LA THEORIE DE LA CRISE CATASTROPHIQUE DU MPC : BASE VITALE DE LA PREVISION REVOLUTIONNAIRE DU COMMUNISME.

 

3. LES THEORIES DES CRISES DE GROSSMAN-MATTICK ET LE PROGRAMME COMMUNISTE (Suite)

 

  1. Grossmann et le commerce international.
  1. Introduction.

Jamais, sans doute, dans l'histoire des sciences, une théorie n’a rencontré une aussi éclatante confirmation que celle de Marx. Aucune n'a eu un aussi grand pouvoir explicatif et une telle capacité de prévision sur une aussi grande durée. Les fondements d'un tel triomphe sont assez faciles à identifier. Le socialisme scientifique est une théorie moderne, la plus moderne et la plus récente. Elle s'est développée sur la base de la société capitaliste la plus avancée, celle qui a mis en place la révolution de la machine qui, en se passant de la main de l'homme, peut élever la productivité du travail a des niveaux jamais atteints dans l'histoire de l'humanité. La théorie révolutionnaire a donc pu se hisser sur les épaules de ses devancières et en faire une critique impitoyable. De ce point de vue, elle présente aussi une particularité. Alors que la science est la forme spécifique que prend le travail universel correspondant à l'époque bourgeoise, la conception matérialiste de l'histoire s'est développée comme la théorie du prolétariat, la théorie de la classe exploitée moderne. Le travail de découverte scientifique (au sens de théorie adéquate à la réalité) était donc affranchi des préjugés et visions étriquées propres à la classe bourgeoise et à ses savants. En continuité avec ce que nous venons de dire, il faut également souligner qu'elle est la première théorie, et sans doute la seule tant que durera la société divisée en classes, qui applique consciemment la dialectique matérialiste comme méthode de connaissance. Alors que les fondements philosophiques des sciences sont toujours plus vacillants, le contraste avec la force, la sûreté de jugement, la richesse des prévisions, la subtilité de l'analyse du matérialisme du prolétariat n'en est que plus saisissant. Enfin, la théorie révolutionnaire est une conception globale du monde, capable de penser sa place et la place des autres formes de la connaissance, comme de ses relations avec elles, sachant que la science est mobilisée contre le prolétariat, puisque tout développement des forces productives signifie, dans le mode de production capitaliste, un progrès dans l'exploitation du prolétariat.

Jamais, sans doute, dans l'histoire des sciences, une théorie n'a eu autant de mal à s'imposer que la théorie de Marx. L'abjuration de Galilée, les persécutions subies ou les difficultés rencontrées par de nombreux savants pour faire valoir leur point de vue ne sont rien en regard

des outrages que subit le socialisme scientifique, et les bagnes et les charniers ont été, sont et seront le lot de ceux qui s'en veulent les défenseurs obstinés. Théorie du prolétariat, le socialisme scientifique est une abomination pour les classes dirigeantes dont elle annonce la fin de leur domination. Il est donc évident que les forces intellectuelles de la bourgeoisie, et la force de celle-ci par rapport à nombre d'autres classes dominantes est d'être capable d'attirer et d'intégrer en son sein tout ce que la société compte comme talents, sont mobilisées contre la théorie de Marx et tous les moyens sont bons pour en limiter l'influence. Les savants de la Renaissance accompagnaient la montée de la bourgeoisie et sa conquête du pouvoir. Ils pouvaient donc bénéficier de l'appui de celle-ci à mesure qu'elle jouait un rôle économique grandissant en affirmant le pouvoir de l'argent et du capital. Le prolétariat lui, s'il est une force sociale grandissante dans la société bourgeoise, ne peut espérer conquérir d'abord un quelconque pouvoir économique qui serait le levier de son émancipation politique. Le processus est inverse. Le prolétariat doit auparavant s'emparer du pouvoir politique pour assurer son émancipation économique et celle de l'humanité en général en abolissant à jamais les modes de production reposant sur l'existence de classes d'hommes antagoniques. Dans la mesure où le développement des sciences de la nature est lié aux besoins pratiques du développement du mode de production capitaliste, la nécessité de théories plus adéquates pour pouvoir dominer plus profondément la nature finit, quels que soient les détours, par s'imposer et dans une très grande majorité de cas, la vérification expérimentale des théories peut être observée. Pour le prolétariat, le champ d'expérience est la société toute entière et la preuve de la validité est aussi grandiose que la construction théorique elle-même, puisqu'il s'agit de la révolution internationale.

La théorie du prolétariat était cependant tellement puissante, que pour la museler, l'attaque frontale des penseurs nains de la bourgeoisie ne pouvait suffire. Il fallait aussi en saper les bases, l'édulcorer, la falsifier, la trahir, et la réviser. Ce fut le rôle de la social-démocratie, dont le point culminant fut le coup mortel porté lors de la trahison de 1914. Si ce premier coup s’est révélé mortel, il n’arriva pas à enrayer le processus révolutionnaire puisque l'Octobre rouge de 1917 constitua, après la Commune de Paris, une nouvelle preuve par neuf qui éclairait l’avenir du prolétariat. Là encore, on ne redira jamais assez que la social-démocratie fut le premier responsable de notre défaite. Pour achever d’extirper la vigueur révolutionnaire du prolétariat, il fallait reprendre le même travail. A l’ouest, la social-démocratie égorgeait le prolétariat allemand, et fourvoyait l’ensemble du prolétariat européen. Dans la suite, à l’est le stalinisme portait le coup de grâce tandis que dans les pays ou l’unité nationale était fragile la bourgeoisie se réfugiait dans les bras d’aventuriers fascistes, une fois la vague révolutionnaire brisée par la social-démocratie. Démocrates, Sociaux-démocrates, fascistes et staliniens, formèrent la plus grande sainte alliance de l'histoire contre leur ennemi commun : le prolétariat révolutionnaire.

En travestissant la théorie révolutionnaire, la société bourgeoise faisait coup double. En même temps qu'elle annihilait la théorie du prolétariat quant à sa possibilité d'action sur la société, elle régénérait le pôle du matérialisme bourgeois mis à mal par son propre développement. En vampirisant la théorie révolutionnaire elle régénérait la sienne, à l'instar du capital qui se régénérait dans l'exploitation la plus intense que le prolétariat ait jamais connu.

On ne saurait trop souligner la lourde responsabilité des héritiers du camp révolutionnaire qui n’ont que faiblement poursuivie l’œuvre théorique tout au long de la contre-révolution. Cette tendance n’a d’ailleurs fait que se dégrader dans les trente dernières années, les résidus de l’actuel milieu révolutionnaire se révélant chaque jour moins capables de produire une quelconque réflexion à même de renouer avec la grande tradition scientifique de la dialectique matérialiste. Pour notre part, indifférent aux sarcasmes et autres accusations, nous avons

toujours essayé, à la mesure de nos faibles forces, de réaliser un travail le plus sérieux possible concernant les questions cruciales pour le mouvement prolétarien. Parmi celles-ci l’étude des crises représente un élément fondamental. La critique de Grossmann est aujourd’hui l’occasion d’aborder certains points fondamentaux liés à la question du commerce international.

Pour Marx, "la production capitaliste ne peut exister sans commerce extérieur" (Marx, Capital L.II, La Pléiade, T.2 P.803). On ne peut donc se représenter le commerce extérieur comme un élément annexe, éventuellement superfétatoire, que l'on pourrait ou non ajouter à l'analyse. Le commerce extérieur est intimement lié à la production capitaliste et à son développement ; il en est un moment organique. Fidèle à la logique métaphysicienne, la pensée bourgeoise sépare fréquemment l'"économie fermée" de l'"économie ouverte". Le commerce extérieur apparaît alors comme un élément supplémentaire qui vient compliquer ou raffiner la théorie ou le modèle, une nouvelle variable sur laquelle on peut jouer ou non. Tour à tour planche de salut, moteur de la croissance ou menace et contrainte, l'échange international est traité comme un élément séparé et la théorie économique se plie volontiers aux intérêts économico-politiques du moment. Il suffit de voir l'évolution des théories du commerce international, qui sont passées du credo du libre échange (alors que dans la réalité, il a été souvent minoritaire) tant que les intérêts qu'il servait y trouvaient leur compte, à une défense croissante de politiques nationales capables d'introduire de bonnes doses de protectionnisme quand ces mêmes intérêts se voient menacés par le libre échange qu'ils ont jusque là défendu.

Bien entendu, il arrive à Marx dans certaines parties de son œuvre de faire abstraction du commerce extérieur. C'est notamment le cas, dans le livre II du "Capital", lorsqu'il analyse les schémas de reproduction. Dans cette partie de l'ouvrage Marx étudie le capital "en général", à un très haut niveau d'abstraction, comme s'il n'existait qu'une seule nation, qu'un seul marché. Il suppose que le capital s'est emparé de toutes les branches de production et qu'il se décompose en deux grandes sections représentatives du capital productif, que le crédit n'existe pas, que la société est exclusivement composée de capitalistes et de prolétaires, etc. Mais c'est en posant ces hypothèses restrictives dont celle de l'absence d'un commerce extérieur qu'il donne justement la précision que nous avons citée plus haut : "la production capitaliste ne peut exister sans commerce extérieur"

Tout au long des numéros de CouC, nous n’avons cessé de rapporter le fait que Marx n’a pas achevé son "Economie". Le "Capital" dans son ensemble ne représentait que le 1/6 de cette œuvre alors que l’étude du capital dans sa dimension internationale en représentait un tiers (un volume devait étudier le commerce extérieur et un autre le Marché mondial), preuve supplémentaire de l’importance de ces aspects dans la conception scientifique du socialisme. Ce rappel montre à nouveau l'importance que Marx attachait à ces sujets et qu'il comptait leur donner de beaucoup plus amples développements et des développements particuliers. A contrario, étant donné que les éléments laissés par Marx sont relativement peu nombreux, ils témoignent également de la tâche qui attend le parti communiste pour élaborer un point de vue critique de l’économie politique sur ces thèmes. Ce point de vue critique devrait aussi intégrer près de 150 ans d’histoire du marché mondial qui a connu bien des bouleversements.

Dans nos numéros consacrés aux deux phases historiques de la production capitaliste, (cf. N° 5, 7, 9) nous avons déjà abordé le commerce extérieur sous l'angle de sa nécessité et de son rôle majeur dans la naissance de la phase de soumission formelle du travail au capital. D'autre

part un des rôles historiques de cette même phase de soumission formelle sera de créer un quasi-marché mondial qui est lui même à la base de la phase de soumission réelle du travail au capital

"Au cours du XVII° siècle, les progrès irrésistibles de la concentration du commerce et de la manufacture dans un seul pays, l'Angleterre, créèrent peu à peu, pour cette nation, un marché quasi mondial, et partant une demande de ses produits manufacturés, que les forces productives de l'industrie traditionnelle ne pouvaient plus satisfaire. Cette demande, en excédant les ressources productives, fut la force d'impulsion qui suscita la troisième période de la propriété privée depuis le Moyen Age : elle créa la grande industrie fondée sur l'utilisation de forces élémentaires à des fins industrielles, le machinisme et la division du travail à une énorme échelle". (Marx, L'Idéologie Allemande, La Pléiade, T.3, p.1102)

Avec l'avènement de la grande industrie, donc de la phase de soumission réelle du travail au capital, un nouveau marché mondial va être façonné à l'image de la production capitaliste la plus moderne.

"D'une part le marché mondial constitue la base du capitalisme, de l'autre c'est la nécessité pour celui-ci de produire à une échelle constamment élargie qui l'incite à étendre continuellement le marché mondial" (Marx, Capital, L.III, La Pléiade, T.2, p. 1101)

Le concept d'"Impérialisme", contrairement à ce que voudrait nous faire croire Roger Dangeville est absent chez Marx et ce n'est que par des procédés de faussaire (en abusant du terme impérialiste parlant de l'empereur Napoléon III) qu'il est possible de tenir de tels points de vue. D'ailleurs pour nombre de marxistes ce fait n'est guère contesté.

Pour Lénine par exemple, l'Impérialisme est une phase récente du mode de production capitaliste, une phase que Marx et Engels n'ont pas connue car elle se manifeste après leur mort. Lénine date même assez précisément cette phase impérialiste puisqu'il prend en compte un point de départ postérieur à 1898. Cette date correspond à la fin du conflit entre l'Espagne et les États-Unis qui voit la fin de l'Empire colonial espagnol en Amérique avec la perte de Cuba.

Si l'on suit à la lettre Lénine, on en conclura que ce conflit n'est pas impérialiste, que la défaite de la vieille puissance coloniale espagnole face au jeune capitalisme américain en plein développement ne figure pas au rang des conflits impérialistes.

Notons pour faire bonne mesure qu'à cette époque les États-Unis sont sur le point de devenir la première puissance mondiale et que la révolution bourgeoise y a été parachevée avec la fin de la guerre civile en 1867 (fin de la guerre de sécession).

Ce que Marx et Engels, selon Lénine et les tenants de cette thèse, n'auraient pas décrit, c'est la formation du capital financier, concept décrit comme la fusion, l'interpénétration du capital industriel et du capital bancaire. L'impérialisme c'est aussi le capitalisme monopoliste qui succède au capitalisme de libre concurrence. Or comme nous l'avons déjà largement démontré dans les travaux consacrés à la question agraire (cf. CouC n° 2, 4, 6, etc.), le point de vue défendu par le socialisme scientifique n'est pas celui là. Pour la théorie révolutionnaire le monopole et la concurrence ne sont pas antithétiques. La gauche d'Italie le soulignera également fréquemment.

La gauche d’Italie restera cependant toujours à mi-chemin dans la critique du léninisme. Ses critiques sur les conceptions tactiques avec des arguments flirtant souvent avec l'idéalisme ne remontent jamais explicitement sur les principes fondamentaux supposés être partagés. Même quand implicitement on tendait vers une remise en cause des fondements théoriques du léninisme on ne poursuivit pas cette tendance. Les théories sur le fascisme sont même en partie dans la continuité de théories monopolistes. Dans certains textes, le fascisme assimilé à la centralisation du pouvoir politique est relié à la concentration et à la centralisation du capital sur le plan économique, ce qui ferait donc de celui-ci un phénomène particulièrement représentatif de l'évolution de l'État moderne. Ce n'est pas ici le lieu de développer ces aspects de la Gauche Italienne. Ils sont ici pour souligner son incapacité à rompre avec le léninisme et les pratiques de faussaire de Dangeville sont là pour montrer les trésors de jésuitisme déployés pour établir une continuité là où il n’y en avait pas.

Pour qui défend l'idée, ce qui est notre cas, que la théorie révolutionnaire anticipe et prévoit la totalité du cours capitaliste (ce qui ne signifie pas que tout est écrit, qu'il n'y a plus d'effort scientifique à faire), la perspective léniniste héritée de la social démocratie, d'un développement spécifique du mode de production capitaliste, non prévu par Marx, et appelé "impérialisme" pour reprendre les concepts qui étaient en vigueur dans les milieux coloniaux de la fin du XIXè siècle et du début du XXè siècle, ne peut donc être acceptée.

La production capitaliste moderne repose sur la soumission réelle du travail au capital. Les formes d'extraction de la plus-value qui la caractérisent reposent tout particulièrement sur le développement de la productivité et de l'intensité du travail. Pour le prolétariat cette phase signifie un accroissement important de son exploitation, une augmentation du taux de plus-value (même si le salaire réel augmente et que le temps de travail diminue).

La répartition de cette plus-value entre propriétaire foncier et capitaliste fait l'objet d'une explication théorique qui démontre comment le profit moyen et le surprofit loin de s'opposer s'articulent. La théorie agraire de Marx est aussi l'occasion de montrer le rôle et le domaine des prix de monopole c'est-à-dire de prix qui sont fixés sans relation avec le temps de travail qu'ils contiennent pour être dictés par l'importance de la demande en regard d'une offre limitée (c'est le cas par exemple d'un grand vin).

Donc dès la rédaction du Capital étaient décrites, expliquées les racines de l'ensemble de phénomènes soi disant caractéristiques de l'impérialisme. Ceci étant dit, il s’est cristallisé des positions sur la base de l’ossification de la pensée de Lénine (le " léninisme ") que l’on doit bien distinguer tant de la pensée de Marx que de celle de Lénine. Ces courants de pensée, qui s'expriment bien dans le stalinisme passé ou moderne affirment que la phase impérialiste est une phase où le mode de production capitaliste via le monopole sinon domine la loi de la valeur, à défaut de s’en affranchir. Cette effronterie théorique laisse envisager qu'il est possible de parvenir à une complète maîtrise du capitalisme par l'intermédiaire d'une étatisation plus poussée de l'économie. La nationalisation des sociétés, la conservation de la valeur, du salariat, de l'argent et de l'État voilà le nec plus ultra de ce " socialisme " qui laisse subsister le prolétariat et la bourgeoisie, la prostitution et la police et tourne le dos à la société sans classe dans laquelle les catégories marchandes et l'Etat sont bannies, ce qui a été, est et sera le but du prolétariat révolutionnaire s'il veut jamais gagner un jour son émancipation.

La théorie de Marx décrit donc l'intégralité du cours du MPC, définit aussi bien le but (la société sans classes) que les moyens (dictature du prolétariat, constitution de la classe en parti) et donne l'exemple d'une victoire théorique sans précédent dans l'histoire de la pensée.

Si du point de vue communiste révolutionnaire les concepts d'Impérialisme ne reposent que sur du sable, cela ne signifie pas pour autant que la phase de soumission réelle du travail au capital n'ait pas d'histoire. Mais cette histoire couvre déjà deux siècles et concerne des événement aussi vastes que le colonialisme et la décolonisation du XIXè siècle et du XXè, les guerres ou le prolétariat a pu soutenir un des deux camps en présence comme mettre en œuvre un défaitisme révolutionnaire.

Cette même phase de soumission réelle du travail au capital verra aussi la montée en puissance de l'État au cours du siècle actuel. Elle verra aussi des périodes de révolution et surtout des périodes de contre-révolution. Tout au long de nos numéros sur la crise nous avons montré que tant les théories de Rosa Luxemburg (et donc toutes les théories qui s'appuyaient sur elles) que celles de Grossmann (et donc toutes les théories qui s'appuyaient sur elle) ou de Lénine (et donc tous les courants issus de la Troisième internationale) étaient en contradiction avec l’orthodoxie révolutionnaire. Toutes tournaient le dos au socialisme de Marx et d’Engels. Aucune ne renouait avec la tradition scientifique et révolutionnaire du communisme.

En d'autres termes encore, tout le milieu révolutionnaire dans toutes ses composantes, du C.C.I. à la C.W.O. en passant par Battaglia Communista et les diverses sectes bordiguistes, ou reniait a tort la théorie de Marx ou l'anéantissait sous prétexte de la défendre et de la restaurer. Bien entendu, toutes les conséquences politiques que l'on pourrait tirer de base théoriques d'une insigne faiblesse et en contradiction avec l'orthodoxie du communisme ne peuvent être que nulles et non avenues.

Bien révélatrice à cet égard de l’idéalisme profond, du romantisme petit-bourgeois du milieu communiste est la réaction de la CWO. Dans un numéro ancien, nous montrions brièvement, nous reviendrons sur ce sujet, qu’il n’existait pas chez Marx, de péréquation du taux de profit à l’échelle internationale, au même titre que sur le plan national. Bien évidemment la C.W.O. n’avait pas inventée toute seule une telle conception, mais l’avait reprise au stalinien Grossmann, via Mattick. Notre critique ruinait du même coup leur conception de la décadence et de l’impérialisme et par suite, bien évidemment, leurs conceptions "politiques", si on peut parler de conceptions politiques pour des écrits qui réécrivent dans le jargon "milieu communiste" les articles de la presse bourgeoise. Bien loin de se défendre sur le plan théorique, bien loin de justifier leur théorie sur le plan scientifique (ce qui, il est vrai, était une gageure étant donné l’importance des divagations théoriques de la C.W.O.), on préféra exhiber ce qu’il fallait démontrer. La C.W.O. répondit en substance "Mais votre critique (donc la position de Marx) aboutit à nier le caractère réactionnaire des luttes de libération nationale", ce qui est notre position politique. Oui, Messieurs ! votre position politique n’est pas plus orthodoxe que vos conceptions économiques. Dans la mesure où celle qui sous-tend l’autre n’a pas de fondement, les deux peuvent être également expédiées dans les poubelles de l’histoire. En revanche, tout comme sur le plan économique, les positions de Marx et Engels sur la question nationale conservent à notre époque toute leur "validité", pour autant que les situations y soient identiques.

 

 

 

  1. Chiffres internationaux.

Comparons l'évolution de quelques pays qui figurent au sommet de l'échelle des nations.

A tout seigneur tout honneur, les États-Unis d'Amérique. Nous disposons de deux séries d'estimations. La plus importante est estimée en écus. Le PIB américain est passé de 483,4 milliards d'écus en 1960 à 1276 milliards d'écus en 1975 pour atteindre 4917,5 milliards d'écus en 1992. En 32 ans le PIB, aux prix courants, c'est-à-dire inflation incluse, a été multiplié par plus de 10, ce qui correspond a un taux de croissance nominal de 7,5% par an.

L'opinion commune, c'est-à-dire celle qui sert de vade-mecum de la pensée à la bourgeoisie est que depuis l'après-guerre jusqu'en 1975 environ, nous vivions dans une période idyllique qui a permis à un économiste réactionnaire Jean Fourastié, de forger le concept de " trente glorieuses ". Ce concept qui a fait florès est encore aujourd’hui sur toutes les bouches et sous toutes les plumes de droite comme de gauche. L'image est tellement populaire qu'elle figure déjà dans les livres d'histoire et sans doute pour longtemps. C'est ainsi qu'on raconte l'histoire aux nouvelles générations. Les soi-disant trente glorieuses avec leur cortège de guerres coloniales, de misère, de luttes de classes, de répression des classes ouvrières, furent parcourues, comme les suivantes, par un cycle d'environ 6 ans qui, il est vrai, ne déboucha que très rarement sur un recul effectif de la valeur de la production. Mais les mêmes contradictions qui aujourd'hui éclatent au grand jour étaient déjà à l'œuvre. Tout au plus étaient elles estompées dans une période qui il est vrai est l'une des plus prospères (ce qui signifie que l'exploitation du prolétariat n'y a jamais été aussi féconde) de l'époque correspondant à la domination de la phase de soumission réelle du travail au capital du mode de production capitaliste.

Si nous décomposons les éléments en notre possession (ici concernant les Etats-Unis) entre deux grandes périodes, d’une durée sensiblement identique, dont l’une appartient aux "trente glorieuses" et l’autre aux "années de crise", nous obtenons un premier résultat

De 1960 à 1975, le taux de croissance moyen est de 6,6 %. Il est de 8,2 % pour la période suivante (1975-1992). Ce calcul tient compte de l’inflation donc il ne peut être pris pour un argument définitif. Nous reviendrons donc sur sa signification réelle.

En élargissant ces chiffres aux principaux pays industrialisés, nous obtenons le tableau suivant (prix courants, milliards d'écus)

 

  Tableau I : Evolution du PIB (source I)  

  1960 1975 1992 % moyen % 60-75 %75-92
Etats-Unis 483,4 1276 4917,5 7,5% 6,7% 8,25%
R.F.A. 68,4 337 1360,5 9,8% 11,1% 8,5%
France 57,7 276,3 1016,1 9,4% 11% 7,9%
Japon 41,9 403,1 3024,1 14,3% 16,3% 12,5%
Italie 37,6 171,3 989,5 10,7% 10,6% 10,8%
Royaume-Uni 68,4 188,8 889,3 8,3% 7% 9,5%
Total 757,4 2652,5 12197 9% 8,7% 9,4%

 

Ce tableau prend en compte la croissance nominale, c'est-à-dire y compris l'inflation. Cependant sur une longue période une inflation divergente a des conséquences sur le taux de change des monnaies. En supposant que ce taux de change soit bien ajusté au moment du calcul, ce qui est d'autant plus vrai que la période considérée est longue ou que les calculs tiennent compte d'une moyenne, nous avons ainsi une bonne idée du poids relatif effectif des nations sur le marché mondial. Il s'agit ici de leurs valeurs absolues. On peut constater que les comportements des nations étudiées sont assez différents. Dans l'échantillon concerné, pour la totalité de la période les bourgeoisies qui ont tiré le mieux leur épingle du jeu sont dans l'ordre celles du Japon, d'Italie, d'Allemagne, de France, puis du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Donc tous les pays d'Europe et le Japon ont amélioré leur position relative vis-à-vis des Etats-Unis qui représentent une part décroissante de la valeur mondiale.

Il ne s'agit pas pour autant d'une situation uniforme. La tendance sur plus de trente ans n'est pas la même si on décompose cette période en deux tranches de durées sensiblement égales (1960-1975) et (1975-1992). La première tranche fait partie des soi-disant " trente glorieuses ", la seconde tranche de la période dite de " crise ". Si dans la première période la hiérarchie est identique à celle de l'ensemble de la période. Trois pays ont un comportement meilleur dans la seconde période que dans la première. Il ne s'agit pas pour autant d'une amélioration relative de leur position sur le marché du monde. Ils ne font que se comporter mieux dans cette deuxième période. Il ne s'agit pas non plus nécessairement d'une performance supérieure. Le tableau, établi en valeurs absolues à des avantages. Il ne doit pas cependant induire en erreur. La croissance globale supérieure de la deuxième période peut signifier et signifie en fait une inflation plus forte de l'ensemble du monde capitaliste dans cette période. Mais compte tenu de cette inflation et de la croissance réelle, la situation sur le marché du monde peut être bien appréciée.

Ainsi les Etats-Unis font partie des pays qui ont un taux de croissance nominal supérieur dans cette phase. Ils n'améliorent pas leur position relative (sauf vis-à-vis de la France) mais ils régressent moins vite sur le marché mondial. Ce jugement doit être également nuancé par le fait que la monnaie américaine est sans doute surévaluée. Les Etats-Unis du fait du monopole du dollar vivent en partie à crédit sur le reste du monde.

Le résultat le plus spectaculaire est celui du Royaume-Uni qui passe de l'avant dernière place à la troisième et qui dégage un taux de croissance supérieur à la moyenne de l'échantillon. De nombreux facteurs ont du jouer dans ce retour en grâce, mais on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE en 1972.

Les tendances que nous avons mises en relief sont-elles confirmées par la seconde série de chiffres ? Dans cette série le PIB n'est pas exprimé en écus mais en monnaie locale.

Tableau II : Evolution du PIB (source II)
 

  1970 1975 1992 %
États-Unis 1010,7 1585,8 5955,8 8,3 %
Japon 73,1 148,0 473,0 8,8%
Allemagne 675,3 1026,6 2983,7 7%
France 793,5 1467,9 7155,1 10,5%
Italie 67,2 138,6 1542,9 15,3%
Royaume-Uni 51,8 105,9 606,8 11,8%

 

Les taux indiqués ci-dessus tiennent compte de l'inflation, ce qui explique que les meilleurs résultats (sur le plan nominal) soient obtenus par les pays les plus inflationnistes (Italie et Royaume-Uni).

Pour annuler l'effet relatif de l'inflation nous devons corriger les résultats obtenus par l'évolution du taux de change nominaux des monnaies. Les théories bourgeoises postulent ce qu'elles appellent la parité de pouvoir d'achat de la monnaie. En d'autres termes elles prétendent que si un pays voit ses prix augmenter plus vite qu'un autre sa monnaie se dévaluera dans les mêmes proportions de manière à rétablir la parité antérieure. Il n'en va pas ainsi, ni dans la théorie ni dans la réalité. Aussi faut-il se garder lorsqu'on traite du marché mondial de comparer uniquement les taux de croissance obtenus dans chaque pays pris séparément. Exprimés en monnaie nationale, ils ne tiennent pas compte, même s'ils intègrent l'inflation, de l'évolution des taux de change. Pour faire les calculs requis nous disposons d'une série à peu près équivalente qui mesure les évolutions du dollar par rapport aux autres monnaies pour pratiquement les mêmes époques. Nous obtenons alors le tableau suivant. Les résultats des États-Unis sont, par définition, inchangés puisque le dollar constitue la référence de la série.

  Tableau III : Evolution du PIB (en monnaie unifiée)  

  1970 1975 1992 %
États-Unis 1010,7 1585,8 5955,8 8,3 %
Japon 209,7 573,8 3654 13,8%
Allemagne 179,6 462,4 1841,8 11,1%
France 158,7 323,3 1315,3 10,1%
Italie 108,9 174,8 1263,9 11,8%
Royaume-Uni 136,3 216,1 1083,5 9,8%

 

Nous retrouvons la hiérarchie relative dégagée lors de la première série de chiffres, même si la période de référence est plus courte et les données sur les taux de change moins précises

Cette première série de statistiques sur l'évolution absolue, et les rapports relatifs entre quelques uns des plus grands pays du monde capitaliste qu’elle indique, nous a permis de mettre en évidence des faits qui ne sont pas toujours bien perçus. Sauf effondrement de la lire à l'image du peso mexicain ou du rouble (la Russie payant en une fois tout ce qui a été escompté depuis ce dernier demi-siècle), on peut constater que le pays européen qui a le mieux affermi sa position sur le marché mondial est l'Italie. C'est le pays qui a créé le plus de valeur (du moins apparemment), c'est-à-dire celui pour lequel la valeur créée reçoit sur le marché mondial la valorisation la plus importante parmi les pays étudiés. Dans les deux cas on peut constater que la prétention de la bourgeoisie italienne d'avoir dépassé la Grande-Bretagne paraît fondée. Bien que, étant donné l'océan de dettes sur lequel flotte la République italienne, une catastrophe monétaire ne soit pas à exclure, ceci ne doit pas cacher la relative bonne performance du capitalisme italien vis-à-vis de ses rivaux, phénomène trop rarement souligné.

3.6.3. Création de valeur et temps de travail.

Il convient maintenant d'évaluer ces résultats en fonction d'un deuxième paramètre qui est celui du temps de travail. Les sources dont nous disposons sont encore approximatives et une étude plus détaillée serait évidemment plus intéressante, mais les séries sont suffisantes pour dégager les grandes tendances. Dans un premier temps rappelons que la valeur d'une marchandise (w), et ici nous raisonnons au niveau du capital-marchandise équivalent à la totalité de la production marchande, est égale à la somme de la valeur du capital constant (c) du capital variable (v) et de la plus-value ou survaleur (pl ou s) ce qui se résume par cette équation :

w = c + v + pl.

Tenter de retrouver l’équivalent des catégories du socialisme scientifique dans le maquis des statistiques bourgeoises est une tâche très délicate. Outre que l’ennemi de classe n’a ni l’intérêt, ni la capacité intellectuelle, du fait de la débilité des théories qui sous-tendent son action dans le domaine de la statistique, de mettre en œuvre une connaissance statistique digne de ce nom, il est en partie vain, pour des raisons théoriques propres à la théorie communiste, d’établir des correspondances avec les données disponibles. Cependant, en dépit de nécessaires approximations, les écarts de grandeur sont suffisamment parlants pour que peu de doutes subsistent en ce qui concerne les grandes tendances. L’objectif que nous poursuivons ici est de rapporter les valeurs que nous avons calculées à la masse de travail productif qu’il a fallu pour les produire. Or cette perspective ne peut être qu’approximative.

Le calcul de la valeur par actif, est un élément plus intéressant, sans être, loin de là, parfait, que la valeur du PIB par habitant, car il donne une meilleure approche de ce qu'on peut appeler l'intensité apparente du travail, c'est-à-dire de la valeur apparemment créée par la force de travail. Bien sûr, pour obtenir de meilleurs résultats, il faudrait connaître le nombre d'heures travaillées par cette population occupée (une partie des actifs ne travaille pas à plein temps, le temps de travail annuel diffère selon les pays). D'autre part, pour obtenir la valeur apparente effective il faut aussi défalquer la partie qui représente le capital fixe (environ 10%). Enfin, et cela aucune statistique ne le donne, il ne faudrait prendre en compte que le travail productif (avec les conséquences théoriques que cet aspect des choses soulève - à savoir qu'une partie de la valeur créée n'est pas prise en compte dans le PIB). Ces arguments ne valent que dans le cadre d'un capitalisme pur, aussi ne faut-il pas non plus oublier les travaux créateurs de valeur qui ne relèvent pas du salariat existant encore dans les sociétés modernes (paysans, artisans, etc., même si leur part va en déclinant). Les difficultés sont vastes mais tentons l’expérience.

Commençons par la comparaison entre l’évolution de la population employée, la population active et la population totale. Le tableau ci-dessous retrace l’évolution de la population, de la population active et de la population employée dans les pays étudiés. Le chiffre de la population employée a été calculé, en retirant de la population active le taux de chômage officiel de la période considérée. Le premier tableau donne la population totale et la population active moyenne de la période considérée. Par exemple, les Etats-Unis avaient une population moyenne de 198,4 millions d’habitants pendant la période 1961-1973 et une population active de 78,2 millions de personnes. En 1992, la population représentait 255,3 millions d’habitants et la population active 127 millions d’habitants. La colonne appelée Delta calcule l’accroissement de la population et l’accroissement de la population active. Pour les Etats-Unis, pour continuer notre exemple, le calcul donne un accroissement de la population de 56,9 millions d’habitants et un accroissement de la population active de 48,8 millions d’habitants. La dernière colonne intitulée % calcule le pourcentage de la population active par rapport à la population totale en 1992 et le rapport entre l’accroissement de la population active et la population totale. Pour les Etats-Unis nous constatons que la population active représente 49% de la population en 1992 (127/255,3), tandis que le rapport entre la population active additionnelle et la population totale supplémentaire est de 85% (48,8/56,9). On voit ici que la variation moyenne est supérieure à la première moyenne obtenue ; cela revient à dire que la population active a un taux de croissance supérieur à celui de la population totale.

 

Tableau IV : Evolution de la population et de la population active  

  61-73 74-80 81-90 1992 Delta %
USA 198,4 

78,2

220,5 

99,3

239,7 

116,7

255,3 

127,0

56,9 

48,8

49 

85

Japon 100,5 

49,4

113,7 

54,6

120,9 

60,2

124,4 

66,2

23,9 

16,8

53 

70

R.F.A. 59,3 

26,8

61,6 

27,4

61,6 

29,4

64,0 

31,1

4,7 

4,3

48 

91

France 49,4 

20,8

53,2 

22,8

55,4 

24,0

57,3 

24,8

7,9 

4,0

43 

50

R-U 54,8 

25,4

56,2 

26,1

56,7 

27,5

57,6 

28

2,8 

2,6

48 

92

Italie 52,5 

20,7

55,9 

21,5

57,1 

23,3

57,9 

24,3

5,4 

3,6

42 

66

 

Tous les pays étudiés ont vu leur population active croître plus vite que leur population. Cela ne signifie pas que l’emploi effectif ait augmenté plus vite que la population. En effet, la population active intègre également les chômeurs déclarés. En revanche, cela signifie qu’une partie croissante de la population recherche un travail. Marx distinguait la surpopulation absolue de la surpopulation relative (Cf. CouC N°7). La surpopulation absolue provient d’un accroissement de la population qui dépasserait les limites de ce qu’exige l’accumulation du capital sur la base d’une constance du développement des forces productives. Dans la phase de soumission formelle du travail au capital, c’est la seule forme de surpopulation. Mais, avec la phase de soumission réelle du travail au capital se développe une autre forme de surpopulation qui ne supprime pas l’autre pour autant : la surpopulation relative. Cette surpopulation relative prend sa source dans le développement contradictoire de la productivité du travail.

"La demande de travail effective étant réglée non seulement par la grandeur du capital variable déjà mis en œuvre, mais encore par la moyenne de son accroissement continu, l’offre de travail reste normale tant qu’elle suit ce mouvement. Mais, quand le capital variable descend à une moyenne d’accroissement inférieure la même offre de travail qui était jusque là normale devient désormais anormale, surabondante, de sorte qu’une fraction plus ou moins considérable de la classe salariée, ayant cessé d’être nécessaire pour la mise en valeur du capital, et perdu sa raison d’être, est maintenant devenue superflue, surnuméraire. Comme ce jeu continue à se répéter avec la marche ascendante de l’accumulation, celle-ci traîne à sa suite une surpopulation croissante. La loi de la décroissance proportionnelle du capital variable et de la diminution correspondante dans la demande de travail relative a donc pour corollaires l’accroissement absolu du capital variable, et l’augmentation absolue de la demande de travail suivant une proportion décroissante, et enfin pour complément : la production d’une surpopulation relative. Nous l’appelons "relative", parce qu’elle provient, non d’un accroissement positif de la population ouvrière qui dépasserait les limites de la richesse en voie d’accumulation, mais, au contraire, d’un accroissement accéléré du capital social qui lui permet de se passer d’une partie plus ou moins considérable de ses manouvriers." (Marx, Capital Livre I,7, XV. Pléiade t.1 p.1146)

Nous venons de rappeler les différences entre les deux formes de surpopulation et compte tenu des éléments que nous avons collationnés dans le tableau ci dessus, il faut très vraisemblablement déduire de la différence observée entre la croissance de la population active et celle de la population en général, que le développement d’une surpopulation absolue est un élément qu’il ne faudrait pas négliger dans la formation de ce qu’on appelle le chômage. Il n’y a pas lieu de développer ici cet aspect. Nous ne disposons pas d’éléments suffisants pour nous faire une opinion plus circonstanciée. Toutefois, si nous prenons le cas de la France, pays pour lequel nous disposons de quelques données, il est quelques chiffres qui méritent d’être reproduits.

Ces éléments sont d’autant plus intéressants que la France est le pays ou l’écart est le plus faible entre la croissance de la population active et la croissance de la population. Le dernier recensement date de 1990. Les éléments obtenus se comparent avec le recensement précédent soit celui de 1982. Durant cette période de 8 ans, la population active ayant un emploi a augmenté de près de 800 000 personnes (22 232 974 en 1990, 21 465 960 en 1982). Mais ce chiffre global cache des différences entre hommes et femmes. La population active masculine a diminué de près de 200 000 emplois, tandis que la population active féminine augmentait de près de 1 000 000 d’emplois. La question de la substitution des femmes aux hommes est plus complexe qu’un simple remplacement poste à poste car les professions ont évolué différemment. On peut toutefois considérer, étant donné que le salaire féminin est en moyenne inférieur à celui d’un homme, que le capital y a largement trouvé son compte.

D’autre part, le nombre d’emplois à temps partiel a augmenté dans la même période de plusieurs centaines de milliers, ce qui signifierait qu’en solde net, les emplois créés seraient, pour l’essentiel, des emplois à temps partiel qui permettent très difficilement d’assurer par eux-mêmes la reproduction complète de la force de travail. Enfin, le chômage frappe plus fortement la population féminine. Ce paradoxe d’une augmentation rapide de l’emploi féminin (+ 11,4 % contre 4,4 % pour l’augmentation de la population et 3,6% pour l’augmentation de la population active occupée) tout en conservant un taux de chômage plus élevé trouve une partie de son explication dans l’élévation du taux d’activité des femmes, lui-même à la fois cause et conséquence de la modification des rapports entre les sexes, de la composition de la famille, etc. On peut noter également que les pays "latins" comme la France et l’Italie ont un rapport population active/population de plusieurs points inférieur aux pays anglo-saxons ou encore au Japon. Les uns sont proches de 40%, les autres de 50%. Une des conséquences, de ce phénomène est de donner une sous estimation mécanique du chômage dans les pays ou la population active est la plus importante puisque les taux de chômage sont rapportés à la population active. Le taux d’activité, comme la part de la population active dans la population ont varié dans l’histoire, et nous n’en tirerons ici pas d’autres conclusions. Une étude de l’INSEE sur deux siècles de travail montre que le taux d’activité des femmes de 25 à 54 ans est dans les années actuelles le plus élevé de l’histoire de la phase de soumission réelle du travail au capital, que la population active masculine atteint un apogée vers 1974, que le rapport entre la population active et la population augmente régulièrement au XIXè siècle pour dépasser 50% entre 1896 et 1921. A cette époque correspond aussi un rapport entre la population active féminine et la population qui est l’un des plus élevé de l’histoire et c’est ce taux que nous retrouvons de nos jours pour les femmes. Nous avons souvent démontré que contrairement aux cris d’une fraction de la bourgeoisie et des partis réformistes, la période ouverte depuis 1974 ne pouvait être considérée comme une période de crise, celles-ci n’ayant pas de caractère permanent. Mais on sera tenté de voir dans les éléments que nous avons mis en lumière les racines matérielles, en relation bien sûr avec le ralentissement de la croissance de la productivité (telle que la définit la bourgeoisie), d’un tel état d’esprit. A contrario, on remarquera que l’histoire appelle la période qui va de la fin du XIX° siècle à l’aube de la première guerre mondiale (période qui selon les historiens se caractérise par une baisse des prix associée à une hausse de salaires), la "belle époque". Ce que la bourgeoisie occidentale, notamment, perçoit comme une période de crise, recoupe une période qui se caractérise par la manifestation évidente de crises de surproduction dont le cycle est d’environ 6 ans, ce qui marque une éclatante victoire théorique pour le socialisme scientifique. Mais les crises ne sont pas permanentes. Et, si l’on en croit la banque mondiale les dix dernières années ont été du point de vue de l’histoire du monde les plus fortes années de croissance jamais enregistrées. La conjonction de ces sentiments dans notre aire qui est en contradiction évidente avec les tendances globales de l’économie mondiale signifient simplement que les vieux pays impérialistes sont concurrencés par de plus jeunes rivaux et que leur importance relative est en recul sur le marché mondial.

Nous venons de mettre l’accent sur la formation d’une surpopulation absolue et sur les rapports qu’elle entretient avec la surpopulation relative. Notre objectif reste avant tout d’établir, sommairement, la masse de travail vivant qui correspond aux valeurs recensées dans le PIB. Pour cela il faut déduire de la population active, la partie de celle-ci qui, comme son nom ne l’indique pas, reste inactive car elle n’arrive pas à vendre sa force de travail aux seigneurs du capital. Quant à la partie occupée, elle ressent, dans la crainte de rejoindre l’autre fraction, le poids que le capital fait peser sur le prix de sa force de travail. Pour obtenir la population active employée, il faut déduire les chômeurs. Nous connaissons le taux de chômage et son évolution. Nous pouvons calculer la population occupée et la tendance qu’elle suit.

En appliquant le taux de chômage qui figure à la première ligne de chaque case du tableau à la population active du tableau précédent nous obtenons la masse des chômeurs. Une fois ceux-ci défalqués de la population active nous obtenons la population active occupée. Par exemple dans la période 1961-1973, le taux moyen de chômage aux Etats-Unis a été de 4,9%. Rapporté à la population active pour la même période (78,2 millions cf. tableau IV), nous obtenons 3,8 millions de chômeurs. Si nous les déduisons de la population active nous obtenons 74,4 millions (78,2 - 3,8) de personnes employées. Certains pays comme les Etats-Unis ont vu le nombre d’emplois croître considérablement (43,4 millions de personnes soit 117,8 millions - 74,4 millions). Cette croissance est en revanche beaucoup plus faible dans les pays européens recensés ou elle atteint au mieux 2,6 millions de personnes en RFA. L’ensemble des pays européens étudiés ici disposent d’une population pratiquement comparable à celle des Etats-Unis et ils voient la population employée croître de 7 millions de personnes soit 6 fois moins qu’aux Etats-Unis. Tous les pays recensés réunis (Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, France) créent moitié moins d’emploi que les seuls Etats-Unis alors que leur population totale dépasse de plus de 40% celle des Etats-Unis. La dernière colonne calcule l’augmentation de la population employée. Pour les Etats-Unis, on constate donc une augmentation de la population employée de 43,4 millions de personnes (117,8 - 74,4) entre les dates répertoriées dans le tableau. Si nous rapportons ce chiffre à la variation de population (cf. tableau IV) nous obtenons le pourcentage de la deuxième ligne. Les Etats-Unis ont vu dans le même temps leur population augmenter de 56,9 millions. La confrontation des deux variations donne pour les Etats-Unis un pourcentage de 76% (43,4/56,8). Si ce taux est supérieur à celui obtenu à la première ligne de la dernière colonne du tableau ci-dessus cela signifie que la population employée a augmenté plus vite que la population. Nous avions déjà montré que la population active avait augmenté plus vite que la population totale. Il n’en est pas forcément de même pour la population employée dans la mesure où le taux de chômage est généralement en augmentation régulière (du moins en tendance). Tableau V : Taux de chômage et variation de la population employée  

  61-73 74-80 81-90 1992 % Pop
USA 4,9% 

74,4

6,9% 

92,4

7,1% 

108,4

7,2% 

117,8

43,4 

76%

Japon 1,2% 

48,8

1,9% 

53,5

2,5% 

58,7

2,2% 

64,7

15,9 

66%

R.F.A. 1% 

26,5

4% 

26,3

8,2% 

27

6,3% 

29,1

2,6 

55%

France 2% 

20,4

4,8% 

21,7

9,3% 

21,7

9,8% 

22,4

2 

25%

R-U 2,1% 

24,9

3,9% 

25,1

9,1% 

25

9,7% 

25,3

0,4  

15%

Italie 5,4% 

19,6

6,8% 

20,0

10,6% 

20,8

11,1% 

21,6

2 

37%

 

Le résultat de l’analyse est, sous cet aspect, beaucoup plus contrasté. Certains pays comme les États-Unis, le Japon et la R.F.A. ont une croissance de la population occupée plus rapide que celle de la population, comme le montre un taux d'accroissement marginal supérieur au rapport population active/population. Pour les autres pays (Italie, France, Royaume-Uni) le phénomène est inverse. L'Italie est plus ou moins proche d’une situation équilibré car le rapport entre la population occupée et la population active y est à peu près constant. Dans deux pays la croissance de l'emploi est plus faible que la croissance de la population : il s'agit de la France et du Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, où la population active augmente très vite, dans un rapport marginal de 100% avec la population, le taux de chômage est donc parmi les plus élevés. Dans une approche sommaire de la surpopulation relative, puisque nous traçons un trait d’égalité entre la croissance de la population et la croissance de la population employée pour définir la limite entre la population excédentaire engendrée par le progrès de la productivité du travail et celle qui résulte d’un accroissement de la population à la recherche d’un emploi plus rapide que "la richesse en voie d’accumulation", que constatons nous ? Si nous regardons la situation nette, le résultat marginal, trois pays ont compensé par leur accumulation les effets de l’augmentation de la productivité du travail. De ce point de vue, leur surpopulation, telle qu’elle s’exprime à travers le chômage, se présente uniquement comme une surpopulation absolue (Etats-Unis, RFA, Japon). Dans les trois autres pays, les deux effets se cumulent pour atteindre un maximum au Royaume-Uni qui présente à la fois la surpopulation relative et absolue la plus importante. Il existe bien sûr un paramètre important qui a un effet direct sur la résorption de la surpopulation, c’est le taux d’accumulation de la plus-value que le raisonnement suppose identique partout ce qui n’est évidemment pas le cas.

Aux importantes réserves près, relatives notamment au temps de travail et la masse du travail productif, nous avons un aperçu sommaire de la masse de travail correspondant au PIB créé. Nous supposons donc ici, un même degré de socialisation du travail, un temps de travail moyen identique, une part identique entre travail productif et travail improductif. S’agissant de pays d’importance relative comparable, s’agissant des pays capitalistes les plus développés nous nous satisferons pour le moment de cette approximation.

Pour obtenir ce qui, dans le PIB, correspond formellement au temps de travail vivant, il faut pouvoir défalquer ce qui correspond au capital fixe usé dans le processus de production.

Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler qu'en première analyse le PIB équivalait non pas à c+v+pl mais à v+pl+ la partie fixe du capital constant. Encore faut-il remarquer qu’a travers un concept comme la formation brute de capital fixe on recense non seulement la partie usée du capital fixe mais également la partie accumulée.

Les pratiques des diverses comptabilités privées dont sont issus les comptes nationaux sont loin d'être homogènes et la détermination de la valeur du capital fixe reste assez imprécise. Toujours en première analyse, si la valeur du produit social augmente (en l'occurrence le PIB) cela peut donc être dû soit à l'augmentation du capital fixe, donc d'une partie du travail mort, soit à l'augmentation du travail vivant. Ce dernier peut augmenter soit du fait de l'accroissement de la population productive (pour un temps de travail moyen inchangé) soit du fait de l'augmentation de l'intensité du travail. Le fait de ne tenir compte que du seul travail vivant nous évite pour le moment de savoir quelle partie est obtenue par le prolétariat sous la forme d'un salaire qui équivaut au capital variable et quelle part revient au capital en tant que plus-value. Bien entendu il ne faudra rien attendre de la statistique bourgeoise sur ce sujet. Aussi pouvons nous ici ne pas nous en préoccuper et donc distinguer uniquement ce qui relève du travail mort, du capital fixe et ce qui appartient au travail vivant sans savoir quelle est la part relative du travail nécessaire et du surtravail.

Nous disposons de deux types de données. D’une part ce que la statistique appelle la formation brute de capital fixe. Cette valeur correspond à l’addition de la partie usée du capital fixe et de la partie nouvellement accumulée. Nous obtenons ainsi le tableau suivant :

  Tableau VI : Formation brute de capital fixe en % du PIB  

  61-73 74-80 81-90 1992
Etats-Unis 15,0 % 16,7 % 16,3 % 12,9 %
Japon 32,9 % 31,8 % 29,2 % 30,9 %
Italie 24,6 % 24,0 % 20,9 % 19,7 %
France 23,4 % 23,5 % 20,4 % 20,3 %
Grande-Bretagne 18,4 % 19,1 % 17,5 % 15,5 %
RFA 24,9 % 21,0 % 20,2 % 21,9% 

(1991)

 

Il existe partout, à des degrés divers, une baisse de la formation de capital fixe depuis les années de la période 1961-1973. Il reste à distinguer ce qui relève d’une baisse de l’accumulation et ce qui correspondrait à la part de la valeur du capital fixe dans le produit social.

Les éléments dont nous disposons montrent qu'il existe une tendance à l'augmentation de la part du capital fixe dans le produit total.

La dépréciation du capital qui doit correspondre à l’usure du capital fixe utilisé au cours du processus de production évolue comme indiqué dans le tableau suivant :

 

  • Tableau VII : Dépréciation du capital fixe en % du PIB
  •  

      61-73 74-80 81-90 1992
    Etats-Unis 8,6 % 10,5 % 11,5 % 10,8 %
    Japon 13,0 % 12,7 % 13,9 % 15,7 %
    Italie 10,4 % 12 % 12,1 % 12,6 %
    France 9 % 11,5 % 12,6 % 12,6 %
    Grande-Bretagne 8,8 % 11,3 % 11,7 % 11,5 %
    RFA 9,7 % 11,3 % 12,7 % 12,6 % 

    (1991)

     

    A première vue, cela signifie que globalement le capital fixe aurait représenté une part plus importante dans la valeur totale du produit. Cette croissance explique donc une part de l’augmentation du PIB. Quand le Produit Intérieur Brut vaut 100, si le capital fixe représente 10% du PIB alors le Produit Intérieur Net vaut 90. Si la part du capital fixe passe à 15% tandis que le PIB s’élève à 200, le produit intérieur net vaut dans ce cas 170. Il a moins que doublé alors que le PIB a doublé. Si le produit net reflète uniquement l’action du travail vivant, le produit brut qui adjoint une partie de la valeur du capital fixe peut augmenter plus vite du fait de l’augmentation plus rapide du capital fixe. Dans notre exemple, tandis que le PIB double, la valeur du capital fixe transférée au produit triple (elle passe de 10 à 30). Ceci dit, comme la progression réelle du capital fixe est limitée, ce facteur ne peut à lui seul expliquer la progression du PIB. Certaines tendances du milieu communiste, à une époque, faisaient ce genre de réponse et attribuaient la croissance du PIB à la seule augmentation du capital fixe. Autant dire qu’elles tournaient le dos à la réalité et aux faits les plus élémentaires. Nous pouvons voir que l’évolution du capital fixe reste limitée et que l’ordre de grandeur reste comparable entre les différents pays.

    Observons maintenant quelle part est dévolue officiellement à l’accumulation du capital fixe. Nous obtenons cette information en calculant la différence entre les deux derniers tableaux que nous avons établis :   Tableau VIII : Taux d’accumulation du capital fixe en % du PIB  

      61-73 74-80 81-90 1992
    Etats-Unis 6,4 % 6,2 % 4,8 % 2,1 %
    Japon 19,9 % 19,1 % 15,3 % 15,2 %
    Italie 14,2 % 12,0 % 8,8 % 8,1 %
    France 14,4 % 12,0 % 7,8 % 7,7 %
    Grande-Bretagne 9,6 % 7,8 % 5,8 % 4,0 %
    RFA 15,2% 9,7% 7,5 % 9,3 % 

    (1991)

     

    On peut observer ici, une tendance contraire à l’évolution de la part du capital fixe dans le PIB et qui se traduit par un ralentissement du taux d’accumulation, avec notamment une nette inflexion dans les années 1980. Les deux tendances non seulement ne sont pas contradictoires mais se complètent pleinement. En première analyse, si l’accroissement du capital fixe dans le PIB peut être une indication de la baisse du taux de profit et de l’augmentation de la composition organique, il s’ensuit que cette baisse du taux de profit a tendance à décourager l’accumulation et induit donc une baisse du taux d’accumulation. Le sujet mériterait d’autres commentaires que nous ne pouvons entreprendre ici. Notons simplement pour ajouter à la perplexité de bon nombre de disciples zélés de la baisse du taux de profit que les pays qui ont la part du capital fixe la plus élevée et donc qui devraient connaître les taux de profit les plus faibles sont les pays qui réussissent le mieux sur le marché mondial (Japon, Italie) tandis que les vieux capitalismes, ceux qui ont été ou sont les premiers du monde et qui ont réalisé les performances les plus médiocres ont les taux les plus faibles (Grande-Bretagne, Etats-Unis).

    L’importance relative du capital fixe est comparable entre les diverses nations étudiées et l’évolution est sensiblement la même. D’autre part il existe des incertitudes dans les calculs statistiques du capital net (ce qui explique que les statisticiens préfèrent donner le PIBrut). Enfin au delà de l’analyse du capital fixe tel qu’il est fourni par la statistique, il importerait de connaître comment celui-ci se ventile entre les emplois productifs et improductifs.

    Ces réserves exprimées, appliquons au tableau recensant l’évolution du PIB, les éléments dont nous disposons quant à l’évolution de la dépréciation du capital fixe. En défalquant cette dépréciation du capital fixe nous obtiendrons une évaluation du rapport entre la valeur apparemment produite telle que l’exprime le PIB et le travail vivant.

    Par exemple pour les Etats-Unis nous défalquerons du PIB de 1960, la valeur moyenne de la période correspondante. La dépréciation du capital fixe est de 8,6%. Par conséquent nous obtenons, un produit intérieur net de 483,4 - 8,6%(483,4) = 441,8 milliards d’écus.

     

    Tableau IX : Evolution du Produit Intérieur Net (en milliards d’Ecus)
     

      1960 1975 1992
    États-Unis 441,8 1142,0 4386,4
    R.F.A. 61,7 299,0 1187,7
    France 52,5 244,5 888,07
    Japon 36,4 351,9 2549,3
    Italie 33,6 150,7 864,8
    Royaume Uni 62,3 167,4 787,0

     

    En prenant en compte ces nouvelles données nous pouvons calculer, tout d'abord la valeur créée par actif. Les sources dont nous disposons ne sont pas exactement en correspondance au début de la période, mais l'erreur sera la même dans tous les pays.

    Dans le tableau ci-dessous, on trouvera la différence entre les produits intérieur net pour une période donnée. Par exemple la différence entre le produit intérieur net des Etats-Unis entre 1960 et 1992 est de 3944.6 milliards d’écus. Pour une période comparable (cf. tableau V), la population employée a connu une variation de 43,4 millions. En rapportant ces deux chiffres nous obtenons un chiffre qui n’a en soi pas grande signification mais qui nous permet de classer les pays selon le degré de développement de leur intensité apparente. Les deux dernières colonnes du tableau X établissent le niveau absolu de l’intensité apparente en 1992 et en 1996 selon des données provenant d’une autre source et converties en écus. En divisant le PInet de 1992 par la population employée de 1992, nous obtenons un montant de 37,2 milliers d’écus. Pour 1996, les chiffres en milliers de francs donnent le résultat approximatif suivant 242 : (Soit le PIB de 1995 -34 210,3 milliards de francs) - 11% de dépréciation du capital fixe (valeur estimée en fonction des résultats connus -cf tableau VII-) divisé par la population employée (125,5 milllions -valeur estimée à partir du chiffre du chômage en mai 96 soit 7 448 millions de personnes représentant 5,6% de la population active - 7,448 millions). Ce calcul donne 30 447 milliards de PInet et une population employée de 125,5 millions. Les chiffres de 1992 et 1996 ont donc une relative signification à la différence des premiers. Ils traduisent une première expression de l’intensité apparente du travail. Si toute la population était productive et salariée, il indiquerait que la valeur apparemment créée par le travail vivant serait de près de 242 000 francs par personne employée aux Etats-Unis en 1996.

     

     

    Tableau X : Variation de population et variation du PIB.
     

      D PIn D Pop DPI/DPO 1992 1996
    USA 3944,6 43,4 91 37,2 242
    Japon 2512,9 15,9 158 39,4 308
    R.F.A. 1126 2,6 433 40,8 340
    France 835 2 417 39,6 279
    R-U 724,7 0,4 1811 31,1 173
    Italie 831,2 2 415 40,0 232

     

    Nous obtenons un résultat contrasté. Le taux de croissance le plus élevé pour ce qui est de l’intensité apparente est réalisé par la Grande-Bretagne, mais en valeur absolue elle occupe la dernière place. Le Royaume-Uni a donc descendu l’échelle des nations ou du moins elle a monté moins vite que les autres. Elle s’est faite supplanter par de nombreux pays, a la fois sur le plan absolu mais aussi sur le plan relatif. En même temps elle semble amorcer un certain redressement, un peu comme si après s’être repliée sur ses bases les plus fortes elle repartait à l’assaut du Monde. En même temps une très forte croissance de la population active, alliée à une très faible augmentation de la population employée se traduit en 1992 par un gonflement du chômage (notons que le Royaume Uni est un des seuls pays d’Europe où le temps de travail a augmenté). Les derniers chiffres dont nous disposons laissent apparaître une résorption du chômage et une augmentation de la population employée qui atteint près de 26 millions de personnes selon nos estimations soit une nette augmentation en regard des années passées. En dépit de cela, le Royaume-Uni reste en queue du tableau. Première puissance mondiale au XIX° siècle, il est aujourd’hui une nation moyenne. L’expression de sa productivité du travail sur le marché mondial, la situe loin des autres puissances européennes étudiées ainsi que du Japon. Les confettis de son Empire font encore que le soleil ne s’y couche jamais, comme d’ailleurs pour la République française, mais il est beaucoup plus pâle qu’auparavant.

    La question du déclin relatif du Royaume-Uni, déclin non seulement en regard de pays à la population plus importante mais aussi par rapport à ceux qui ont une population comparable est une interrogation ancienne. Quand le Royaume Uni a vu sa suprématie contestée par l’Allemagne et les Etats-Unis, et, dans une moindre mesure par la France, une première vague de réflexion a eu lieu sur les causes de ce déclin. C’est à ce débat que fait écho Grossmann. La question qui est posée est de savoir quels sont les facteurs qui font qu’une bourgeoisie réussit mieux qu’une autre à exploiter le prolétariat et comment elle peut perdre cet avantage au fil du temps. On ne peut simplement invoquer les lois du mode de production capitaliste comme le fait Grossmann. Qui plus est lorsqu’il s’agit de lois directement issues non de Marx, mais des acrobaties arithmétiques de notre bon Docteur et dont nous avons eu l’occasion de démontrer l’inanité. En effet pour Grossmann à un niveau déterminé de l’accumulation du capital le progrès technique doit se ralentir, étant donné que la valorisation du capital est insuffisante pour répondre à cet objectif (cf Grossmann, p.173 La loi de l’accumulation et de l’effondrement du système capitaliste). A supposer que tout cela ait un fondement, cela pourrait expliquer pourquoi le pays le plus en avance est rattrapé par les autres. Cela n’explique pas pourquoi il est dépassé. Les lois du mode de production capitaliste sont les mêmes pour tous. Que des pays plus peuplés dépassent le Royaume-Uni soit. Mais de première puissance du monde, il a rétrogradé à la sixième place sur le plan absolu et le recul est plus marqué encore en valeur relative (PIB/habitant et a fortiori PIB/actif ) où le Royaume-Uni se situe au delà du vingtième rang.

    Les observateurs du début du XXè siècle (Victor Bérard, L’Angleterre et l’impérialisme, Paris, 1900. Schulze-Gaevernitz, L’Impérialisme britannique et le libre-échange anglais au début du XX° siècle, Leipzig, 1906, par exemple) avaient considéré qu’une des caractéristiques culturelles des anglais était leur conservatisme technique, une appréhension ou un refus des innovations technologiques lui même attribué à un processus historique de décomposition sur le plan spirituel. Grossmann remarque à juste titre que dans ce cas on ne voit pas pourquoi ils furent les premiers à les mettre en œuvre à certaines époques. Si les exemples sont légions où des innovations anglaises (à commencer par celles, célèbres de Bessemer puis Thomas dans la sidérurgie) ne trouvèrent pas immédiatement de champ d’application consistant en Grande-Bretagne alors qu’elles étaient mises en œuvre à l’étranger, on ne peut faire reposer sur le caractère national d’un peuple, dont les racines remontent bien avant l’ère capitaliste et que le mode de production actuel a justement pour résultat de dissoudre, l’explication du déclin relatif. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il n’a aucune influence. Dans cette affaire, il est peu probable que l’on puisse ramener les différences dans l’importance de l’accumulation à un seul facteur explicatif. Dans la conjonction du tout qui aboutit au constat final, le facteur culturel a nécessairement une dimension qui s’articule de manière complexe avec les autres.

    Quels autres facteurs peuvent être mobilisés ? Un tel sujet mériterait une analyse approfondie. Sans donc vouloir être complet et sans volonté de les classer on peut remarquer :

    C’est notamment en tant que puissance maritime que le Royaume-Uni s’est imposé dans le commerce mondial, puissance maritime que sa situation d’île avait notamment aidé à constituer. On peut penser que dans les transports terrestres, par définition, dans le cas d’une île, moins ouverts vers l’extérieur, le Royaume-Uni s’est montré moins à l’aise et, quand les relations sur le continent se sont développées, plus facilement concurrençable. Les dernières enquêtes montrent que dans la patrie du chemin de fer, le temps de transport n’a pratiquement pas diminué, voire régressé, sur certaines lignes depuis près d’un siècle. Et tout le monde connaît les difficultés pour construire une ligne à grande vitesse entre Folkestone et Londres.

    Les transports maritimes eux-mêmes ont évolué avec le percement du canal de Suez. Jusqu’à son ouverture il revenait par exemple moins cher à une soyeux lyonnais de faire transiter sa matière première par Londres que par la Méditerranée.

    Les matières premières nécessaires au développement de bien des industries (houille, fer) du XIX° siècle étaient abondantes en Grande-Bretagne.

    Un modèle démographique caractérisé par une augmentation puis un maintien du taux de natalité, un recul du taux de mortalité s’est imposé d’abord en Angleterre au cours du XVIII° siècle. Les zones industrielles sont également celles qui ont vu croître le plus vite leur population.

    Alors que les élites anglaises ont eu et, sans doute, continuent de bénéficier d’un système éducatif de très grande qualité, l’éducation de masse a été le parent pauvre. Si le capitalisme anglais pouvait s’accommoder et même rechercher pour mieux l’assujettir, un prolétariat analphabète et illettré, l’évolution même du MPC a conduit la société bourgeoise à doter le prolétariat d’un degré d’instruction croissant qui rend toujours plus délicate et toujours moins justifiée la domination de la classe bourgeoise, comme le pouvoir de commandement attaché au capital. En même temps, l’insuffisance croissante du système scolaire, rongé par la bureaucratisation, les contradictions sociales, la séparation vis-à-vis de l’activité productive et dans une moindre mesure sportive, où l’instruction et la culture apparaissent comme des apanages des classes dominantes qu’il faut ingurgiter enrobé d’un démocratisme humaniste dégoûtant et hypocrite, suscitent rébellion et révolte de nombreux jeunes souvent nourris au lait empoisonné de l’individualisme.

    Plus que tout autre, le Royaume-Uni a été un grand pays colonialiste. Comme pour la France, il est vraisemblable qu’une telle situation ait favorisé un certain parasitisme et retardé ou freiné les évolutions que les pays non coloniaux ont du entreprendre plus rapidement. Sans compter la question irlandaise qui reste un boulet à traîner.

    Abordons deux autres point qui mériteraient une réflexion.

    Très tôt et assez radicalement, le Royaume-Uni a sacrifié son agriculture, au profit de son industrie. N’y a t-il pas eu de conséquences sur la maîtrise des sciences de la vie qui sont devenus et seront toujours plus un des ressorts fondamentaux du progrès des forces productives ?

    Le Royaume-Uni est une des démocraties le plus stables du monde. Elle signifie que la bourgeoisie a conservé le pouvoir politique en permanence et donc que les antagonismes de classe n’ont jamais atteint une telle proportion qu’ils en viennent à pousser la bourgeoisie à vouloir délaisser le pouvoir politique, que la lutte des classes n’a jamais été telle qu’elle serve d’épouvantail au point de vouloir freiner le développement économique, en limitant le développement du prolétariat, comme chercha en partie à le faire la troisième république en France, en maintenant le plus possible une paysannerie à l’abri de tarifs protecteurs, ou, au contraire, à accélérer le développement en essayant via une croissance rapide à intégrer le prolétariat, comme ce fut le cas en France après 1968. Par bien des côtés, le développement du machinisme et des forces productives est en relation avec la lutte des classes. La stabilité de sa démocratie et son développement en ploutocratie ne sont ils pas les indices que l’intégration nécessaire du prolétariat pour assurer le développement capitaliste a pu être obtenu plus facilement et donc au détriment du développement du capitalisme moderne.

    Le pays qui a succédé au Royaume-Uni, à la tête du monde, emprunte depuis de nombreuses années le même chemin. Les Etats-Unis maintiennent encore un haut niveau de productivité qui reste comparable avec celui des autres pays étudiés. Mais tous, à l’exception du Royaume-Uni, l’ont dépassé. Si nous regardons la tendance de la progression de l’intensité apparente du travail, les Etats-Unis occupent la dernière place du tableau (cf .3ème colonne du tableau X). Cela signifie que la productivité du travail croît plus rapidement dans les autres pays. Les Etats-Unis ont la croissance la plus faible parmi les pays analysés. C’est le pays qui a eu le plus besoin d’accroître le nombre des prolétaires pour étancher sa soif de plus-value. Les autres ont surtout accru la productivité et l’intensité du travail ce qui se répercute dans la valeur de l’intensité apparente telle qu’elle s’exprime sur le marché mondial. L’accroissement de la plus-value aux Etats-Unis est donc le fruit certes de l’augmentation de la productivité et de l’intensité mais aussi de la masse du travail vivant employé. Le niveau de la productivité et de l’intensité du travail y sont plus faibles en regard du standard mondial que représentent, par exemple, les puissances européennes les plus développées. On admirera au passage, le crétinisme de cette même bourgeoisie européenne dont les économistes n’ont d’autre modèle à offrir pour résoudre la question sociale, que le modèle étasunien ou britannique, c’est-à-dire des modèles de déclin . La pensée économique moderne est tellement indigente qu’elle prend pour des vertus les signes les plus certains de la faiblesse. La science économique agonisante hallucine. Elle voit dans les marques de la pauvreté, les symboles de la richesse. Dans son délire, à cause de sa méconnaissance profonde des mécanismes fondamentaux de la production capitaliste, à cause de sa haine du communisme, elle trouve là aussi l’occasion de lancer une critique contre la théorie révolutionnaire, critique qui tourne évidemment à sa confusion. Superficiellement on ne peut que constater que des masses de travail égales n’engendrent pas la même valeur sur le marché mondial. La bourgeoisie exulte. Regardez braves gens! La théorie de la valeur travail est fausse. Elle annonçait notre mort, elle est erronée, nous sommes sauvés.

    Mais ces quelques comparaisons entre pays d’importance relative semblable, c’est-à-dire entre des pays qui occupent les meilleures places au festin impérialiste, montrent qu’il existe des différences notables entre les niveaux d’intensité apparente. Ces différences sont encore plus importantes quand on compare des pays qui sont les plus éloignés sur l’échelle industrielle.

    Selon la seule théorie capable d’expliquer ces phénomènes, la théorie communiste, cela signifie que plus l’intensité apparente est élevée plus le niveau de productivité est grand, car sur le marché mondial la productivité compte comme intensité. Ainsi s’explique l’apparent paradoxe qui ruine les théories ricardiennes de la valeur, et qui se traduit par le fait que des masses de travail égales donnent sur le marché mondial une valeur inégale. Les Etats-Unis ont beau avoir créé le plus d’emploi pendant cette période, ils ont beau avoir créé plus d’emplois que l’ensemble des autres pays recensés, ils sont le pays qui a le moins progressé sur l’échelle des nations. Ce n’est que si l’on pouvait montrer que le travail improductif s’est particulièrement développé aux Etats-Unis que les conclusions pourraient être infléchies. En effet, le travail improductif n’est ni créateur de plus-value, ni créateur de valeur et de ce point de vue un emploi supplémentaire ne se traduit pas par une augmentation de la valeur et de la plus-value créée. L’hypothèse d’une croissance plus rapide de cet emploi improductif, est loin de devoir être écartée, mais dans ce cas, il faudrait montrer, à l’aide d’une analyse attentive pourquoi les Etats-Unis ont développé leur emploi improductif à un point tel qu’ils affichent une production par emploi inférieure à la plupart des pays analysés ici.

    Le corollaire de cette baisse relative des Etats-Unis sur l’échelle des nations (ils occupent toujours sur le plan absolu la première place) est que le salaire réel moyen y a stagné depuis des années au point de se retrouver encore récemment au niveau des années 1960. Comme nous avons eu l’occasion de le dire ce n’est pas le salaire qui détermine le niveau général des prix mais celui-ci qui détermine le salaire. En d’autres termes c’est le ralentissement des performances américaines sur le marché mondial, la plus faible croissance de la valeur apparente sur le marché mondial qui se traduit par la stagnation de la valeur de la force de travail.

    D’autre part nous avons raisonné comme si la population employée travaillait selon une durée égale. Il existe en fait une masse de travail annuel différente entre les pays et les écarts sont facilement de 20% entre les extrêmes. Les pays européens sont ceux qui travaillent le moins sur l’année. En France, la durée moyenne annuelle du travail (donc y compris le travail à temps partiel) est tombée à 1520 heures de nos jours. Ce phénomène n’exclut pas un allongement de la durée du travail pour toute une partie de la population qui travaille.

    1. Le communisme et la valeur à l’échelle internationale.

    Pourquoi sur le marché du monde, des temps de travail identiques se manifestent-ils par des valeurs différentes ?

    Seule la théorie de Marx répond correctement à cette question. Seule la théorie de la valeur internationale développée par Marx nous permet de nous retrouver dans le labyrinthe international. C’est cette théorie, ensevelie sous des pelletées d’économie vulgaire par le "marxisme" de la social-démocratie et du stalinisme, ignorée et défigurée par le mouvement communiste qui ne trouve rien de mieux à produire que des inepties luxemburgistes, des resucées de Grossman ou Mattick quand il ne s’agit pas d’avatars léninistes, que nous avons résolument choisi de défendre.

    Qu’un tel point de vue ait été soigneusement éludé, enterré, estropié, édulcoré, éliminé, estompé, écarté ne relève pas du hasard, car nous avons là une des caractéristiques de la théorie de la valeur du parti révolutionnaire.

    Ramener la théorie communiste au niveau de la théorie bourgeoise, en faire une variété de l’économie vulgaire telle est la tâche accomplie par la social démocratie et le stalinisme. Que les traîtres et les fossoyeurs du mouvement prolétaire aient trouvé un renfort inattendu dans un mouvement communiste affaibli par 70 ans de contre révolution et devenu une girouette sensible à tous les vents ne peut que les réjouir pour autant qu’ils aient besoin d’aller au delà d’une simple conspiration du silence concernant ce milieu.

    Le leitmotiv de l’économie bourgeoise en matière de rapports de force internationaux est lancinant. C’est la faute aux "pays à bas salaires". En payant des salaires moins élevés qu’aux ouvriers des pays capitalistes les plus développés, les entreprises des "pays à bas salaires", disposeraient de coûts de production inférieurs. La concurrence tourne alors à leur avantage.

    Les conclusions qu’en tire la bourgeoisie des pays développés sont multiples :

    En réponse à cela, la théorie révolutionnaire a largement montré que la valeur des marchandises est déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire à les reproduire. La force de travail, comme les autres marchandises, obéit à cette loi. En conséquence si les marchandises d’un pays sont plus compétitives que celles produites dans un autre c’est que leur valeur telle qu’elle s’exprime sur le marché mondial est inférieure à la valeur que l’autre pays affiche sur le marché du monde. Le niveau général des salaires n’est pour rien dans tout cela. Il ne fait que déterminer le taux de l’exploitation du travail. Et, la tendance générale veut que ce taux soit d’autant plus élevé que le pays est plus développé sur le plan capitaliste. En d’autres termes encore, c’est parce que les marchandises se vendent à bas prix que le salaire est bas (ce dernier est déterminé par la valeur de la somme des éléments nécessaires à reconstituer, à reproduire pour être plus précis, la force de travail ) et non l’inverse.

    Il reste à montrer en quoi des temps de travail identiques s’expriment par des prix différents sur le marché mondial. Ici aussi, la théorie de Marx dispose d’une avance exceptionnelle en regard des théories ennemies. La théorie communiste a fait preuve d’une capacité anticipatrice sans précédent.

    Elle montre que sur le marché mondial :

    1° L’intensité du travail n’est pas la même dans les différents pays. Un travail plus intense se traduisant par la création de plus de valeur dans le même temps.

    2° la productivité du travail se présente sous la forme de l’intensité du travail et donc qu’un travail plus productif compte comme un travail plus intense.

    " (...) sur le marché universel dont chaque pays ne forme qu’une partie intégrante, l’intensité moyenne ou ordinaire du travail national n’est pas la même en différents pays. Là elle est plus grande, là plus petite. Ces moyennes nationales forment donc une échelle dont l’intensité ordinaire du travail universel est l’unité de mesure. Comparé au travail national moins intense, le travail national plus intense produit donc dans le même temps plus de valeur qui s’exprime dans plus d’argent.

    Dans son application internationale, la loi de la valeur est encore plus profondément modifiée, parce que sur le marché universel, le travail national plus productif compte aussi comme travail plus intense, toutes les fois que la nation plus productive n’est pas forcée à rabaisser le prix de vente de ses marchandises au niveau de leur valeur.

    Suivant que la production capitaliste est plus développée dans un pays, l’intensité moyenne et la productivité du travail (national) y dépassent d’autant le niveau international. Les différentes quantités de marchandises de la même espèce, qu’on produit dans différents pays dans le même temps de travail possèdent donc des valeurs internationales différentes qui s’expriment en prix différents, c’est-à-dire en somme d’argent dont la grandeur varie avec celle de la valeur internationale. La valeur relative de l’argent sera, par conséquent plus petite chez la nation où la production capitaliste est plus développée que là où elle l’est moins. Il s’ensuit que le salaire nominal, l’équivalent du travail exprimé en argent, sera aussi plus élevé chez la première nation que chez la seconde, ce qui n’implique pas du tout qu’il en soit de même pour le salaire réel, c’est-à-dire de la somme de subsistances mises à la disposition du travailleur"

    (Marx, Capital, L.I, La Pléiade T.1 P. 1080)

    Les conséquences théoriques d’une telle proposition sont fondamentales. Dans un ancien numéro de CouC nous avions interprété cette citation de manière erronée. La conception défendue à l’époque se représentait le rapport productivité intensité à l’échelle internationale comme un phénomène réel. Ce qui signifierait que la valeur créée par le prolétaire du pays où la productivité est plus grande, est réellement plus élevée. Ce n’est pas nécessairement le cas s’il s’agit d’un phénomène social qui se traduit par l’établissement de ce que Marx appelle (cf. la question agraire) une fausse valeur sociale. Marx nous dit que sur le marché mondial la productivité du travail compte comme de l’intensité. Cela signifie que l’échelle des valeurs sociales qui s’établit entre les différents pays n’est pas en proportion du temps de travail qui a été nécessaire à les reproduire. Si un pays dispose d’une productivité du travail supérieure à un autre, s’il produit une marchandise en une heure là ou l’autre en met le double, la valeur du produit ne sera pas pour autant deux fois plus basse dans le pays le plus productif. Tout au contraire. La valeur sociale affichée sur le marché mondial sera en grande partie inversement proportionnelle au temps de travail contenu dans ces marchandises. En effet, la productivité qui se définit par un accroissement du nombre de marchandises pour un temps de travail social identique, compte comme du travail plus intense c’est-à-dire créateur de plus de valeur et de marchandises dans le même temps. Comme, par ailleurs, le pays le plus riche développe une intensité du travail plus importante que le pays moins riche, la valeur sociale qui s’établit dans le pays le plus développé sera supérieure à celle qui se forme dans le pays le moins développé. La valeur réellement créée n’est pas pour autant celle qui s’affiche sur le marché mondial. Si le phénomène est donc de nature comptable, c’est qu’il se situe au niveau de la valeur relative des monnaies. Marx développe ce point de vue quand il nous dit que la valeur relative de l’argent est plus petite dans la nation où la production capitaliste est plus développée que là où elle l’est moins. Il s’ensuit donc que la valeur des monnaies nationales est différente. Elle est en corrélation inverse avec le niveau de développement de la productivité et de l’intensité du travail. Il est évident qu’il existe d’autres facteurs, propres à la sphère monétaire, qui ont une influence sur les taux de change entre les monnaies. Mais ici il s’agit des déterminants fondamentaux de la valeur de l’argent. Il est fréquent de faire de Marx, un contemporain de l’étalon-or et de la monnaie marchandise. On a tôt fait de laisser penser ou d’affirmer que sa théorie se meut naturellement dans cet espace théorique. On peut constater ici qu’il n’en est rien. Si la valeur des monnaies nationales est différente, cela signifie que leur valeur n’est pas déterminée à partir d’une marchandise universelle qui serait l’étalon commun pour tous les pays. Il existe dans la valeur des monnaies un caractère spécifique qui les lie à la productivité et à l’intensité du travail national. La valeur de l’argent, dans la production capitaliste développée, n’est donc pas strictement liée à la valeur d’une marchandise particulière que ce soit l’or ou une autre marchandise étalon. Ce résultat, qui est contenu implicitement, sinon explicitement dans l’analyse du crédit, pose la théorie révolutionnaire comme une théorie particulièrement moderne. Elle seule a su anticiper le développement du mode de production capitaliste. Elle seule est capable d’en fournir l’analyse et ce qui bien plus important d’en donner l’intelligence de sa mise à mort comme de guider cette action.

    "les effets produits par l’exode de l’or révèlent d’une manière frappante que la production, en dépit de son caractère social, n’est pas réellement soumise au contrôle social : la forme sociale de la richesse s’incarne dans une chose extérieure, séparée de la richesse. A la vérité, le système capitaliste a cela de commun avec les systèmes de production antérieurs, en tant que ceux-ci reposent sur le commerce des marchandises et l’échange privé. Mais c’est seulement dans le capitalisme que ce caractère prend les formes les plus choquantes et les plus grotesques d’une contradiction et d’une aberration absurdes ; car, 1°, c’est dans le système capitaliste que ce trouve abolie le plus complètement la production pour la valeur d’usage immédiate, pour la consommation personnelle des producteurs, si bien que la richesse y existe uniquement comme un processus social où la production et la circulation s’interpénètrent ; 2°, avec le développement du système de crédit, la production capitaliste tend continuellement à surmonter cette barrière métallique, à la fois matérielle et imaginaire, de la richesse et de son mouvement, mais elle vient chaque fois buter contre cet obstacle.

    Dans la crise, on voudrait que tous les effets de commerce, tous les titres, toutes les marchandises puissent se convertir simultanément en monnaie de banque, et que toute cette monnaie redevienne à son tour de l’or"(Marx, Capital L.III, La Pléiade, p.1257, T.2)

    Aujourd’hui les monnaies sont totalement déconnectées de l’étalon or. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’or ne joue plus un rôle, notamment dans les crises, de valeur refuge.

    Nous avons montré, en comparant la situation de pays membres du groupe des 7 pays les plus riches de la planète qu’il existait des différences dans la valeur apparente créée par actif. Ces écarts montrent notamment que l’Allemagne, la France ou l’Italie ont des niveaux de productivité et d’intensité du travail comparables, tandis que les Etats-Unis et tout particulièrement le Royaume-Uni ont reculé dans la hiérarchie mondiale. Du point de vue de la théorie révolutionnaire cela signifie que le niveau de la productivité et de l’intensité du travail est plus élevé dans les trois premiers pays. Comme sur le marché mondial, la productivité compte comme intensité, ce qui se traduit par une valeur relative de l’argent plus faible, la valeur exprimée par actif sera plus élevée. Ce phénomène permet aussi de comprendre comment alors que le temps de travail a été divisé par près de deux en 170 ans, la valeur exprimée par actif est multipliée par près de 13. Le temps de travail annuel est de l’ordre de 3000 heures en 1830. Il est aujourd’hui, en moyenne inférieur à 1700 heures. Dans le même temps, la valeur créée par heure de travail a été multipliée par 25 environ. On ne saurait assimiler complètement cette augmentation à un accroissement de l’intensité du travail, même si elle joue évidemment un rôle. La productivité compte comme intensité et induit donc un accroissement de la valeur exprimée par heure de travail.

    La comptabilité sociale est donc inverse aux apparences. Plus la productivité du travail est développée, moins le temps de travail social pour reproduire la marchandise est grand. Mais sur le marché du monde, cette productivité se présente de manière inversée : la marchandise paraît avoir plus de valeur ; elle a un prix de vente plus important. La marchandise la plus dévalorisée reçoit la valorisation maximum sur le marché mondial. Les marchandises dont la "valeur" est la plus faible s’expriment dans les valeurs sociales les plus élevées. Ce qui est vrai pour une marchandise donnée l’est généralement pour cette marchandise particulière qu’est la force de travail. C’est-à-dire que la valeur de la force de travail des pays les plus développés est, toutes choses égales par ailleurs, la plus basse. Pour un temps de travail identique, le prolétariat du pays le plus développé fournit donc une masse de plus-value plus importante. Le taux d’exploitation est également plus important dans le pays développé. Donc contrairement, à la vision tiers mondiste ou à la compréhension limitée de l’entendement petit-bourgeois, c’est le prolétariat des pays les plus développés qui est en même temps le plus exploité. Pour un temps de travail égal, et généralement aussi pour un temps de travail moindre, le prolétaire des pays les plus avancés est plus exploité tant du point de vue de la masse que du taux de plus value. Mais, leur salaire nominal, et, en règle générale, leur salaire réel est plus élevé. Dans la citation ci-dessus, Marx n’induit pas, automatiquement de ce que le salaire nominal soit plus élevé qu’il en va de même pour le salaire réel, mais tout de suite après les lignes que nous avons citées, il ajoute :

    "Mais à part cette inégalité de la valeur relative de l’argent en différents pays, on trouvera fréquemment que le salaire journalier, hebdomadaire, etc., est plus élevé dans la nation A (c’est-à-dire la nation la plus riche - C ou C) que chez la nation B, tandis que le prix proportionnel du travail, c’est-à-dire son prix comparé, soit à la plus-value, soit à la valeur du produit, est plus élevé chez la nation B que chez la nation A."

    (Marx Capital L.I La Pléiade, T.1 P.1080)

    Exprimé d’une autre façon, cela signifie que le plus souvent, le salaire réel sera plus élevé dans la nation la plus riche. Le taux de plus-value (le prix proportionnel du travail comparé à la plus-value) sera également plus important. Il en va de même du rapport de la valeur de la force de travail à la valeur du produit social. Si le rapport v/pl et le rapport v/(c + v + pl) est plus élevé dans la nation B (la nation où le mode de production capitaliste est le moins développé) que dans la nation A, cela signifie que le rapport inverse à savoir pl/v - taux d’exploitation - et (c + v + pl)/v - rapport entre la valeur du produit social et la valeur de la force de travail sont plus élevés chez la nation la plus développée du point de vue capitaliste.

    La tendance du premier rapport (pl/v) confirme bien que chez Marx et pour la théorie révolutionnaire, le rapport d’exploitation ne va pas en diminuant avec le développement de la société bourgeoise, que le taux et la masse de la plus-value ont tendance à être d’autant plus grands que la force productive du travail est importante. En revanche, et cela constitue une des chaînes dorées avec lesquelles le capital attache le prolétariat à son char, le salaire réel y est, fréquemment, plus élevé. Ce point de vue est également développé par Marx dans le passage suivant :

    "De toute façon, il ne faudrait pas s’imaginer que dans un pays donné, la valeur relative du travail diminue proportionnellement à la productivité du salaire, le niveau du salaire, dans les différents pays, s’établit en proportion inverse de la productivité du travail. C’est juste le contraire qui se produit. Plus un pays est productif par rapport à un autre sur le marché mondial, et plus les salaires comparés aux autres pays y seront élevés. Ce n’est pas seulement le salaire nominal, mais aussi le salaire réel, qui est en Angleterre plus élevé que sur le continent. L’ouvrier mange davantage de viande, satisfait davantage ses besoins. Mais cela ne vaut pas pour l’ouvrier agricole, seulement pour l’ouvrier de manufacture. Mais il n’est pas plus élevé en proportion de la productivité des ouvriers anglais"

    (Marx, Théories sur la plus-value. Editions sociales T.2 p 9-10)

    Le deuxième rapport [v/(c+v+pl)] nous indique également que dans l’esprit de Marx, la composition organique du capital est d’autant plus importante que le pays est plus développé, que la force productive du travail y est plus grande. Exploitation accrue n’est pas synonyme de pauvreté tel que le sens commun peut la définir. L’apparence et l’essence ne coïncident pas et seule la conception scientifique propre au socialisme est en mesure de dévoiler, prélude à son renversement révolutionnaire, les mystères de la société bourgeoise. Par conséquent nous avons démontré que le niveau général des prix est plus élevé dans la nation la plus riche. Si la nation la moins développée arrive à concurrencer la nation la pus riche elle sera nécessairement favorisée par rapport à elle car le niveau général des prix y est inférieur. Bien que globalement moins productive elle apparaît comme plus compétitive sur le marché mondial. Le niveau général des salaires n’est pour rien dans cette affaire. Qu’il soit plus ou moins élevé ne change rien à la force productive du travail et à son expression à travers la formation d’une valeur sociale spécifique sur le marché mondial. Le niveau des salaires déterminera quelle part revient au travail et quelle part revient au capital sous forme de plus-value mais en aucun cas la valeur des marchandises et la compétitivité relative des nations. Si, toutes choses égales par ailleurs, le salaire baisse, le profit augmentera mais il n’y aura a priori aucun renforcement de la compétitivité de la nation la plus développée, car la valeur des marchandises demeure identique. Le niveau plus élevé des salaires est au contraire la résultante de cette productivité supérieure et du monopole relatif qui peut découler de la force productive supérieure des nations les plus développées. C’est parce que la force productive du travail est plus développée que la classe dominante peut accorder des miettes et s’attacher le prolétariat, dans les périodes d’expansion, en augmentant son salaire réel. D’autre part, comme on le verra le prolétariat et plus particulièrement une fraction de celui-ci, son aristocratie, peut bénéficier de l’exploitation des nations les moins développées par les nations les plus développées.

    La rengaine sur la concurrence des pays à bas salaires n’est donc qu’une des voies idéologiques qu’emprunte la classe capitaliste pour s’en prendre au salaire du prolétariat. S’agit-t-il du discours protectionniste de secteurs plus directement concurrencés par des pays où la valeur des marchandises est plus basse ? ou bien annonce t-on ainsi un déclin relatif général des nations qui jusqu’ici tenaient le haut du pavé ? En d’autres termes le modèle américain ou britannique qui nous est présenté comme la panacée est-il un modèle de déclin relatif propre à ces sociétés ou préfigure-t-il le chemin que devront emprunter les vieilles sociétés européennes, berceau du capitalisme et héritières d’une longue tradition culturelle occidentale ? L’avenir le dira.

    Si Marx est explicite sur les rapports entre salaire réel, taux d’exploitation, valeur relative des marchandises et des monnaies sur le marché mondial, le milieu communiste se montre bien plus hésitant. Perspective Internationaliste après une longue pause et de longs tourments qui ont pu faire penser qu’ils risquaient de quitter définitivement l’orbite de la révolution communiste a repris avec vigueur un mouvement de pensée. Il reste de nombreuses lacunes dans l’expression scientifique, mais les progrès sont tellement sensibles que le concept de décadence issu du CCI n’est plus qu’un décorum, une manie de langage, sans assise théorique solide. Il est dur toutefois de rompre avec la ritournelle à décerveler. Aussi dans le numéro 30-31 (Automne 96) on peut lire :

    "Pendant la période ascendante du capitalisme, d’autres nations pouvaient rattraper la formidable productivité de l’Angleterre, précisément parce que la relative séparation des marchés nationaux créait des différences entre les taux de profit moyens nationaux, de sorte que les capitaux à faible composition organique pouvaient utiliser leur taux de profit plus élevé pour alimenter leur propre processus d’industrialisation. Dans le capitalisme décadent, cela est devenu impossible, non seulement à cause du fait que le seuil à franchir pour la formation de capital est de plus en plus élevé, mais aussi à cause de l’égalisation mondiale du taux de profit général. Comme nous le verrons plus loin, parmi les rares cas de développement national réussi au cours du 20ème siècle, l’utilisation des barrières douanières a joué au mieux un rôle mineur. Une autre illustration de ce phénomène a été la spectaculaire augmentation du taux de profit dans des aires telles que l’Amérique latine pendant les guerres mondiales, alors qu’elles étaient presque coupées des importations en provenance des capitaux développés et que la valeur marchande de leurs exportation était régulée dans une large mesure par des conditions de production locales. Aujourd’hui la séparation entre les taux de profit est en train de disparaître. En outre, plus le monde connaît des avancées technologiques, moins la production réalisée avec des méthodes arriérées est capable de s’insérer dans la chaîne de production globale. Tout ce que les pays arriérés ont encore a offrir est leur taux extrême d’exploitation." (P.24)

    Nous reviendrons plus loin sur ce qu’il faut penser des "théories" de PI concernant le taux de profit. On se contentera de souligner la dernière phrase, qui comme nous l’avons abondamment montré tourne le dos à la théorie révolutionnaire.

    Quant aux affirmations d’histoire fiction, sur l’ascendance du XIXème siècle comparée à la décadence du XXè on ne pouvait pas prendre plus mauvais exemple, comme nous l’avons montré, que celui de l’Angleterre. Dépassée vers la fin du XIXè ou au début du XXè par les Etats-Unis et l’Allemagne (jusqu’en 1914, la moitié des transactions mondiales étaient libellées en livres), le Royaume Uni a depuis été dépassé par La France, Le Japon et l’Italie. Ici nous ne considérons que des pays dont la valeur de la production y est absolument plus grande. Quant au revenu par tête qui permet d’exprimer des comparaisons par rapport à des pays plus petits par la taille de leur population mais particulièrement prospères sur le plan capitaliste (Suisse, Luxembourg par exemple), il permet de constater que la Grande-Bretagne a rétrogradé au 22° rang des nations.

    A l’instar de la CWO (héritière zélée du stalinien Grossmann), PI reprend une vieille antienne qui aboutit à nier toute l’importance du commerce extérieur pour la théorie de la valeur. A l’instar du bourgeois, mais sous prétexte d’un "internationalisme" propre aux petits bourgeois des pays impérialistes, on ne peut dépasser le cadre national. Les spécificités de la formation de la valeur sont ignorées. Les fonctions particulières de la monnaie comme monnaie universelle y sont négligées. De la critique de l’économie politique à sa défense, il y a un fossé que s’efforcent de combler les tenants de conceptions ricardiennes. La dialectique ne comprend pas les choses comme un donné, mais comme un processus. On ne les saisit pas uniquement au repos, sinon on n’en comprendrait qu’un aspect, qu’un moment. Pour appréhender leur devenir, il faut en étudier le mouvement. Il en va ainsi pour la valeur et la monnaie. Le travail abstrait ne peut acquérir toute sa détermination de travail social dans la sphère des besoins nationaux (cf CouC N°4 " Communisme contre valeur "). Pour être adéquat à son concept, il doit quitter le cadre étriqué de la nation pour aborder le besoin universel du système mondial. Rappelons que contrairement à la représentation que se fait la bourgeoisie, le marché mondial, du point de vue communiste ne se résume pas aux échanges internationaux, mais représente la somme de tous les marchés nationaux. Le travail abstrait forme du travail social propre aux sociétés marchandes, d’une part n’atteint toute son expression qu’avec la généralisation de la production marchande, c’est-à-dire le mode de production capitaliste, et d’autre part ne devient pleinement une fraction du travail universel qu’en se réalisant dans une infinité de valeurs d’usage. Le travail abstrait ne se développe pleinement qu’avec le développement de la production marchande et la généralisation de celle-ci. C’est à travers le commerce extérieur et le marché mondial que son déploiement atteint toute son expression. la valeur réalise son être sur le marché du monde.

    "C’est seulement le marché extérieur, la transformation du marché en marché mondial, qui mue l’argent mondial et le travail abstrait en travail social. La richesse abstraite, la valeur, l’argent - donc le travail abstrait se développent dans la mesure où le travail concret évolue dans le sens d’une totalité des différents modes de travail qui englobe le marché mondial.

    La production capitaliste est basée sur la valeur, c’est-à-dire sur le développement comme travail social du travail contenu dans le produit. Mais cela n’a lieu que sur la base du commerce extérieur et du marché mondial. C’est aussi bien le résultat que la condition de la production capitaliste" (Marx, Théories sur la plus-value Editions sociales T.III, p. 297)

     

     

    Le même point de vue est développé dans le livre I du Capital :

    "C’est dans le commerce entre nations que la valeur des marchandises se réalise universellement. C’est là aussi que leur figure valeur leur fait vis-à-vis, sous l’aspect de monnaie universelle - monnaie du monde (money of the world) comme l’appelle James Steuart, monnaie de la grande république commerçante, comme disait après lui Adam Smith. C’est sur le marché du monde et là seulement que la monnaie fonctionne dans toute la force du terme, comme la marchandise dont la forme naturelle est en même temps l’incarnation sociale du travail humain en général. Sa manière d’être y devient adéquate à son idée.(...)

    La monnaie universelle remplit les trois fonctions de moyen de paiement, de moyen d’achat et de matière sociale de la richesse en général (universal wealth)." (Souligné par Marx. Marx, Capital L.I la Pléiade T.1 p.687)

    Autant d’éléments qui resteront occultés par Grossmann. Il n’envisage même pas cet aspect fondamental de la théorie de la valeur de Marx. Le seul aspect qu’il commente dans le passage précédent, (après l’avoir cité !) , c’est l’échange de valeurs d’usage que permet le commerce international, l’extension de la sphère des échanges et donc de nouveaux champs d’accumulation. L’importance décisive du commerce international pour la détermination du temps de travail social, de la valeur, de l’effectuation du travail abstrait en travail social, donc le mécanisme fondamental qui régit la base matérielle de la production marchande, sont complètement passés sous silence. Les fondements de la détermination des prix, l’importance particulière du marché mondial et du commerce extérieur, tout cela est proprement absent (et pour cause !) de la théorie de Grossmann. Mattick et la CWO (ajoutons y Battaglia Communista puisque tous ces braves gens ont le même point de vue anti-communiste) sont dans la même lignée. Ils en viennent donc, à sous-estimer complètement l’importance de cette fonction de la monnaie, prélude à d’autres révisions. On passe sous silence cette fonction spécifique de la monnaie que Marx met en évidence dans "le Capital" lorsqu’il parle de monnaie internationale. La CWO ne prend même pas la peine de s’y référer. Elle préfère la compagnie des économistes bourgeois dont elle s’empresse de recopier les manuels. Il ne peut en être autrement car dans cette fonction de monnaie internationale gisent les présupposés théoriques de la conception scientifique du socialisme relatives à la formation des prix mondiaux, au commerce extérieur et à l’échange international. Le courant qui va de Grossmann à la CWO en passant par Mattick a choisi de tourner le dos au communisme révolutionnaire, mais ils se garde bien d’affronter Marx directement. On contourne l’obstacle en l’ignorant.

    Cette ignorance n’est pas le fruit du hasard. Elle correspond pleinement à l’interprétation de type ricardien de la valeur dont fait régulièrement preuve ce courant de pensée. Cette conception permet de circonscrire le débat dans le cadre de l’égalisation du taux de profit. Elle nie l’exploitation des nations et le fait que des quantités inégales de travail puissent être échangées autrement que sur la base de la péréquation des taux de profit. Or, nous l’avons montré ailleurs, l’égalisation du taux de profit entre les diverses fractions du capital suppose une productivité et une intensité du travail similaire entre les branches et composantes du capital. Ici, sur le marché mondial, c’est au contraire l’inégalité de la productivité et de l’intensité du travail qui est posée. Les conditions de l’échange sont complètement différentes et supposent une formation d’une valeur internationale selon une voie qui n’est pas celle de la formation du prix de production. L’établissement d’une valeur internationale suit plutôt, en tenant compte des particularités propres à l’existence d’un marché et d’un commerce international, la logique constitutive de la valeur de marché au sein d’une branche (cf .C ou C n°4).

    En décrétant une égalisation des taux de profit entre les capitaux nationaux, on admet que des temps de travail identiques créent et créeront toujours la même valeur. On se situe dans la perspective d’une théorie ricardienne de la valeur. En même temps que l’on défend une théorie de la valeur rabougrie qui ignore tout des fonctions de la monnaie et qui plaide pour l’éternité du mode de production capitaliste on trouve également l’occasion de la nier en introduisant les pratiques monopolistes.

    Après être passé à coté de l’essentiel dans un sous chapitre intitulé "l’importance du commerce extérieur pour l’accroissement de la variété des valeurs d’usage", avoir anéanti la théorie de la valeur dans un autre sous chapitre intitulé "le commerce extérieur et la vente de marchandises à des prix de production qui différent de leur valeur", Grossmann consacre un chapitre au "commerce extérieur et l’importance des monopoles mondiaux. La lutte pour les matières premières mondiales. L’importance des profits monopolistiques". Grossmann suit ici la veine léniniste. En posant le commerce extérieur comme le domaine privilégié des profits de monopole, donc de prix qui sont déterminés sans rapport avec leur valeur, on procède à une nouveau reniement de la théorie de la valeur. D’un côté on s’efforce de nier toute spécificité à la loi de la valeur dans son application internationale. On ramène la théorie en deçà de ses possibilités. De l’autre côté, on en nie l’action. On la tire au delà de son champ d’action.

    Pour la conception scientifique et dialectique développée par le seul communisme révolutionnaire, le commerce extérieur est aussi bien la base de l’existence de prix de monopoles que la base de leur négation. En effet sans le commerce extérieur la valeur sociale des moyens de consommation de luxe serait insuffisamment déterminée, car ils ne rentrent pas dans le calcul ni de la valeur de la force de travail ni, généralement, du capital constant. Ils pourraient donc avoir un prix relativement indéterminé si le marché mondial n’était là pour que le travail abstrait acquière pleinement sa dimension de travail social. Il en va de même de tous les produits où un monopole pourrait influencer le niveau des prix. A propos de la rente absolue, Marx écrit :

    "On pourrait cependant poser la question suivante : si la propriété foncière confère le pouvoir de faire vendre le produit au-dessus de son prix de production, à sa valeur, pourquoi ne confère-t-il pas aussi le pouvoir de la faire vendre au-dessus de sa valeur, donc à un prix de monopole quelconque ? Dans une petite île où il n’existerait pas de commerce extérieur de céréales, les grains, produits alimentaires, pourraient être vendus comme n’importe quel produit à un prix de monopole, c’est-à-dire à un prix limité seulement par l’état de la demande, c’est-à-dire de la demande solvable, et cette demande solvable est d’importance et d’extension très variables suivant le niveau du prix du produit offert." (Marx. Théories sur la plus-value. Editions sociales T.2 P.387)

    Par conséquent, une concurrence faible, voire inexistante entre propriétaires fonciers ("une petite île"), une absence de rattachement au marché mondial via le commerce extérieur, permettraient aux prix de devenir des prix de monopole. Le commerce extérieur a donc comme fonction d’empêcher que les prix n’aient plus de relations directes avec le mouvement de la valeur et par conséquent que se forment des prix de monopole. Si le commerce international est un domaine privilégié pour la création de prix de monopoles, il est aussi le domaine privilégié de leur négation.

    Grossmann que nous avons souvent eu l’occasion de prendre en flagrant délit de mensonge et falsification n’est pas au bout de ses turpitudes. Remarquons comment il anéantit toute la spécificité et l’importance de la théorie de Marx. Grossmann fait semblant de se placer dans une perspective historique dont il ignore tout. Si on admet, nous dit-il, comme le fait Ricardo que la loi de la valeur à une validité générale et que les marchandises sont vendues à leur valeur aussi bien dans le commerce intérieur que dans le commerce extérieur, la différence entre les deux perd de son importance. A travers le commerce extérieur on n’échangerait que des valeurs d’usage différentes sous une valeur d’échange identique. Ensuite, Grossmann cite Ricardo pour qui aucune extension du commerce extérieur n’augmente immédiatement la somme de valeur que possède un pays. Puis, il conclut en introduisant Marx : "Marx, en revanche, accentue le rôle de la concurrence dans les relations d’échange internationales entre les états". Tout ceci n’est là que pour préparer une nouvelle invention de Grossmann à savoir l’idée d’une égalisation des taux de profit à l’échelle internationale. Pour ce faire, Grossmann part des caractéristiques générales stylisées de la production capitaliste. Il reprend à la base de son argumentation un exemple de Marx où ce dernier anéantit tous les discours tiers mondistes passés et à venir. En effet dans cet exemple, conformément aux tendances générales décrites par la théorie, c’est dans le pays le plus développé que le taux d’exploitation est le plus fort. C’est donc le prolétariat des pays les plus développés qui est aussi le plus exploité même s’il est éventuellement mieux payé. En ce qui concerne la composition organique du capital, il en va de même, c’est-à-dire que celle-ci est plus importante dans le pays où le mode de production capitaliste est le plus avancé. Toujours en conformité avec les tendances générales de la production capitaliste, le taux de profit est plus bas dans la région la plus riche. Dans son exemple Marx considère un pays asiatique où le taux de plus-value serait de 25% contre 100% dans le pays européen. La composition organique est de 1/4 dans le pays asiatique et de 4 dans le pays européen. On obtient ainsi la configuration suivante :

    PAYS ASIATIQUE

    16c + 84 v + 21 Pl = 121 = Valeur du produit

    PAYS EUROPEEN

    84 c + 16 v + 16 pl = 116 = Valeur du produit

    Marx développe cet exemple au début du livre III, pour illustrer les ressorts matériels de l’inégalité des taux de profit. Cet exemple se situe donc avant les analyses de l’égalisation des taux de profit et de la conversion des valeurs en prix de production. Marx conclut :

     

    "Dans le pays d’Asie, le taux du profit est donc supérieur de plus de 25% à celui du pays d’Europe, bien que le taux de plus-value dans le premier soit quatre fois plus petit que dans le second. Les Carey, les Bastiat et tutti quanti en tireront la conclusion diamétralement opposée." (Marx, Capital, L.III. T.2 P.942)

    En revanche, Grossmann développe à partir de là une théorie étrangère à celle de Marx. Ce point de vue théorique qui ne se caractérise que par son extrême vulgarité est bien entendu partagé par les épigones de Grossmann qu’il s’agisse de Mattick ou de la CWO.

    "Mais dans le commerce international on n’échange pas des équivalents parce qu’ici, comme sur le marché interne, existe une tendance à l’égalisation des taux de profit, aussi les marchandises du pays capitaliste hautement développé, c’est-à-dire un pays dont la composition organique moyenne est très élevée, sont vendues à des prix de production, qui sont toujours plus élevés que leurs valeurs, tandis que, au contraire, les marchandises des pays ayant une composition organique du capital inférieure sont vendues dans le cadre d’une libre concurrence à des prix de production qui en règle générale doivent être inférieurs à leur valeur." (Grossmann, p.278-279)

    Grossmann envisage donc une égalisation des taux de profit à l’échelle internationale. Il à même le toupet de laisser penser qu’une telle conception peut également être imputée à Marx.

    "Dans l’exemple de Marx, mentionné ci dessus, cela signifierait que sur le marché mondial se formerait un taux de profit moyen de 18,5% et que du même coup le pays européen vendrait ses marchandises à un prix de 118,5 au lieu de 116. De cette manière sur le marché mondial, des transferts de plus value se produisent, au sein de la sphère de la circulation vers le pays capitaliste le plus développé car la distribution de la plus-value ne se réalise pas en relation avec la quantité d’ouvriers employés mais selon l’importance du capital en action." ( Grossmann, P.279)

    Donc selon Grossmann, il s’établit un taux de profit moyen. Il se forme donc des prix de production. On remarquera que pour un montant de capital identique (ce qui est le cas de l’exemple) le niveau général des prix est identique. Dans un tel cas de figure, il y a un transfert de plus-value des pays où le taux de profit est supérieur à la moyenne vers ceux qui ont un taux de profit inférieur à cette moyenne. Compte tenu des conditions théoriques générales qui ont été tracées cela signifie que les pays les moins développés, ceux dont la composition organique et le taux de plus-value est inférieur à la moyenne perdent une partie de leur plus-value au profit des pays capitalistes les plus développés. Dans l’exemple ci dessus le pays le plus riche réalise un profit de 18,5 au lieu d’une plus-value de 16. Il obtient donc un profit additionnel de 2,5. Selon cette logique on pourrait diviser le monde en deux camps : l’un qui reçoit plus de profit qu’il n’extorque de plus-value à ses ouvriers, le camp impérialiste, l’autre qui réalise moins de profit qu’il n’en extrait de ses prolétaires, le camp des pays non impérialistes. Et si par hasard, un pays avait des conditions moyennes telles qu’il obtiendrait un profit égal à sa plus-value, on pourrait discuter à perte de vue sur sa situation de "non aligné". Si nous tirons toutes les conséquences de la conception théorique défendue par Grossmann et consorts, on doit également considérer qu’il existe un niveau général des prix identique d’une nation à l’autre. En effet à travers l’égalisation des taux de profit, il se forme un prix de production international identique. D’autre part le niveau de l’exploitation du camp "non impérialiste" par le "camp impérialiste" est fixé par la différence entre le taux de profit de chaque camp et le taux de profit moyen. Dans notre exemple, le taux de profit des pays les plus développés est de 16%. Le taux de profit moyen est de 18,5%. On pourrait fixer le niveau d’exploitation ou le taux de transfert en fonction du capital avancé à 2,5%. En d’autres termes un profit de 2,5 est transféré d’une partie du monde à l’autre.

    Supposons que la valeur produite dans les pays les plus développés et ceux dont le taux de profit est inférieur à la moyenne se décompose ainsi :

    Pays de type 1 (pays impérialistes ) : c + v + pl = w

    Pays de type 2 (pays exploités) : c’ + v’ + pl’ = w’

    c/v= n = composition organique

    c’/v’= n’. Par définition nous avons n>n’

    pl/v= t = taux d’exploitation

    pl’/v’=t’. Par définition nous avons t>t’

    v et v’ sont liés par le coefficient h qui exprime le rapport entre les masses salariales des pays de type 1 et 2. v = v’h

    Que vaut le taux de profit moyen :

    pl + pl’

    ____________

    c + v + c’ + v’

    Si nous divisons tous les termes par v’ nous obtenons :

    pl/v’ + t’

    ________________

    c/v’ + v/v’ + n’ + 1

    Si nous substituons v’ à v/h nous obtenons :

    plh/v + t’

    ______________

    ch/v + h + n’ + 1

     

    Soit :

    th + t’

    _______________

    nh + h + n’ + 1

    ou

    th + t’

    ________________

    h (n+ 1) + n’ +1

    Toutes choses égales par ailleurs, plus le coefficient h est élevé, ce qui revient à dire que le capital est d’autant plus concentré dans les pays impérialistes, plus le taux de profit moyen tend vers le taux de profit des pays développés. On obtient, à la limite, le taux de transfert maximum qui est égal à la différence entre les taux de profit. La masse maximum de plus-value transférée sera donc égale à la différence des taux de profit appliquée au capital avancé dans les pays les moins développés. Plus le capital est concentré dans les pays impérialistes, moins les pays dominés par l’impérialisme sont développés. Mais plus le capital est concentré dans les pays impérialistes moins ce transfert de plus-value est significatif pour le relèvement du taux de profit. L’exploitation des pays les moins développés à travers les transferts de plus-value a alors d’autant moins d’intérêt pour le relèvement du taux de profit bien que la masse de plus value transférée soit au maximum.

    L’autre facteur qui influence alors le taux de transfert est l’écart entre les taux de profit. Plus cet écart est grand plus le taux de transfert est élevé. Ici aussi, on peut penser, dans les conditions théoriques générales qui servent de cadre au raisonnement, que cet écart est d’autant plus important que la concentration du capital est importante. Quand des pays se développent, l’écart entre leur taux de profit et celui de leur devancier diminue. On en arrive à dire que le maximum d’exploitation serait obtenu pour une organisation du marché mondial qui rend cette exploitation d’autant plus négligeable que les base matérielles de cette exploitation sont importantes.

    Belle théorie de l’impérialisme que celle là !

    Prenons un exemple qui illustrera le résultat général fourni par l’équation mathématique.

    Supposons que le capital des pays impérialistes et des pays exploités se décompose comme suit :

    I Pays impérialistes : 90 c + 10 v + 10 pl = 110

    II Pays exploités : 10 c + 90 v + 20 pl = 120

    Le taux de profit est de 10% dans les pays de type I et de 20% dans les pays de type II. Le taux de profit moyen est de 15% et la masse de plus value transférée est de 5.

    Si le capital est concentré beaucoup plus fortement dans les pays impérialistes au point de rassembler 90% du capital social contre 50% auparavant nous obtenons le résultat suivant :

     

    I Pays impérialistes : 900 c + 100 v + 100 pl = 1100

    II Pays exploités : 10 c + 90 v + 20 pl = 120

    Le taux de profit dans les pays de type I est de 10% et le taux de profit dans les pays de type II est de 20%. Le taux de profit moyen qui s’établit sur cette base est de l’ordre de 10,9%. La plus-value transférée sera alors égale à plus de 9. Elle tend vers une limite de 10 qui représente le maximum possible dans une telle configuration. Mais dans la situation précédente 5 représentait le 1/3 de la plus-value tandis que dans la situation actuelle 9 en représente moins du 1/10°. Son importance relative diminue quand son importance absolue augmente. L’intérêt de l’impérialisme s’éloigne d’autant plus que sa pression est importante. Et, plus les pays entrent en concurrence plus les pays avancés retirent de bénéfices de cette situation. Voilà le magnifique résultat auquel aboutit la théorie de Grossmann.

    Qui plus est, pour pouvoir obtenir ce résultat il faut encore qu’il y ait un échange réel entre les pays. Le transfert de plus-value n’est pas un phénomène virtuel qui verrait un pays vendre ses marchandises à un prix de production supérieur à la valeur marchande et l’autre à un prix de production inférieur à sa valeur marchande. Si ces pays n’échangent pas réellement des marchandises, il ne s’effectue aucun transfert de plus value. Nous n’aurions qu’une hausse ou une baisse nominale des prix sans modifier les rapports réels. Pour que la plus-value soit intégralement transférée, il faut supposer un échange complet de la production. Une telle perspective suppose que la totalité de la production du pays le plus pauvre soit exportée et échangée contre une partie de la production des pays les plus riches. Des pays qui exportent 100% de leur production n’existent pas et en général, plus un pays se développe plus la part de la production consacrée au commerce international est grande. Le dernier demi-siècle a vu le commerce mondial croître plus rapidement (sauf dans les années de crise) que la production.

    Bien entendu, Marx n’a jamais partagé une théorie aussi vulgaire et abracadabrante. Il l’a même explicitement rejetée : "La péréquation des valeurs par le temps de travail, et bien moins encore celle des prix de production par un taux général de profit, n’existe pas sous cette forme immédiate entre des pays différents" (Marx, Théories sur le plus-value T.2 P.227).

    Si les taux de profits ne s’égalisent pas selon la logique de la création d’un prix de production et de la formation d’un taux général de profit, il ne faut méconnaître ni le rôle des transferts de capitaux qui participent à la répartition et au proportionnement du capital entre les branches en suivant notamment le taux de profit qu’ils peuvent en obtenir ni le fait que les taux d’intérêts eux sont beaucoup plus sensibles à un processus d’égalisation internationale du fait de la mobilité des capitaux qui s’investissent dans la sphère financière.

    "En soulignant la différence entre le taux d’intérêt et le taux de profit, nous négligeons les deux faits suivants qui contribuent à consolider le taux d’intérêt :

    1° La préexistence historique du capital productif d’intérêt et l’existence d’un taux d’intérêt traditionnel ;

    2° L’influence directe que le marché mondial exerce sur la fixation des taux d’intérêt, indépendamment des conditions de production d’un pays, influence bien plus importante que celle qu’il exerce sur le taux de profit." (Marx, Capital L.III, La Pléiade T.2 p;1129)

    Au delà du bric-à-brac théorique colporté par Grossmann et Cie, il nous faut revenir aux bases de la conception de Marx. Qu’avons nous appris des éléments que nous avons retracés ci dessus ? Quelles sont les caractéristiques générales d’un pays plus développé ?

    Toutes choses égales par ailleurs le taux de plus value est d’autant plus grand que la productivité et l’intensité du travail sont plus développées. C’est dans le pays le plus développé que le taux d’exploitation sera, pour un temps de travail identique, plus important. La marche en avant de la production capitaliste et de l’exploitation vont de pair. Il s’agit bien sûr d’une thèse inverse de celle du tiers mondisme.

    La perspective d’une plus grande exploitation n’est nullement contradictoire, comme le démontre Marx, avec deux autres caractéristiques générales : le salaire nominal est plus élevé ainsi que le salaire réel.

    En conséquence le niveau général des prix est plus élevé. Si le salaire réel est plus élevé, le pouvoir d’achat des prolétaires de la nation la plus riche exprimé dans la monnaie de la nation la moins riche est d’autant plus important. La composition organique du capital est également plus importante dans le pays le plus avancé. En contrepartie, le taux de profit y sera généralement plus bas.

    La hiérarchie des nations se fonde donc sur le degré de développement de la force productive du travail. Les nations les plus haut placées sur l’échelle industrielle indiquant aux autres le chemin qui leur reste à gravir.

    Les conditions nécessaires à l’égalisation des taux de profit et la formation d’un taux de profit moyen (intensité et productivité du travail égales, ensemble du travail considéré comme du travail simple, égalité des masses de capitaux, capacité pour le capital et le travail à se mouvoir librement, etc.) ne sont pas réunies sur le plan international. Les lois de la formation d’un prix de production de marché international ne sont donc pas identiques à celles qui agissent dans le cadre national. Sur le marché mondial le travail plus productif compte comme travail plus intense. En règle générale, le travail sera d’autant plus intense qu’il est productif.

    Sur ces bases générales nous pouvons dresser un portrait robot des rapports entre un pays développé et un autre qui se situe à un degré inférieur de l’échelle industrielle.

    Supposons que dans le pays A, 10 prolétaires travaillent 10 heures et produisent 200 unités d’une marchandise. Le capital constant dépensé est de 100 heures (nous supposerons ici qu’il n’y a pas de capital fixe ou du moins que son temps de rotation est égal à 1 ). Dans le pays B, 10 ouvriers travaillant également 10 heures ne produisent que 100 unités de la même marchandise. le capital constant qu’ils utilisent équivaut à 50 heures de travail. Supposons un taux d’exploitation de 1,5 en A contre 1 en B. La journée de travail se décompose donc ainsi :

    A : 40 v + 60 pl

    B : 50 v + 50 pl

    En A la valeur de la force de travail est plus faible qu’en B. En revanche le taux de plus-value y est plus élevé.

    La composition organique du capital est de 100/40 soit 2,5 en A et 50/50 soit 1 en B. La composition organique est donc plus importante, comme le veulent nos caractéristiques générales, dans le pays le plus développé. En revanche le taux de profit est supérieur en B. Il s’élève à 50/(50+50) soit 50% en B contre 60/(100+40) = 43% environ en A.

    Le résultat d’une journée de travail dans les différents pays donne le résultat suivant :

    A : 100 c + 40 v + 60 pl = 200 heures de travail pour 200 unités de marchandises

    B : 50 c + 50 v + 50 pl = 150 heures de travail pour 100 unités de marchandises

    Il s’ensuit que le rapport de v/[c+v+pl] est plus petit en A (40/200) qu’en B (50/150).

    200 unités de marchandises représentent 200 heures de travail en A et 100 unités de marchandises 150 unités en B. Il faut donc une heure de travail en A pour produire une unité de marchandise contre une heure et demie en B. En A la force productive du travail est donc plus développée. Le rapport entre les productivités nationales est de 1,5. La valeur individuelle de la force de travail est de 4 heures en A (10 ouvriers totalisent une valeur de 40 heures) et 5 heures en B. Compte tenu de la productivité, cette valeur équivaut à 4 unités de marchandises en A contre 3 2/3 en B. Le salaire réel correspond donc à 4 unités de marchandises par ouvrier en A contre 3 2/3 en B. Le salaire réel est donc supérieur en A.

    Si nous exceptons le problème du niveau général des prix qui est fonction du taux de change et que nous allons aborder, nous retrouvons dans cette illustration l’ensemble des caractéristiques générales correspondant aux descriptions de Marx.

    Le niveau général des prix est déterminé par le taux de change entre les monnaies. Supposons que dans le pays A, une heure de travail corresponde à un dollar. Admettons que dans le pays B, une heure de travail se traduise par un franc. Un échange des marchandises sur le plan international à travers l’équivalence en temps de travail impliquerait un taux de change de 1 dollar contre 1 franc. Mais, un tel taux de change suppose qu’une heure de travail en A soit équivalente à une heure de travail en B. Or la force productive du travail est 50% supérieure en A. Nous savons cependant que la productivité doit compter comme intensité sur le marché mondial. Cela revient à échanger un dollar contre 1,5 francs. Exprimée en francs la production de A représente une somme de 300 francs. Tout se passe comme si la valeur de marché internationale était déterminée par la nation la moins productive. C’est-à-dire un mécanisme qui s’apparente à celui de la rente différentielle (cf. les travaux de CouC sur la question agraire).

    Cependant un tel taux de change ne répond pas complètement à la dernière caractéristique qui nous manque à savoir un niveau général des prix supérieur en A. Ce niveau doit être tel que l’ouvrier de A puisse obtenir plus d’unités de marchandises en B une fois son salaire converti en monnaie de B qu’il n‘en obtiendrait en A. Sur la base du taux de change indiqué, les 4 dollars de l’ouvrier de A se traduisent par 6 francs en B. Avec ces 6 francs, il achète 4 unités de marchandises soit la même quantité qu’en A. De la même manière les 5 francs de l’ouvrier de B représentent 3 1/3 dollars. Le prix des marchandises étant de 1 dollar, l’ouvrier de B obtient le même pouvoir d’achat en A qu’en B. La théorie de Marx est bien plus vaste que celle qui postule une égalité des pouvoirs d’achat pour déterminer le taux de change. Ici les salaires nominaux ne différent que pour autant que les salaires réels sont différents. Il nous manque donc un élément pour obtenir un représentation plus complète de la perspective de Marx. Le taux de change que nous venons d’établir est donc le taux minimum. Au delà de ce taux de change nous retrouvons l’ensemble des caractéristiques que nous avons définies. Admettons par exemple, un taux de 1,8 francs pour un dollar. Quand l’ouvrier de A convertit son salaire de 4 dollars en francs, il obtient 7,2 francs et 4,8 unités de marchandises soit 0,8 unités de plus qu’en A. En retour, l’ouvrier de B ne reçoit que 2,8 dollars environ. Il ne peut obtenir que 2,8 unités de marchandises là où il en recevait 3,3 environ.

    Comment cela est-il possible sur la base de la loi de la valeur ? C’est qu’à l’effet de la productivité il nous faut ajouter celui de l’intensité du travail qui elle aussi va croissant avec le développement des forces productives du travail. La valeur de la monnaie, est donc fonction de la productivité et de l’intensité du travail. La valeur relative des monnaies dépend donc de la productivité qui compte comme intensité sur le marché mondial ainsi que des différences dans l’intensité du travail. Le taux de change est donc fonction de la différence entre les intensités du travail, ce qui sur le marché mondial correspond à la différence entre les intensités nationales du travail et à la différence des productivités nationales qui comptent comme des intensités sur le marché mondial.

    Pour être importants dans la mesure où elles constituent les soubassements de la valeur relative des monnaies, on ne saurait ramener le taux de change aux seules déterminations que nous venons d’évoquer. Le taux de change ne peut être compris comme le produit mécanique de l’intensité et de la productivité du travail. De nombreux éléments relevant de la sphère financière et commerciale, comme les taux d’intérêts, les mouvements de capitaux, les rapports entre les balances commerciales, exercent une influence particulière. Il n’entre pas dans notre propos de les développer ici.

    3.6.5. Les formes de l’exploitation dans le commerce international.

    Nous avons vu à quel point nous étions éloignés des acrobaties théoriques de Grossmann. Nous avons également atteint le point où nous pouvons discuter les conséquences des éléments que nous avons mis en évidence. Dans la théorie de Marx, il peut y avoir exploitation d’une nation par une autre. Tout se passe ici comme lors de l’échange du travail complexe et du travail simple sur le plan national. Des valeurs différentes sont créées et on échangera des valeurs différentes. Le produit d’une journée de travail de A, le pays le plus riche, s’échange contre le produit de n journées (n supérieur à 1) dans le pays B. Dans notre exemple, en échange de 1 journée de travail A reçoit de B 1,8 jours de travail. Le pays le plus riche, exploite donc le pays le moins riche, même si, comme l’a montré Ricardo, il tire un avantage comparatif de cet échange.

    "(...) Et même en tenant compte de la théorie de Ricardo (...) trois jours de travail d’un pays peuvent s’échanger contre un jour dans un autre pays. La loi de la valeur subit, dans ce cas une modification importante. Ou bien, le rapport qui existe dans un pays entre le travail qualifié, complexe, et non qualifié, simple peut exister entre les journées de travail de pays différents. Dans ce cas le pays riche exploite le pays pauvre, même si ce dernier réalise un gain dans l’échange. (...)"

    (Marx, Théories sur la plus-value. Editions sociales T.3 P.121)

    A travers les rapports entre les monnaies qui déterminent le taux de change se manifeste l’inégalité de l’échange. L’exploitation et les rapports antagoniques sont présents tout au long de l’échelle industrielle, chacun pouvant espérer exploiter un autre plus faible et chercher à limiter son exploitation par les plus forts. Il existe donc un antagonisme universel entre les nations. Sur le marché mondial un produit de 100 F s’échangera contre un produit de 100 F ; mais, suivant les pays, il ne faudra pas le même temps de travail pour les produire. Plus l’écart est grand entre la productivité et l’intensité de deux pays plus le rapport d’exploitation est grand, plus l’exploitation de la nation la moins développée par la nation la plus riche sera forte. L’intérêt de la nation la plus riche (si elle en obtient les valeurs d’usage qu’elle n‘a pas ou qu’elle obtient à un moindre coût relatif c’est aussi l’intérêt de la nation la plus pauvre) est de participer le plus activement possible au commerce international. Pour le pays riche, plus la part consacrée au commerce mondial est élevée, plus le gain qu’il obtient dans l’échange est important. Cette position de force sur le marché mondial est aussi un puissant ressort pour favoriser l’existence d’une aristocratie ouvrière. En développant la force productive du travail, d’un côté on ouvre la perspective d’une augmentation du salaire réel tout en augmentant d’un autre côté la plus-value et on affirme son rang sur le marché mondial.

    "Et la classe ouvrière ? on sait qu’elle connut aussi des périodes de misère durant l’essor inouï du commerce et de l’industrie de 1848 à 1888, car même alors sa grande masse bénéficia tout au plus d’une amélioration passagère de sa condition, et seule une minorité privilégiée et protégée jouit d’avantages durables (...) La vérité, la voici : aussi longtemps qu’a duré le monopole industriel de l’Angleterre, la classe ouvrière a participé jusqu’à un certain point aux avantages de ce monopole. Certes, ces avantages se répartissaient fort inégalement en son sein. La minorité privilégiée en empocha la plus grande partie, mais même la masse en avait, du moins par ci par là, sa portion. C’est ce qui explique qu’il n’y a plus de socialisme en Angleterre depuis la mort de l’owenisme.

    Avec la ruine de sa suprématie industrielle, la classe ouvrière d’Angleterre va perdre sa situation privilégiée. Dans son ensemble, y compris donc sa minorité privilégiée et dirigeante, elle se verra alignée au niveau des ouvriers de l’étranger. Et c’est pourquoi le socialisme renaîtra en Angleterre."

    (Engels Le syndicalisme T.1 P. 192 193 Maspéro)

    3.6.6. Limites de l’exploitation, concurrence et division internationale du travail.

    Ce processus d’exploitation trouve en lui ses propres limites. Le maximum des échanges est atteint quand un des deux pays engage la totalité de sa production dans le commerce international. Si l’écart relatif entre le degré de développement de la force productive s’élève, l’exploitation peut augmenter quant à son "taux". Par exemple, on échangera l’équivalent de trois journées de travail contre une aujourd’hui alors que ce rapport était de deux pour une hier. En revanche, toutes choses égales par ailleurs, elle induira pour la nation la plus riche une baisse de la part relative des échanges par rapport à la production.

    Les éléments théoriques généraux que nous avons développés supposent une forme de division du travail. Si la même marchandise est produite dans les deux pays, c’est le pays le moins développé qui aura les marchandises les moins chères et donc les plus compétitives. Dès qu’un pays moins développé, peut s’engager sur un barreau supérieur de l’échelle industrielle, il risque de remettre en cause les rapports antérieurs et modifier les rapports de concurrence. Ce n’est pas parce que les salaires sont plus bas que les marchandises deviennent concurrentielles et obligent les pays plus développés à baisser leurs prix (c’est cette situation que Marx a vraisemblablement en vue quand il décrit une situation où la concurrence oblige la nation la plus productive à rabaisser le prix de vente au niveau de leur valeur - cf ci-dessus ) voire à abandonner certaines productions qui leur étaient jusque là dévolues, mais cela est dû l’action de la loi de la valeur à l’échelle internationale. Les jérémiades sur la mondialisation (comme si le mode de production capitaliste ne supposait pas d’emblée le marché mondial !), sur la "concurrence des pays à bas salaires", n’ont d’autre fondement que les modifications dans les rapports relatifs entre les productivités du travail à l’échelle internationale du fait du développement rapide du mode de production capitaliste et de la force productive du travail qui l’accompagne dans nombre de pays qui jusque là étaient restés en retard dans le concert des nations. La base matérielle des fantasmes de la bourgeoisie autour de ce concept étrange de mondialisation n’est que la reconnaissance et la mise en évidence de ce qui a été prévu depuis un siècle et demi par notre parti à savoir le fait que la principale zone des échanges deviendrait le Pacifique. C’est devenu un état de fait depuis la fin de la dernière décennie.

    Pour maintenir leur suprématie, les pays les plus développés doivent donc mettre en place la division du travail la plus conforme à leurs intérêts. Quand ils sont concurrencés, ils ont tendance à promouvoir des techniques protectionnistes. Libre échangistes quand la division internationale du travail est conforme à leurs intérêts, protectionnistes quand elle tourne à leur désavantage. La libre concurrence permet d’accroître l’efficacité de la production capitaliste. Elle aura donc un effet positif sur le taux de plus-value. Le protectionnisme cherche à garantir l’existence d’une production qui est le fondement de tout échange et agit sur le maintien de la masse de plus-value. Les deux aspects ne s’excluent pas mutuellement ; ils sont en opposition dialectique.

    Quelle est l’organisation du travail la plus favorable aux pays les plus riches ?

    Nous avons déjà vu dans la question agraire que le mode de production capitaliste rend relativement plus cher les produits de la terre et du sol par rapport aux produits industriels. Fort de l’avantage qui peut être retiré du commerce international, les pays les plus développés auront tout intérêt à se réserver la fabrication de produits industriels tout en cantonnant les pays les moins développés dans une activité de production de matière première.

    "Une nouvelle division internationale du travail, imposée par les sièges principaux de la grande industrie, convertit de cette façon une partie du globe en champ de production agricole pour l’autre partie, qui devient, par excellence, le champ de production industriel."

    (Marx, Capital. L.I La Pléiade T.1 p. 1298)

    Dans ces secteurs où le prix de marché est déterminé sur la base des conditions de production les plus défavorables, les pays les moins développés peuvent plus facilement s’inscrire dans la concurrence internationale et développer un avantage concurrentiel.

    "Dire que le travail agricole est devenu, dans la phase actuelle du développement de la production capitaliste, relativement moins productif que le travail industriel, signifie seulement que la productivité de l’agriculture ne s’est pas développée au même rythme et dans la même mesure. (...)

    "La réduction du temps de travail nécessaire apparaît minime par rapport au progrès de l’industrie. Cela ressort du fait que des pays comme la Russie, etc. peuvent concurrencer efficacement l’Angleterre en ce qui concerne les produits agricoles. La moindre valeur de l’argent dans les pays riches (c’est-à-dire le coût relativement moindre de sa production pour les pays riches) ne pèse en l’occurrence nullement dans la balance. Car il s’agit de se demander pourquoi elle n’affecte nullement les produits industriels dans leur concurrence avec les pays pauvres, alors qu’elle affecte leurs produits agricoles. (Cela ne prouve d’ailleurs pas que les pays pauvres produisent à meilleur marché, que leur travail agricole soit plus productif)"

    (Marx, Théories sur le Plus-value. Editions Sociales. T.2 p.12-13)

    Si la Russie peut concurrencer l’Angleterre pour ses produits agricoles et non pour ses produits industriels, c’est que la productivité relative de l’agriculture russe (par rapport à sa production industrielle) est, étant donné le taux de change entre les monnaies anglaise et russe, supérieure à la productivité relative de l’agriculture anglaise. Le taux de change résulte d’une moyenne. Il exprime la productivité moyenne. Celle ci est influencée pour beaucoup, en Angleterre, par la productivité des produits industriels. Les secteurs qui ont une productivité sociale supérieure à cette moyenne (c’est le cas des produits industriels en Angleterre et des produits agricoles en Russie) se trouveront en partie favorisés par cette situation tandis que ceux qui ont une productivité inférieure à cette moyenne (c’est le cas des produits agricoles en Angleterre) sont au contraire défavorisés. Il n’en demeure pas moins que la productivité du travail agricole anglais peut être plus élevée sur le plan absolu, sur le plan de la dépense effective de temps de travail pour une unité de marchandise donnée, que la productivité du travail agricole russe.

    En guise de conclusion : vers l’euro ?

     

    Comment comprendre le mouvement actuel de l’économie bourgeoise européenne vers une monnaie unique ? Tout d’abord on ne doit pas exclure l’erreur. S’il est un domaine où la théorie bourgeoise a une infirmité congénitale c’est bien celui de la monnaie. Que ignorance et stupidité aient remplacé Charybde et Scylla reste une hypothèse plausible. Dans ce scénario, l’aventure de l’euro dont la mise en place effective se télescoperait avec la prochaine grande crise de surproduction se traduirait par un fiasco majeur. Le choix politique de la monnaie unique aggraverait la crise en se privant - partiellement, il est vrai, jusqu’en 2002 - de bien des possibilités nationales de réaction. D’autre part cet échec ouvrirait nécessairement la voie à une relance des tendances nationalistes en Europe.

    Comment autant de pays, dont les degrés de développement de la force productive du travail sont aussi différents peuvent-ils créer une monnaie unique ?

    Dans ce numéro, nous avons établi que la valeur de la monnaie était en relation avec la productivité et l’intensité du travail sur le plan national. Ce résultat signifie notamment que le niveau général des prix est d’autant plus élevé que la productivité et l’intensité du travail sont importantes.

    Passons déjà quelques faits en revue. Au sein d’un pays donné, il existe des différences de productivité entre les régions comme entre les entreprises. On pourrait penser que la distribution de ces productivités autour de la moyenne est sensiblement identique d’un pays à l’autre. Il semblerait que pour les régions, au moins, ce ne soit pas le cas. Un pays comme l’Allemagne présenterait en effet des régions qui sont parmi les plus productives d’Europe et également des régions qui se situent au niveau des région les moins avancées. Pourtant l’ensemble est fédéré par le Deutsche Mark.

    Nous n’avons à notre disposition aucun élément particulier sur ce sujet mais il est vraisemblable que les Etats-Unis d’Amérique ont suivant les Etats, et, au sein des Etats, suivant les comtés, des niveaux de productivité différents. Cet écart entre les pôles les plus productifs et les pôles les moins productifs est-il comparable à celui qui existe en Europe ?

    Si c’était le cas, on aurait encore un exemple où une monnaie unique est compatible avec de grands écarts dans la productivité du travail.

    Tant que la monnaie est vue dans sa fonction de monnaie de compte, il est indifférent qu’il y ait une ou plusieurs monnaies. Une monnaie unique présente au contraire l’avantage de la simplicité, diminue les coûts propres à la monnaie, etc. Ce qui est en revanche ignoré par la théorie monétaire de la bourgeoisie, toutes tendances confondues, y compris le marxisme vulgaire, c’est la compréhension de la monnaie dans sa fonction de monnaie internationale qui exprime le travail national comme travail social sur le marché mondial. De ce point de vue l’existence d’une monnaie unique joue un rôle dissolvant majeur et accentue les tendances propres au capital en quête d’universalité.

    Supposons deux grandes branches d’activité, dans un pays donné. Supposons que la croissance de la productivité soit plus importante dans l’une des deux branches. Dans un premier temps les prix, exprimés sur le marché mondial, de la branche I, la branche la plus productive, vont augmenter, du moins tant que le taux de change de la monnaie ne change pas. Au delà les deux branches devront trouver un compromis par rapport à leurs intérêts spécifiques, compromis qui n’exclut ni tension, ni luttes d’influence, ni victoire temporaire d’un camp par rapport à l’autre pour influencer la politique du change. D’autre part, la politique industrielle avec notamment une perspective de spécialisation plus marquée pour une activité sera aussi sur la sellette. Mais il s’agit de politiques nationales et la politique du change, comme la politique industrielle sont des éléments qui assurent la cohésion et l’existence d’une bourgeoisie nationale. La création d’une monnaie unique ne peut que favoriser la dissolution d’un tel état de fait. Les intérêts de la branche I et II se disjoignent (ils sont en tout cas reportés de la périphérie nationale à la périphérie européenne) tandis qu’on assiste à la recomposition d’autres forces au sein d’un espace supranational (toutes les entreprises de la branche I par exemple). Une telle politique doit donc engendrer une tendance forte vers un Etat qui dépasse les Etats nationaux actuels, de même la création du Zollverein a été un facteur d’unification.

    Mais que la bourgeoisie se mette sur une orbite politique dépassant le cadre national, qu’elle aille, si sa politique réussit, qu’elle en soit consciente ou non, vers des Etats-Unis capitalistes d’Europe constitue un évènement de la plus grande importance. Si la bourgeoisie que notre parti a toujours décrite comme incapable d’aller au delà du cadre national entreprend d’ouvrir la voie à des perspectives qui relèvent du programme communiste, voilà qui en dit long sur la maturité des bases matérielles du communisme, sur l’existence d’une situation sublimée pour reprendre un concept d’Invariance N°6.

    Aussi, dans le même ordre d’idée que pour le libre échange notre parti vote en faveur de l’euro.