la
bourgeoisie.
L'important, dans la lutte contre le révisionnisme, était
donc de maintenir cette capacité à prévoir, qui caractérise le parti
communiste. Capacité à prévoir le moment où l'opportunisme serait incapable de
faire face à l'éclatement de la crise révolutionnaire et donc le moment où il
serait le plus facile d'arracher à son influence la masse du prolétariat à la
recherche de son chemin de classe vers la reprise révolutionnaire.
"Ce que nous traversons
aujourd'hui, le plus souvent dans l'ordre des idées seulement (soul. par
nous NDR), à savoir les mises en cause des rectifications théoriques de Marx,
ce qui, à l'heure présente ne se manifeste dans la pratique que pour certaines
questions particulières du mouvement ouvrier, comme les divergences tactiques
avec les révisionnistes et les scissions qui se produisent sur ce terrain, la
classe ouvrière aura nécessairement (id. NDR) à le subir dans des
proportions incomparablement plus vastes, lorsque la révolution prolétarienne
aura aggravé toutes les questions litigieuses, concentré toutes les divergences
sur des points d'une valeur immédiate pour la détermination de la conduite des
masses, nous aura obligés, dans le feu de la lutte, à séparer les ennemis des
amis, à rejeter les mauvais alliés pour porter à l'ennemi des coups
décisifs."
(Lénine. marxisme et
révisionnisme. œuvres t.15 p.36)
Cette prévision allait se révéler profondément juste en
1914, pour ce qui concerne la conduite du réformisme ; mais le degré de
préparation révolutionnaire de la classe et du parti allait se révéler
insuffisant pour empêcher l'organisation du naufrage de l'Internationale par le
révisionnisme et ses alliés du centre.
(à suivre)
[1] Ce plan, qui reprend le plan de travail d'Invariance,
publié dans le N°5 de la première série, et dont une première partie avait été
publiée dans le N°6, a été publié dans le N°11 de Communisme ou Civilisation.
[2] Le poids de cette mystification elle-même peut se mesurer au fait qu'elle atteint jusqu'au milieu révolutionnaire qui est incapable de trouver la boussole révolutionnaire dès qu'il s'agit de définir les rapports entre travail productif et improductif ou même de donner une définition du prolétariat.
[3] "En réalité, le prolétariat anglais
s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation bourgeoise
entre toutes veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une
aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Evidemment, de la part
d'une nation qui exploite le monde entier, c'est jusqu'à un certain point
logique." (Engels à Marx. 7 Oct. 1858).
[4] Le lecteur trouvera un exposé détaillé sur ces
concepts et les conséquences sur
différents aspects de la vie du mode de production capitaliste, dans les
numéros 5, 7 et 9 de Communisme ou Civilisation.
[5] Sul Filo del
Tempo, Battaglia N°5 - 1950, réédité par la revue
Invariance Mars 1993
[6] Cf. sur ce point Communisme
ou Civilisation N°5 - 1978.
[7] Sur le révisionnisme, cf.
Communisme ou Civilisation N°8 - 1979 pp. 17-32
[8] cf. le travail sur "La
crise catastrophique, base vivante et vitale de la prévision révolutionnaire du
communisme", travail publié dans CouC et la RIMC
depuis 1980.
[9] "Et la doctrine marxiste n'est pas seulement à
même de le réfuter théoriquement, mais elle est seule capable d'expliquer
d'ailleurs l'opportunisme comme phénomène historique dans le devenir du parti.
La progression historique du prolétariat jusqu'à la victoire n'est effectivement
pas une chose si simple. Toute l'originalité de ce mouvement réside en ce que,
pour la première fois dans l'histoire, les masses populaires doivent réaliser
leur volonté par elles-mêmes et contre toutes les classes dominantes,
mais situer cette volonté dans l'au-delà de la société actuelle, par-delà cette
société. Mais cette volonté, les masses ne peuvent se la façonner que dans la
lutte continue avec l'ordre existant, que dans le cadre de cet ordre. Unifier
la grande masse populaire avec un but qui dépasse tout l'ordre existant, la
bataille de chaque jour avec la grande réforme du monde, tel est le gros
problème du mouvement social-démocrate, lequel, conséquemment, doit opérer sa
progression entre ces deux écueils : entre abandon du caractère de masse et
abandon du but final, entre retombée à l'état de sectes et culbute dans le
mouvement réformiste, bourgeois, entre anarchie et opportunisme."
(Rosa Luxembourg.
Réforme ou révolution. p.79)
[10] cf. RIMC N° 6
[11] "...avant de s'élever contre les représentants
les plus en vue de l'opportunisme en France (Millerand et Jaurès) et en
Allemagne (Bernstein), Kautsky avait manifesté de très grands flottements. La
revue marxiste Zaria, qui parut de 1901 à 1902 à Stuttgart et qui défendait les
idées prolétariennes révolutionnaires avait du polémiser
avec Kautsky et traiter de "résolution-caoutchouc"
la résolution bâtarde, évasive et conciliatrice à l'égard des opportunistes
qu'il avait proposée au Congrès socialiste de Paris en 1900. On a publié en
Allemagne des lettres de Kautsky attestant de non moindres flottements avant
son entrée en campagne contre Bernstein." (L'Etat
et la révolution).
[12] Dans certaines circonstances, la scission fut
possible, comme par exemple dans le Parti Socialiste Italien, qui expulsa les
réformistes de la droite (Bissolati etc.) à son 13° congrès en 1912 à Reggio
Emilia. En l'occurrence, il s'agissait d'une situation tout à fait conforme à
celle décrite par Lénine : à l'occasion d'une crise (l'attentat contre le roi),
les réformistes se rallient intégralement à une position bourgeoise (appui de
la fraction parlementaire au monarque), démasquant ainsi vis-à-vis du
prolétariat et du parti leur nature profonde d'alliés de la bourgeoisie. Dans
un article du journal "Avanti", la Gauche
du PSI soulignait qu'une telle lutte ne devait pas se laisser arrêter par le
sentiment de l'unité si cette "unité" signifiait capitulation des
principes révolutionnaires face aux poussées réformistes de l'ensemble de la
classe ouvrière. Comme Marx le soulignait à propos du congrès de Gotha, une
telle "unité" était "trop chèrement gagnée".
"Bissolati et ses camarades ont été poussés sur les marches
du Quirinal par les exigences des organisations ouvrières mal préparées à la
vraie lutte des classes. Ils sentaient le prolétariat derrière eux, et ont été
tout étonnés lorsque le parti les a désavoués. Pour garder toute sa
valeur à ce désaveu, le parti aujourd'hui aurait le devoir de retourner à la
propagande envers les masses, pour leur redonner une conscience
socialiste." (L'unita proletaria.
Storia della Sinistra).