Epidémie dans la production, économie de la catastrophe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date

Mai 2023

Auteur

Robin Goodfellow

Version

1.0

 

 


Sommaire

1.          Présentation... 3

2.         Epidémie dans la production... 4

2.1       Comment analysons-nous les cycles ? Rappel des concepts. 4

2.2       Rappel des résultats obtenus lors des dernières mises à jour 10

2.3       Mise à jour n°14 : Données publiées au premier trimestre 2020. 11

2.4       Mise à jour n°15. Données au 31 mars 2022. 16

3.         La crise de 2020. 19

3.1       La dévalorisation du capital dans la crise. 19

3.2       Réorganisation du travail 22

4.         Le capitalisme est-il mort en 2009 ?. 24

4.1       Accumulation du capital et développement du salariat 24

4.2       L’augmentation du PIB.. 28

4.3       Un endettement croissant 30

4.4       La loi de la valeur à l’échelle internationale. 35

4.5       De la mort du capitalisme à la mort de la politique révolutionnaire. 38


 

1.           Présentation

Nous publions ici, la suite du texte paru en février 2023 sous le titre « Espèce humaine et épidémies ». Les premiers chapitres du présent texte sont consacrés à l’analyse de la crise économique. Ils constituent les mises à jour 14 et 15 du cycle des crises aux Etats-Unis. Les autres mises à jour que nous publions depuis 2016, date de publication de l’ouvrage où nous avons analysé les crises aux Etats-Unis depuis 1929, sont disponibles sur notre site.

 

L’analyse aboutit à l’idée que la crise qui s’est déclenchée en mars 2020 n’était pas une crise de surproduction au sens strict, même si la société était grosse d’une telle crise. De ce fait, la question se posait de savoir, si la dévalorisation du capital serait suffisante. Si c’était le cas, nous pouvions néanmoins déclarer que le onzième cycle, selon notre numération, de la production capitaliste étasunienne était terminé. Sinon, il fallait s’attendre à une nouvelle crise, une véritable crise de surproduction, qui marquerait véritablement la fin de ce cycle.

 

L’étendue et la durée de cette crise ont tranché en la faveur de la première perspective et donc nous considérons que le onzième cycle est clos. Au-delà des chapitres qui ont été écrits sur la base des données d’une époque, et qui donc suivent et tentent d’évaluer la conjoncture, nous publierons, et ce sera l’objet du dernier texte de cette série consacrée à la crise de la Covid, un bilan détaillé de ce onzième cycle.

 

Outre l’analyse de la conjoncture, nous publions ici, une critique du point de vue de Matière et révolution qui pense que depuis la crise de 2008-2009, le capitalisme est mort.

 

 

2.          Epidémie dans la production

2.1            Comment analysons-nous les cycles ? Rappel des concepts

Depuis 2016 et la publication de l’ouvrage sur le cycle des crises aux Etats-Unis, nous suivons avec attention ce cycle afin d’anticiper la prochaine crise de surproduction.

Pour ce faire, nous avons privilégié, une série de données disponible à des degrés divers depuis 1929 (depuis 1947 trimestriellement) et dont l’étude sur plusieurs cycles nous a permis de dégager une méthode permettant de faire des projections raisonnables quant à la perspective d’une crise.

Dans cette série, nous avons retenu tout particulièrement le rapport entre l’intérêt payé par les entreprises non financières et leur profit brut.

Comme nous l’avons déjà montré, depuis 1947, ce rapport a évolué ainsi :


Que montre ce graphique ?

i)                     Dans les crises, le rapport i/p atteint un maximum.

ii)                  Durant la période d’accumulation la courbe du rapport i/p par exemple passe par un point bas.

iii)                Aucune crise n’a eu lieu avant que le cycle du rapport i/p ne soit passé par un point bas


Le schéma montre que les derniers cycles ont eu tendance à s’allonger, ce qui est le signe d’une tendance à la stagnation. L’accumulation du capital devient moins dynamique et la perspective de la surproduction est différée. Ce résultat n’est cependant pas indépendant des politiques (monétaires, budgétaires, réformes bancaires, …) menées par la bourgeoisie pour éviter ou limiter la banqueroute complète de sa société.

 

Pour juger dans quelle partie du cycle nous sommes, nous déterminons tout d’abord, le point bas du cycle. Ce point que nous appelons point de retournement de la période d’accumulation, a été franchi, nous le verrons, pour le cycle en cours, à la fin de l’année 2014.

 

Une autre partie du cycle, dont la détermination est cruciale pour pouvoir projeter la crise de surproduction, est la partie finale de la période d’accumulation. Nous appelons cette phase « vague d’accélération », ou phase de surproduction, surspéculation ; c’est la dernière phase de la période d’accumulation, la phase qui précède la crise de surproduction et qui la prépare. Nous avons donc porté une grande attention à l’histoire des cycles afin de mettre au point une démarche permettant de reconnaître cette partie du cycle.


 

 Dans le cercle bleu, nous mettons un focus sur la partie finale de la période d’accumulation et que nous appelons phase de surproduction, surspéculation ou « vague d’accélération ». Ci-dessus, les vagues du neuvième et dixième cycles selon notre notation.


Nous avons mis en place deux méthodes que nous combinons, l’une à base de moyenne mobile, l’autre à partir d’une courbe de tendance, afin de mettre en évidence l’émergence d’une vague d’accélération. Bien que nous sachions que les révisions des données étaient une source de difficultés, elles ont été beaucoup plus fréquentes que ce que nous supposions et, de plus, ont souvent modifié du tout au tout les projections que nous faisions.

 


 


2.2           Rappel des résultats obtenus lors des dernières mises à jour

Sur la base des données propres à l’époque, nous avons situé le point de retournement de la période d’accumulation à la fin de l’année 2014. Une nouvelle fois, la série confirme qu’il n’y a pas eu de crise avant que ne soit atteint le point de retournement. Dès lors que ce point est franchi et que le cycle boursier continue sa période progressive, nous sommes dans des phases surspéculatives du cycle (les fondements du capital réel, du capital actif, ont tendance à se détériorer tandis que le capital fictif - titres, actions, … - continue sa progression.

 

En août 2016, en confrontant nos deux méthodes, nous avons détecté qu’une vague d’accélération commençait au troisième trimestre 2016[1]. Mais cette vague s’éteindra au quatrième trimestre 2016. L’analyse ultérieure montre que, dans les années 2015-2016, il a bien eu aux Etats-Unis, une baisse de la production industrielle et de l’accumulation du capital dans certains secteurs, un fléchissement des exportations mondiales, une stagnation de la production pétrolière, une baisse du prix des matières premières et de la capitalisation boursière. Un article paru dans le New-York times, le 29 septembre 2018, a mis en exergue le fait économique majeur le moins médiatisé de la décennie : la récession invisible de 2016[2]. La vague d’accélération que nous avons mis en évidence avait donc un fondement matériel sérieux mais la crise générale a été évitée.

 

Nous n’avons que peu d’expérience de ce que nous appelons des « cycles à vagues », c’est-à-dire des cycles comportant plusieurs vagues d’accélération. C’est donc à partir de l’expérience du huitième et du cinquième cycle, rappelées dans la révision N°9 (Le cycle des crises aux Etats-Unis depuis 1929 (9) Les cycles à vagues), que nous avons bâti des hypothèses. Notamment nous nous sommes demandés si le premier sous-cycle ne se conclurait pas par une crise financière à défaut d’une crise de surproduction. C’était le cas pour le premier sous-cycle du huitième cycle. En 1987, une crise financière majeure était intervenue. Dans une moindre mesure on avait connu aussi des crises financières pendant le cinquième cycle.

 

Ces hypothèses n’ont pas eu de réalisation. Et, dans le cas de ce cycle, le plus long de l’histoire du capitalisme moderne (depuis 1825), la notion même de sous-cycle qui nous a guidé pour l’analyse des cycles à vagues, paraît, pour une part, inadaptée. Elle nous a toutefois permis de déterminer les points bas, les points de retournement propres à chaque sous-cycle. Mais, il n’y a pas eu de rupture majeure entre les deux vagues d’accélération. On a plutôt des départs vers la crise qui sont ajournés par une politique monétaire voire budgétaire qui reporte à un niveau plus élevé le potentiel de la crise mais permet de l’éviter sur le moment.

 

Depuis la dernière crise, la bourgeoisie a été traumatisée devant ce qui s’est présenté comme la preuve flagrante de son incapacité à maîtriser le développement des forces productives, comme le fruit de la gestion de sa politique de déclin relatif des vieux capitalismes concurrencés toujours plus cruellement par les nations montantes sur l’échelle industrielle. La nécessité de sauver la situation et donc d’étaler les effets de la crise de 2008-2009 sur plusieurs années s’est conjuguée avec volonté d’éviter à tout prix une nouvelle crise. Des politiques monétaires particulièrement laxistes, du point de vue des monétaristes bourgeois, et qui d’une certaine manière ont échoué par rapport à leurs objectifs déclarés (inflation à 2%), favorisées par des théories imbéciles comme la nouvelle théorie monétaire[3], ont conduit les banques centrales à baisser à des niveaux sans précédent les taux d’intérêt et être dans l’impossibilité de fait de les remonter à mesure que l’accumulation du capital reprenait un peu de vigueur.

 

En mai 2019, nous jugeons peu probable, la perspective émise par de nombreux économistes dont le journaliste des Echos, François Lenglet, qu’une crise interviendra en 2019. En juin 2019, à partir des données disponibles (premier trimestre 2019), nous concluons que le point de retournement du sous-cycle a été franchi. Ce qui était une hypothèse plausible dans la révision n°10 est confirmé. Et, avec les réserves propres à l’analyse des cycles à vagues, trop peu nombreux pour éprouver nos méthodes, nous projetons une vague d’accélération pour le quatrième trimestre 2019.

 

En août 2019, un nouvelle grande révision des données vient précipiter la projection d’une nouvelle crise. La vague d’accélération est entamée. Nous aboutissons à la conclusion suivante :

« Toutes les crises de surproduction étudiées depuis l’après-guerre ont été précédées d’une telle phase [phase de surproduction, surspéculation, la « vague d’accélération »]. En revanche, toutes les vagues d’accélération ne débouchent pas sur une crise de surproduction. Les cycles qui comportent plusieurs vagues d’accélération, c’est-à-dire des sous-cycles, sont les moins fréquents. Le cycle actuel, le onzième, selon notre numérotation, a déjà connu un premier sous-cycle, le plus long de l’histoire des sous-cycles. Aucun cycle n’a connu, une fois passé le point de retournement du cycle plus de deux sous-cycles. De plus, le cycle actuel est d’ores et déjà le cycle plus long du mode de production capitaliste moderne. Par conséquent, la probabilité que cette vague ne débouche pas sur la crise de surproduction paraît très faible. Toutefois, ce cycle est le cycle des records et la bourgeoisie mondiale est vent debout, déployant toutes les ressources de la politique monétaire et budgétaire, pour tenter d’enrayer la crise qui menace. Finalement, cette politique ne fera qu’aggraver la crise mais elle peut la différer, comme elle l’a fait jusqu’à présent. En tout état de cause, nous n’avons pas de raison de penser que la bourgeoisie réussira à endiguer cette nouvelle poussée vers la crise générale de surproduction. » (Le cycle des crises aux Etats-Unis depuis 1929 (13))

 

Du fait de la durée moyenne d’une vague d’accélération synthétique[4] nous attendions donc une nouvelle crise à partir de la fin 2019 et plus probablement pour 2020.

2.3           Mise à jour n°14 : Données publiées au premier trimestre 2020

Il est donc évident au moment où se déclenche la crise de mars 2020 que la société est grosse d’une nouvelle crise de surproduction. Mais cette crise relève aussi de l’accouchement prématuré pour raisons médicales.

 

La question qui se pose alors est la suivante :

 

La crise actuelle met-elle fin au cycle entamé en 2009 ? L’arrêt de la production va-t-il se poursuivre par la crise de surproduction ou, au contraire celle-ci va-t-elle, d’une certaine manière, escompter la crise[5] ? La dévalorisation du capital du fait de l’arrêt de la production et de ses conséquences, la dévalorisation du capital fictif lié à la baisse des bourses, vont-ils être suivis de d’une crise générale de surproduction ou favoriser une forme de purge de la surproduction ? L’intervention massive des banques centrales et des gouvernements va-t-elle à nouveau différer certains aspects de la crise ?

 

Avant d’essayer de fournir des éléments de réponse à ces questions, il est utile de lire ce que nous aurions écrit dans la mise à jour N°14 du cycle des crises aux Etats-Unis si l’épidémie n’avait pas contraint les gouvernements bourgeois à confiner une bonne part de la planète.

 

Au premier trimestre 2020 sont parues les données intégrant le quatrième trimestre 2019. C’est sur cette base que nous aurions publié une analyse de la conjoncture. Que nous dit l’analyse de la vague d’accélération ?

 

En utilisant la méthode des moyennes mobiles pour la série i/p (intérêt/profit brut), nous obtenons le tableau suivant :

 

2008

1

1,178

1,136

1,159

1,137

1,137

Décembre 2007

2008

2

1,036

1,101

1,098

1,121

1,111

2008

3

0,879

0,956

1,021

1,036

1,063

2008

4

1,149

1,005

1,016

1,052

1,059

2009

1

1,078

1,111

1,031

1,032

1,058

2009

2

1,052

1,065

1,09

1,037

1,037

Juin 2009

2009

3

0,913

0,981

1,011

1,041

1,009

2009

4

0,849

0,883

0,939

0,972

1,002

2010

1

0,908

0,876

0,89

0,932

0,961

2010

2

0,984

0,944

0,908

0,91

0,941

2010

3

0,873

0,929

0,922

0,9

0,903

2010

4

1,038

0,95

0,962

0,947

0,923

2011

1

1,092

1,065

0,996

0,993

0,974

2011

2

0,865

0,973

0,994

0,962

0,966

2011

3

0,978

0,917

0,975

0,99

0,965

2011

4

0,972

0,975

0,934

0,974

0,987

2012

1

0,993

0,982

0,981

0,948

0,978

2012

2

0,979

0,986

0,981

0,981

0,954

2012

3

1,064

1,021

1,012

1,002

0,997

2012

4

0,959

1,01

1

0,998

0,993

2013

1

0,9

0,93

0,974

0,975

0,979

2013

2

1

0,948

0,952

0,98

0,98

2013

3

1,027

1,014

0,973

0,969

0,989

2013

4

1,007

1,017

1,011

0,982

0,977

2014

1

1,114

1,061

1,05

1,038

1,008

2014

2

0,905

1,004

1,005

1,01

1,008

2014

3

0,916

0,91

0,976

0,983

0,992

2014

4

1

0,956

0,938

0,981

0,986

2015

1

1,075

1,038

0,995

0,97

0,999

2015

2

1,051

1,063

1,042

1,009

0,986

2015

3

0,973

1,011

1,031

1,024

1,001

2015

4

1,145

1,058

1,056

1,06

1,049

2016

1

0,969

1,051

1,026

1,032

1,04

2016

2

1,089

1,028

1,064

1,042

1,044

2016

3

1

1,043

1,018

1,047

1,033

2016

4

1,039

1,02

1,042

1,024

1,045

2017

1

0,911

0,974

0,983

1,007

1

2017

2

0,965

0,937

0,971

0,978

0,999

2017

3

1,047

1,005

0,972

0,989

0,991

2017

4

1,045

1,046

1,019

0,99

1

2018

1

1,028

1,036

1,04

1,021

0,998

2018

2

1,019

1,023

1,03

1,034

1,021

2018

3

0,969

0,994

1,005

1,014

1,02

2018

4

1

0,984

0,996

1,004

1,012

2019

1

1,111

1,056

1,026

1,024

1,025

2019

2

0,941

1,022

1,015

1,003

1,006

2019

3

0,981

0,961

1,008

1,006

0,999

2019

4

0,968

0,974

0,963

0,998

0,999

 

 

Crise

 

Vague d’accélération

 

La conclusion qui doit en être tirée est que la vague d’accélération que nous avons identifiée à partir d’août 2019 a pris fin au cours du quatrième trimestre 2019. Une nouvelle fois, le départ vers la crise a été enrayé par une politique monétaire et budgétaire offensive.

 

En septembre 2018, le cours boursier avait atteint un maximum suivi de la plus sévère chute du cycle en vigueur. Ce début de crise, en décembre 2018 l’indice SP500 (moyenne mensuelle) avait baissé de plus de 11% par rapport à septembre 2018, a poussé la banque centrale a intervenir de nouveau, en renversant sa politique sur les taux d’intérêt. Depuis la fin de 2015, la banque centrale faisait remonter le taux d’intérêt. Prudemment d’abord, jusqu’à la fin de 2016, puis plus régulièrement à partir de là. En décembre 2018, les taux recommencent à descendre. En pente douce jusqu’à la moitié de l’année 2019, puis plus résolument ensuite.

 

Le niveau antérieur du cours boursier a été recouvré en avril 2019 puis il a vogué vers de nouveau records. Le maximum a été atteint le 19/02/2020 (3393,52 au plus haut ; 3386,15 à la clôture). La moyenne mensuelle la plus élevée a été atteinte en janvier 2020 (3278,20) suivie de très près par le mois de février 2020 (3277,31).

 

Le brusque recul de la bourse a commencé à la fin février. Le 24 février 2020, le volume des transactions connaît une poussée significative qui se poursuit le lendemain et les jours suivants tandis que le cours décroche. Un point bas est atteint le 23 mars 2020 (2237,4 à la clôture – 2191,86 au plus bas de la séance boursière). Lors des la séance précédente, le record du volume des transactions du cycle a été battu avec plus de 9 milliards de dollars d’actions échangées dans la journée. La réaction des autorités a été beaucoup plus rapide que lors du décrochage de septembre. Le cours boursier absolu, bien que la chute soit la plus rapide et la plus importante du cycle est à peine plus bas que le cours le plus bas de décembre 2018. En décembre 2018, le point bas avait été atteint le 24 décembre 2018 (2351,10).

 

La séance précédente, le 21 décembre 2018, avait également connu un montant de transactions très élevé, le plus élevé depuis longtemps (plus de 7,6 milliards). La dévalorisation extrême du capital fictif, en moins d’un mois, est de l’ordre de 35%. A partir de ce point bas, le cours boursier se redresse. En moyenne mensuelle, le cours boursier du mois de mars 2020 est plus haut que celui de décembre 2018 (2652,39 vs 2567,31). La baisse entre février et mars (moyennes mensuelles) aura été de 19% et le mois d’avril 2020 affiche une progression moyenne de 4% par rapport à mars 2020.

 

 


 

 


En conclusion, nous devons constater que la crise actuelle intervient alors que la vague d’accélération était finie et donc que la crise de surproduction était à nouveau différée. Pour la première fois, depuis que l’information pour les évaluer est disponible, un cycle, par ailleurs le plus long de l’histoire, a entamé, pour autant que le concept soit pertinent pour ce cycle, un troisième sous-cycle et en toute hypothèse, la politique de la bourgeoisie a, par deux fois, pu écarter, différer la menace de la crise de surproduction. La dévalorisation du capital fictif a été, du moins pour le moment, stoppée. La dévalorisation qui a eu lieu reste largement insuffisante en regard de la progression des cours tout au long du cycle.

 

Voici donc les conclusions que nous tirons, vers avril 2020, des données publiées à cette époque.

2.4           Mise à jour n°15. Données au 31 mars 2022

Deux ans plus tard, au 31 mars 2022, les données, fournis par le BEA (Bureau of economic analysis), qui nous servent de fondement à l’analyse s’arrêtent au 4ème trimestre 2021. Elles nous permettent de faire un bilan du onzième cycle.

 

L’élaboration du texte sur les virus ayant pris beaucoup de temps, nous avons intégré au fur et à mesure nos analyses sur le suivi de la crise. Comme nous l’avons souvent dit, la méthode utilisée pour nos analyses se révèle, à l’usage, beaucoup plus délicate à mettre en œuvre du fait de variations incessantes, bien plus fréquentes que ce que nous escomptions, qui peuvent parfois modifier brutalement l’analyse du tout au tout.

 

En tout état de cause, sur la base des données disponibles en décembre 2019, nous aurions conclu que la politique monétaire engagée par la banque centrale américaine avait permis de différer une nouvelle fois une crise de surproduction qui s’annonçait. En conclusion, la crise ouverte par l’épidémie de coronavirus avait un caractère accidentel bien qu’elle précipitait une crise qui venait d’être repoussée.

 

Une des questions qui se posait alors était de savoir si cette crise serait suffisante pour que la dévalorisation du capital puisse être à même de purger, même sommairement compte tenu de l’énorme soutien mis en place, le capital. Pouvions-nous alors considérer que le cycle était clos ou fallait-il s’attendre, après la crise sanitaire, à une nouvelle crise de surproduction ? La durée, comme l’étendue de la crise sanitaire et les conséquences économiques induites, comme l’aide massive, inégalée à ce jour, des Etats pour soutenir la production capitaliste, nous ont conduit à considérer que le onzième cycle était fini.

 

Dans nos analyses, tributaires d’incessantes révisions des données, nous avons conclu que la crise précipitait une crise de surproduction potentielle. Cependant, celle-ci n’était pas encore complètement mûre quand elle s’est déclenchée. Pour autant que la production capitaliste était engagée dans la dernière partie du cycle, la phase qui prépare la crise de surproduction, la phase de surproduction, surspéculation proprement dite[6] et que nous appelons aussi « vague d’accélération », nous devions conclure que la crise avait été de nouveau ajournée ouvrant la voie à une situation inédite qui n’a pu voir le jour du fait de la précipitation de la crise : à savoir un troisième sous-cycle au sein du cycle.

Nous nous sommes également interrogés quant à l’importance de la dévalorisation du capital dans la crise compte tenu de sa durée et de la possibilité, du fait des mesures de sauvetage entreprises, à la fois très rapides et très importantes, d’une reprise rapide de l’accumulation.

 

Si la crise avait été de courte durée avec des mesures de soutien importantes, on pouvait penser que la dévalorisation du capital aurait été insuffisante et, en tenant compte de la dimension accidentelle de la précipitation de la crise, on pouvait envisager l’idée que la crise de surproduction clôturant ce onzième cycle serait encore à venir. La durée, comme l’étendue de la pandémie, les mesures massives de soutien sur une longue durée ont eu raison de cette hypothèse et nous conduisent donc à clôturer ce onzième cycle et à commencer l’analyse du, selon notre numération, douzième cycle de la production capitaliste étasunienne de l’après-guerre.

 

Les données disponibles au 31 mars 2022 nous permettent aussi de faire un bilan plus précis de ce cycle. C’est sur ces données que nous nous appuierons pour produire ce bilan qui fera l’objet d’une publication spécifique qui constitue la troisième partie de cet ensemble de textes consacrés à l’épidémie.

 

Nous ne retiendrons ici que la partie consacrée à l’analyse générale du cycle et des sous-cycles en lien avec le rapport i/p.

 

Traitons d’abord la question des vagues d’accélération et des sous-cycles. Le résultat que nous obtenons par la méthode des moyennes mobiles qui consiste à ne retenir selon une méthode explicitée ailleurs que les vagues d’accélération détectées après le point de retournement du cycle.

La méthode appliquée au rapport i/p, rapport que nous privilégions donne le résultat suivant :

 

Rapport i/p

2008

1

1,167

1,12

1,157

1,136

1,136

Décembre 2007

2008

2

1,062

1,11

1,098

1,128

1,117

2008

3

0,879

0,968

1,026

1,035

1,068

2008

4

1,149

1,005

1,024

1,056

1,058

2009

1

1,052

1,097

1,022

1,031

1,055

2009

2

1,052

1,052

1,081

1,03

1,036

Juin 2009

2009

3

0,913

0,981

1,004

1,035

1,004

2009

4

0,849

0,883

0,939

0,966

0,998

2010

1

0,908

0,876

0,89

0,932

0,956

2010

2

0,984

0,944

0,908

0,91

0,941

2010

3

0,897

0,941

0,929

0,905

0,907

2010

4

1,038

0,964

0,971

0,953

0,928

2011

1

1,063

1,051

0,996

0,993

0,974

2011

2

0,889

0,973

0,994

0,969

0,972

2011

3

0,978

0,931

0,975

0,99

0,97

2011

4

0,972

0,975

0,944

0,974

0,987

2012

1

0,973

0,972

0,974

0,951

0,974

2012

2

0,973

0,973

0,972

0,974

0,955

2012

3

1,064

1,018

1,002

0,994

0,991

2012

4

0,959

1,01

0,998

0,991

0,987

2013

1

0,927

0,943

0,983

0,98

0,979

2013

2

0,978

0,951

0,954

0,982

0,98

2013

3

1,021

0,999

0,974

0,97

0,989

2013

4

1,007

1,014

1,002

0,982

0,977

2014

1

1,114

1,061

1,047

1,03

1,008

2014

2

0,905

1,004

1,005

1,009

1,003

2014

3

0,916

0,91

0,976

0,983

0,99

2014

4

1

0,956

0,938

0,981

0,986

2015

1

1,068

1,034

0,992

0,968

0,997

2015

2

1,051

1,059

1,04

1,007

0,984

2015

3

0,966

1,008

1,027

1,02

0,999

2015

4

1,12

1,042

1,045

1,05

1,041

2016

1

0,957

1,034

1,012

1,021

1,03

2016

2

1,097

1,025

1,055

1,033

1,037

2016

3

1

1,046

1,016

1,04

1,026

2016

4

1,059

1,029

1,05

1,027

1,044

2017

1

0,97

1,013

1,009

1,029

1,015

2017

2

0,966

0,968

0,998

0,998

1,016

2017

3

0,995

0,981

0,977

0,997

0,998

2017

4

0,958

0,976

0,973

0,972

0,989

2018

1

0,901

0,93

0,952

0,956

0,959

2018

2

0,911

0,906

0,924

0,943

0,948

2018

3

0,933

0,921

0,914

0,926

0,941

2018

4

0,967

0,949

0,935

0,925

0,933

2019

1

1,103

1,034

0,998

0,974

0,957

2019

2

0,965

1,03

1,009

0,99

0,972

2019

3

0,993

0,978

1,018

1,005

0,99

2019

4

0,946

0,969

0,968

1

0,993

2020

1

1,115

1,028

1,016

1,003

1,022

Février 2020

2020

2

1,097

1,106

1,052

1,037

1,022

Avril 2020

 

 

Crise

 

Vague d’accélération

 

Point de retournement

 

Une fois la première vague d’accélération terminée, aucune nouvelle vague ne se présente. La crise intervient alors que la vague d’accélération n’est pas entamée. Dans les analyses précédentes nous avions une vague d’accélération à nouveau avortée. Sur la base de données plus finalisées, cette vague n’a pas commencé.

Quelle que soit l’analyse retenue nous en concluons que la crise de 2020 n’est pas une crise de surproduction au sens strict.

Nous aboutissons donc d’une autre manière à la même conclusion que celle que nous avions tirée à partir des données disponibles au moment de la crise à savoir que, bien que la crise de surproduction soit latente, sa maturité n’était pas suffisante pour que l’on puisse caractériser cette crise comme une crise de surproduction. Elle en aura cependant des effets similaires, du fait de la durée de la pandémie. Cela nous conduit donc à clôturer ce onzième cycle, le plus long de l’histoire du mode de production capitaliste moderne. Par ailleurs, nous ne retenons que deux sous-cycles pour ce cycle.

 

3.          La crise de 2020

3.1            La dévalorisation du capital dans la crise

Bien qu’elle ne soit pas le strict produit d’une crise de surproduction, la crise actuelle et la dévalorisation du capital qui s’ensuit en ont les mêmes effets même si ceux-ci ont des caractéristiques particulières. Nous l’avons vu, la société était grosse depuis longtemps d’une nouvelle crise de surproduction mais celle-ci n’avait pas encore pris complètement corps ou avait été à nouveau différée.

 

Dans de nombreux pays, les gouvernements bourgeois ont mis à l’arrêt, après moultes atermoiements, la production capitaliste. La pandémie menaçant de submerger les systèmes de santé, ce qui aurait provoqué un chaos sanitaire dont ils n’ont pas voulu assumer les conséquences politiques les plus probables. Cet évènement unique est en même temps le signe d’une force considérable de la société bourgeoise, capable d’arrêter la production de plus-value, de faire entrer en crise des secteurs entiers de la production capitaliste et de mettre en congés forcés des dizaines de millions de prolétaires et plongeant dans la précarité la plus complète bon nombre d’autres.

 

Comme pour tout arrêt de la production, c’est immédiatement vers le prolétariat que la bourgeoisie se tourne. Dès lors qu’elle ne peut plus l’exploiter, lui faire produire de la plus-value, les salaires deviennent une charge considérable qui contribue aux pertes en capital, à la décumulation du capital, propre aux pertes. Le capital variable avancé par la classe capitaliste doit diminuer par tous les moyens

 

Les fractions du prolétariat les plus précaires, intérimaires, intermittents, CDD de courte durée, … comme les populations de travailleurs indépendants pour qui l’esclavage salarié est un privilège et qui sont précipités dans la masse des sans-réserve sont touchées directement et perdent en grand nombre leur emploi.

 

En France, Pôle emploi a annoncé que le nombre de chômeurs de catégorie A (sans aucune activité) avait augmenté de 1,1 millions, pour atteindre un record absolu de 4,6 millions d’emplois. Mais, toutes catégories confondues, le chômage augmente de 358 000 personnes. L’explication tient à ce que de nombreux travailleurs qui n’avaient qu’une activité réduite (missions, temps partiel, ...) dans des secteurs comme la restauration, l’hôtellerie, le bâtiment, le spectacle, n’ont plus d’activité du tout et changent de catégorie de chômeurs. Ils représentent 700 000 personnes. Les CDD inférieurs à 1 mois qui représentent les 2/3 des nouveaux contrats de travail ont baissé de plus de 9% au cours du premier trimestre.

 

A cette première frange de prolétaires qui servent de premier tampon pour amortir les crises, vient s’ajouter celle qui comprend les prolétaires en poste qui sont licenciés du fait des difficultés rencontrées par leur entreprise. Les capitalistes d’entreprises qui font faillite, d’entreprises fragiles, d’entreprises fragilisées par la crise, d’entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise, licencient des salariés. La crise sanitaire est aussi une occasion que saisit la bourgeoisie pour faciliter les licenciements et entamer une réorganisation des sociétés, faire pression sur les salaires, allonger le temps de travail.

 

Une troisième catégorie concerne les salariés mis en chômage partiel. Leur contrat de travail n’est pas rompu mais leur salaire est pris en charge par l’Etat dans des proportions variables selon les pays, les régions et les époques. En France métropolitaine, il représentait 70% du salaire brut (du fait de l’absence de cotisations sociales, jusqu’à fin juin 2020, puis 60% ensuite. Suivant les conventions collectives et la politique des entreprises le salaire fait l’objet d’une compensation plus ou moins importante. En règle générale, même si le salaire est intégralement compensé, les négociations se traduisent par la perte de congés payés, de RTT, de primes, d’accords de modulation du temps de travail, de récupération des heures perdues, de déblocage des comptes épargne temps, et de l’autres côté, pour les secteurs dits « essentiels », les heures supplémentaires peuvent disposer d’une majoration spécifique. Pour nombre d’entreprises, l’assouplissement des règles pour bénéficier du chômage partiel est aussi l’occasion de frauder l’Etat.

 

En France, le ministère du travail a estimé à 8,6 millions le nombre de salariés à temps partiel en avril 2020 . Ils ont chômé 832 millions d’heures soit près de 3 semaines de travail par salarié. Ce nombre est deux fois plus élevé qu’en mars 2020. A la fin avril, 821 000 entreprises étaient concernées et la barre des 10 millions de salariés en chômage partiel était franchie. Le chômage partiel devrait entamer une résorption à partir de juin 2020, mais une partie se convertira dans les mois à venir en chômage complet. Ce sera le cas pour les salariés dont les entreprises feront faillite, pour des salariés en CDD dont le contrat de travail ne peut être rompu avant l’échéance, pour les salariés qui seront en licenciement économique du fait d’une reprise insuffisante de la production capitaliste.

 

Un autre dispositif a également été utilisé, l’arrêt de travail. Il concerne les malades (600 000) ou les personnes jugées vulnérables (300 000 à 400 000) mais l’immense majorité des arrêts de travail concerne la garde d’enfants (2,3 millions). Au total ce sont plus de 13 millions de personnes qui relèvent d’une prise en charge par les organismes sociaux et qui allègent d’autant, pour les salariés, le capital variable que doit avancer la classe capitaliste[7].

 

La plus grande partie de la perte en capital variable est prise en charge par l’Etat ou les organismes publics : nul ne sait encore quelle somme cela va représenter. Les montants avancés se chiffrent en dizaine de milliards d’euros. En tout état de cause, il faudra finir par rembourser et la bourgeoisie fera tout son possible pour que ce soit le prolétariat qui finisse par porter l’essentiel du fardeau[8].

 

Pour la classe capitaliste, les pertes en capital variable, il en existe dès lors que le salaire est partiellement ou totalement compensé, ne sont pas les seuls facteurs de décumulation. Sur le capital constant, également, elle doit enregistrer des pertes du fait de l’arrêt de l’activité. Le maintien en état des locaux, des moyens de production, les pertes sur les marchandises périssables qui n’ont pu être vendues, … constituent des foyers de pertes. Ils sont aussi l’occasion de conflits entre les diverses fractions de la bourgeoisie. Le paiement des loyers, les charges d’intérêt sur les prêts en cours, les pertes d’exploitation qui pourraient relever des assurances sont autant de points de discorde. Quand il s’agissait de se partager la plus-value un terrain d’entente pouvait être trouvé, dès lors que le capital industriel[9] est mis à contribution et se trouve amputé, c’est une autre affaire. Il ne s’agit plus de se répartir la plus-value mais les pertes. D’un autre côté, les plus riches et les plus audacieux auront profité de cette période d’arrêt forcé pour faire des travaux, de nouveaux investissements, installé des machines et réorganiser les ateliers.

 

Dans la mesure où le capital propre des entreprises est entamé, pour qu’elles puissent continuer à exister dès lors qu’elles n’ont pas été assez prévoyantes pour avoir une trésorerie suffisante permettant de faire face aux aléas de la production, pratique qui, à un certain moment, peut être considérée comme de la mauvaise gestion par le capitaliste financier, il faut emprunter. Des prêts garantis avec des taux d’intérêt préférentiels ont été mis en place. Mais ces prêts devront être remboursés. Ce sera un aiguillon supplémentaire pour la course au surtravail. La classe capitaliste sera d’autant plus mobilisée pour abaisser les salaires, augmenter le temps de travail et sa productivité. En attendant, le rapport, au sein du capital avancé, entre le capital propre et le capital emprunté se sera modifié en faveur du capital emprunté.

 

Il est peu probable que la société sorte du confinement, comme d’un bocal de naphtaline, et que le capital un moment suspendu reprendra son cours comme si rien ne s’était passé. Ne serait-ce que parce que le déconfinement obéit à des calendriers différents et que, à l’échelle mondiale, l’épidémie est toujours dans sa phase d’expansion. Les mesures protectionnistes qu’elles relèvent de logiques écologiques, du patriotisme économique que la bourgeoisie appelle de ses vœux, de mesures administratives comme les prises de congés en France, de formes de relocalisation, etc. vont se développer sans pour autant prendre une importance démesurée ; les tendances libre-échangistes, celles promues par la grande bourgeoisie sont toujours à l’œuvre. Le capitalisme asiatique qui sort en vainqueur de cette crise améliore sa position relative sur le marché mondial et favorise chez ses concurrents un repli protectionniste. Au sein même du capitalisme asiatique, les tendances protectionnistes sont aussi actives. La Japon, Taïwan, La Corée du Sud par exemple, mettent en place des mesures pour être moins dépendant de la Chine. En réaction à tous ces faisceaux protectionnistes, le marché intérieur chinois va aussi être l’objet de mesures de protection et de reconquête.

 

D’autres faillites sont donc à attendre, entre ceux qui ne se relèveront pas du déconfinement, les reprises mitigées qui engendreront de nouveaux licenciements, les entreprises dites zombies qui sombreront définitivement, les nouvelles pousses qui ne pourront pas prendre racine, nous aurons une décumulation nette du capital, tandis que le rapport de force entre les diverses fractions de la classe dominante évoluera favorablement pour les capitalistes financiers et la petite-bourgeoisie protectionniste. D’un autre côté, comme la crise frappe certaines branches de manière indistincte sans que le marché puisse se manifester pleinement, il aura un processus de concentration et d’accroissement du marché dont bénéficieront les survivants tandis qu’un espace sera ouvert à de nouvelles pousses.

 

Incontestablement, la crise a commencé à la fin du premier trimestre 2020, mais elle n’a pas revêtu la forme classique des crises de surproduction. La bourgeoise mondiale, dont les mandants ont réagi rapidement et avec des moyens colossaux ont tout fait pour éviter une débâcle généralisée, espère, comme le montre la rapide remontée des cours boursiers, une reprise de l’accumulation en V, considérant que cet épisode n’était qu’un accident dans le parcours triomphant du capital. S’il est peu probable qu’il en soit ainsi, la question reste de savoir si cette crise et la dévalorisation massive du capital qui s’ensuit sera suffisante pour que la crise de surproduction qui menaçait soit complètement écartée. En d’autres termes, la fin de cette crise signera-t-elle la fin du ce onzième cycle[10] ? Les effets sur l’accumulation du capital étant de même nature que lors d’une crise de surproduction classique, la dévalorisation qui est à la fois plus importante mais aussi indistincte dans certains secteurs sera-t-elle suffisante pour régénérer le capital ? Comme en 2008-2009 mais à une échelle encore plus vaste, l’Etat est intervenu massivement pour limiter la profondeur de la crise. Cela signifie aussi qu’il cherche à en étaler les conséquences sur plusieurs années. Cette même politique s’est traduite par un ralentissement relatif de l’accumulation du capital et un ralentissement encore plus marqué du commerce mondial, la présence des séquelles de la crise précédente tout au long du cycle et nombre d’entre elles n’étaient pas encore résorbées au moment où cette nouvelle crise apparaît. Enfin, le déclin relatif de l’occident n’a en rien permis à nombre de pays et en particulier à celui qui domine toujours le marché mondial de revenir sur la politique d’aide à la production capitaliste qu’il avait engagée lors de la dernière crise. A chaque départ d’une nouvelle crise, il a fallu intervenir et les tentatives de retour à une ancienne normalité quand une accalmie paraissait se manifester ont dû être abandonnées dès les premiers signes de décrochage. Tout se passe comme si les marchés du capital fictif ne pouvaient plus survivre sans ce soutien, que l’effondrement du capital fictif signerait l’acmé de la crise avec des conséquences dévastatrices et qu’ils en ont tellement persuadés les représentants de l’Etat qu’ils exercent une pression permanente sur ceux-ci pour que ce soutien soit sans faille. Mais ces derniers sauront être récompensés de leur loyauté au capital en recevant distinctions, promotions, sinécures et prébendes. La moitié des actions de la bourse américaine est désormais détenue par les fonds de pension. D’une certaine manière, la grande bourgeoisie et les capitalistes financiers ont pris en otage et comme bouclier de leur fortune l’armée des retraités américains et lié leur sort au leur. Dans le même temps, comme nous l’avons montré, un endettement croissant se traduit par une production de plus-value relativement moindre. Les tendances protectionnistes qui vont se renforcer signifient également qu’au sein de la bourgeoisie les tenants de l’accroissement de la masse de la plus-value et du profit se renforcent par rapport à ceux qui ne jurent que par l’augmentation du taux de la plus-value et du profit.

3.2           Réorganisation du travail

La bourgeoisie tire aussi des leçons de la crise en matière d’organisation du travail. L’extension de la sphère du télétravail a permis un retour d’expérience à une échelle inconnue à ce jour. D’une part, la situation a favorisé la mise à niveau et l’installation d’équipements permettant de télétravailler ou de le faciliter. D’autre part, la pratique, dans l’ensemble réussie, du télétravail a ouvert des horizons supplémentaires pour augmenter le taux de profit. Le télétravail, qui était une pratique qui se développait mais restait encore, dans bien des grands groupes capitalistes, au stade expérimental, va s’étendre. En 2004, une étude de la DARES évaluait à 2% le nombre de télétravailleurs à domicile et à 5% le nombre de télétravailleurs « nomades ». En 2012, un rapport pour le ministère de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique  évaluait à 12,4% de la population active, le nombre de travailleurs concernés par le télétravail (bien moins que dans les pays anglo-saxons ou scandinaves où il était évalué entre 20% et 35%). Mais, selon l’Insee, ils n’étaient que 3% de salariés à télétravailler au moins un jour par semaine en 2017 dont 61% de cadres. Selon les définitions du télétravail les résultats ne seront pas les mêmes. La dernière en date, intégrée dans le code du travail, rend plus souple la notion de télétravail.

 

Pourtant, à en croire les zélateurs du télétravail, il ne présenterait, du point de vue du capital, que des avantages.

 

La productivité, mise à mal par le management moderne avec ses espaces ouverts où les salariés se surveillent mutuellement, où la concentration est difficile, où les sollicitations sont fréquentes et les taches fragmentées, retrouverait des couleurs. L’étude citée ci-dessus évalue l’augmentation moyenne de la productivité à 22% du fait d’une meilleure efficacité, du gain de temps et de la réduction de l’absentéisme.

 

Il ouvre la possibilité de réduire le poids de la rente foncière dans la plus-value. Il y a, à terme besoin de moins de locaux équipés par personne, ce qui permet d’envisager une superficie moyenne de bureaux par salarié plus petite et par la même occasion de réduire relativement la rente foncière versée sous forme de loyer. Les coûts marginaux liés au défraiement compensant largement la baisse des loyers et charges associées. La superficie par salarié peut alors être réduite en dessous des normes minimales.

 

Les patrons ont également pu constater que les téléréunions avaient gagné en maturité et qu’il était possible dans bien des cas, de limiter des déplacements coûteux.

 

Le télétravail contribue à mettre en place un management plus moderne en limitant le rôle des hiérarchies intermédiaires lesquelles sont de ce fait les principaux obstacles à son extension. De ce point de vue, cette crise arrive à point pour imposer une autre organisation du travail.

Cerise sur le gâteau, comme les salariés peuvent organiser eux-mêmes leur propre temps d’exploitation, que l’on fait confiance à leur capacité organisationnelle et qu’ils gagent le temps des transports, la formule du télétravail est plutôt favorablement accueillie par le salarié. CO2 en moins, capacité de résistance réduite, attachement plus important à l’entreprise, productivité en hausse, absentéisme en baisse, profits en hausse, voilà une martingale comme les aime la bourgeoisie.

 

De nombreuses sociétés se sont engagées dans la généralisation du télétravail. Par exemple, Twitter a fait savoir qu’il autorisait l’immense majorité de ses salariés à travailler à leur domicile, même après la fin de l’épidémie. Facebook sur un mode moins radical lui emboîte le pas. En France, PSA a annoncé vouloir faire du télétravail la règle pour la plupart des travailleurs dont les activités peuvent être accomplies sous cette forme (80 000 postes sur les 200 000 que compte le groupe sont concernés). Pendant le confinement, 38 000 personnes ont télétravaillé (le télétravail concernait 18000 personnes avant la crise).

 

Comme le télétravail ouvre la possibilité d’une concurrence renforcée à l’échelle mondiale entre prolétaires qui par ailleurs sont isolés, son développement, comme tous les progrès de la force productive du travail, se retourne contre le prolétariat. Même le statut de salarié dans la mesure où il est, dans certains pays, par certains côtés, plus favorable que celui de nombre de travailleurs indépendants est plus facilement remis en question dans le cadre du télétravail.

 

Toute cette politique se drape de vertus écologiques et sanitaires mais le but qu’elle poursuit est l’extraction d’un maximum de plus-value.

4.          Le capitalisme est-il mort en 2009 ?

C’est la thèse, développée par « Matière et révolution ». Elle ne repose sur aucune statistique sinon des arguments fantaisistes. Nous n’avons cessé de demander à ces camarades, de justifier tant soit peu leur position, généralement agrémentée de confusions permanentes sur les leçons à retirer de l’examen des faits. La discussion est rendue d’autant plus compliquée que l’on passe l’essentiel du temps à redresser l’expression de notre point de vue qui reste la plupart du temps déformé et incompris.

 

Nous renvoyons à la première partie de la critique de Matière et révolution[11] (nous n’avons pas eu le temps d’écrire la suite), pour l’exposé de leur représentation de cette crise finale du capitalisme (2008-2009) qui ne serait pas une crise de surproduction mais une crise d’une autre nature dont on attend toujours le début du commencement d’une preuve.

4.1             Accumulation du capital et développement du salariat

Revenons à la thèse de la mort lors de la dernière crise du mode de production capitaliste. Si le mode de production capitaliste était mort, il n’accumulerait plus le capital et donc le salariat ne se développerait pas sauf à imaginer que le même capital variable salarie une masse croissante de prolétaires et donc que le salaire baisserait en relation avec l’augmentation de la population productive.

 

Ceci n’étant pas le cas, examinons les paramètres suivants : population mondiale, population mondiale en âge de travailler, population mondiale active[12], population mondiale employée (population active - chômage), population salariée. Nous comparons deux périodes de 12 ans ; la période 1990-2002 et 2007-2019. En 2007, selon l’analyse de la mort du capitalisme en 2008-2009, le MPC aurait connu un apogée. Et dans la période 1990-2002, période où il aurait été vivant, un certain dynamisme devait régner.

 


 

 

 

 

 

Population

Variation

Population en âge de travailler

Variation

Population active

Variation

Taux de chômage

Population employée

Variation

Salariat[13]

Variation

1990

5.281 

 

3.219

 

2.321

 

4,4% [14]

2.219

 

1.023*

 

2002

6.274

993/18,8%

3.985

766/23,8%

2.838

517/22,2%

5,832%

2.672

453/20,4%

1.348**

325/31%

2007

6.675

 

4.337

 

3.053

 

4,94%

2.902

 

1.509 (2012)[15]

 

2019

7.715

1.040/15,6%

5.014

677/15,6%

3.489

436/14,3%

4,936%

3.316

414/14,2%

1.900***

391/26%

 

*Estimation à partir du 1,06 en 1991

** Estimation sur la base d’une progression linéaire de la part du salariat dans la population active (47,5% en 2002)

***Estimation à partir du 1,87 en 2017.

 


La population mondiale n’a cessé de croître passant de plus de 5 milliards en 1990 à près de 8 milliards en 2019. Si nous comparons, les deux périodes de 12 ans, le taux de croissance baisse (15,6% contre 18,8%) mais le nombre absolu augmente légèrement (moins de 1 milliard pour la période 1990-2002 et un peu plus de 1 milliard pour la période 2007-2019).

 

La population en âge de travailler, qui donne une idée approximative du potentiel de force de travail à l’échelle mondiale a également augmenté mais plus vite. Il y a un ralentissement de la natalité et une augmentation de l’espérance de vie. Quelle que soit la période considérée, la population active augmente moins vite que la population en âge de travailler. Il n’y a donc pas, à l’échelle mondiale, de phénomène que nous qualifions de surpopulation absolue, au sens où la population active augmenterait plus vite que la population en âge de travailler. La surpopulation que traduit notamment le chômage est donc uniquement relative et donc engendrée par le mécanisme même de l’accumulation du capital. Mais une part croissante de la population en âge de travailler étudie, à la fois pour répondre aux besoins du capital et aussi pour être parquée en dehors du travail productif, à étudier des « sciences » stupides, et limiter ainsi le potentiel de la surpopulation relative[16]. En même temps, ce n’est en rien, bien au contraire, un signe de mort du capitalisme. Si une société est capable de faire étudier plus longtemps une part croissante de sa jeunesse, d’augmenter l’espérance de vie et d’entretenir une population plus âgée dont la proportion ne cesse de croître[17], c’est que la productivité sociale du travail augmente et avec elle l’exploitation du prolétariat.

 

Le taux de croissance de la population employée a diminué d’une période à l’autre (20,4% pour la période 1990-2002, 14,2% pour la période 2007-2009 ; le nombre des emplois créés a également baissé 453 millions pour la première période contre 414 millions pour la deuxième période étudiée) mais cette diminution est à mettre en relation avec la baisse de la population en âge de travailler si bien que le taux d’emploi, le rapport entre la population employée additionnelle et la population en âge de travailler additionnelle est plus favorable dans la deuxième période. Le rapport entre la variation de la population employée et la population additionnelle en âge de travailler est 453/766 dans la période 1990-2002, soit 59%, contre 414/677 dans la période 2007-2019, soit 61%. Il n’y a donc pas, de ce côté-là, de signe de déclin.

 

Par ailleurs, le salariat, le mode d’exploitation caractéristique du mode de production capitaliste ne cesse de croître et sa part relative dans la population additionnelle est considérable. Il montre que le mode de production capitaliste progresse plus vite que les autres modes de production. La domination du capital s’impose toujours plus sur l’ensemble de la planète. Pour nous en tenir qu’aux seuls nombres fournis dans la note, nous avons une augmentation de la population salariée de plus de 800 millions entre 2017 et 1991. Dans le même temps (1991-2017), la population active augmentait de 1.050 millions. Par conséquent, le salariat représente plus des ¾ de la croissance marginale de la population active. Et donc, plus des ¾ de la croissance de la population active relève du capitalisme moderne. Le salariat dont il est question ici, intègre le prolétariat (soumis au capital, argent avancé comme capital) et les classes moyennes modernes (argent dépensé comme revenu ; ce sont par exemple, pour une très grande part, les secteurs de la fonction publique).

 

Les estimations que nous avons faites montreraient plutôt une accélération de ce processus et laissent penser que nous approchons au point d’une domination absolue du mode de production capitaliste – les autres modes de production ne progressant plus.

 

Il nous reste à préciser dans quelles régions ce salariat a le plus significativement augmenté. Dans l’article cité en note, nous pouvons relever les données suivantes :

 

·         Chine : 300 millions

·         Inde : 60 millions

·         Amérique latine : 100 millions

·         Afrique sub-saharienne : 70 millions

 

Tandis que le prolétariat stagne dans les pays les plus développés, le seul accroissement en Chine, en Inde ou en Amérique latine dépasse le nombre de prolétaires dans les pays capitalistes les plus développés.

Source : Michel Husson, http://hussonet.free.fr/classow.pdf

4.2             L’augmentation du PIB

Le PIB (produit intérieur brut) donne une approximation, pour ce qui relève du mode de production capitaliste, de la valeur du capital variable et de la plus-value à laquelle s’ajoute la valeur de la fraction usée du capital fixe.

Comment a-t-il évolué au cours des périodes analysées ?

Nous obtenons le tableau suivant :

 

 

 

 

 


 

Année

Montant ($ constants)

Variation

Accroissement comparé de la population employée

Taux marginal d’intensité apparente (colonne 3 / colonne 4)

Formation brute de capital fixe ‘% du PIB)

1990

37,875

 

 

 

25,978

1991

38,435

 

 

 

25,453

2002

51,995

14,120/37,3%

20,4%

1,83

23,479

2007

63,24

 

 

 

25,877

2018

82,458

 

 

 

24,383

2019

84,354[18]*

21,371/33,3%

14,2%

2,34

 

 

Evolution du PIB mondial en trillons de dollars constants

*Estimation


Le premier constat est que le PIB n’a pas cessé de croître. Par conséquent, la masse du capital variable et de la plus-value a augmenté. Augmentation du nombre de salariés, augmentation de la plus-value. Comme le but déterminant de la production capitaliste est la recherche du maximum de plus-value, nous devons constater qu’il s’emploie toujours avec succès à réaliser son but.

 

Pendant la deuxième période de 12 ans considérée (2007-2019), la masse de valeur créée est beaucoup plus importante que dans la première période. En revanche, le taux de croissance du PIB a été de 37,3% durant la première période (1990-2002) pour baisser, pendant la deuxième période (2007-2019), où le taux est tombé à 33,8%, donc un ralentissement relatif, qui est une manière de traduire la baisse tendancielle du taux de profit. Mais si nous rapportons cette croissance à celle de la population employée, nous constatons que la création de valeur par personne a été plus importante dans la deuxième période analysée que dans la première. Tous ces éléments démentent l’idée que le mode de production capitaliste soit mort en 2009.

 

Dans le PIB, une partie représente la formation brute de capital fixe. Cette valeur représente donc à la fois de la plus-value (capital fixe additionnel) et une fraction de la valeur du capital fixe (la partie qui est transmise annuellement au produit du fait de son usure) et donc représente une partie du capital constant.

 

La dernière colonne du tableau donne en pourcentage du PIB la part de la formation brute de capital fixe. Elle reste, dans la deuxième période, à des niveaux comparables à ceux des périodes précédentes. S’il est possible de dire, à partir des données disponibles sur le site de la banque mondiale, qu’il existe une baisse tendancielle de cette part depuis les années 70 (ce qui est encore une façon d’approcher une baisse tendancielle du taux de profit), elle reste à des niveaux élevés comparables tout au long de ces 50 dernières années. Nous devons donc conclure que l’accumulation du capital, qu’il soit constant ou variable, a largement prospéré.

4.3             Un endettement croissant

Il reste à évaluer l’argument selon lequel toute cette accumulation serait totalement artificielle, soutenue à bout de bras par un endettement croissant. Il y a bien entendu une part de vrai dans ce constat, mais la totalité de l’accumulation du capital ne peut être expliquée par ce phénomène.

Une étude de la banque mondiale sur les vagues d’endettement a établi les graphiques suivants :

Evolution de la dette mondiale[19]

Entre 2007 et 2018, la dette est passée de 174,6% en 1990 à 192,2% en 2002.

Année

Dette en % du PIB

Montant

Variation

1990

174,6%

66,129

 

2002

192,2%

99,924

33,795

2007

196,2%

124,076

 

2018

227%

187,749

63,673

2019

230%*

194,605

70,529

 

Flux de PIB correspondant à la première période (1990-2002)

Année

PIB

Variation année n -1990

1990

37,875

 

1991

38,435

0,560

1992

39,112

1,237

1993

39,706

1,831

1994

40,892

3,017

1995

42,136

4,261

1996

43,559

5,684

1997

45,163

7,288

1998

46,316

8,441

1999

47,819

9,944

2000

49,915

12,040

2001

50,888

13,013

2002

51,995

14,120

Total

 

81,436

 

Par conséquent, pour cette première période, 1990-2002, un endettement additionnel de 33,795 trillions est à comparer avec un flux de PIB additionnel de 81,435 trillions. Soit un ratio de 2,4.

 

Flux de PIB correspondant à la deuxième période (2007-2019)

Année

PIB

Variation année n -2007

2007

63,24

 

2008

64,41

1,17

2009

63,329

0,089

2010

66,051

2,811

2011

68,121

4,881

2012

69,829

6,589

2013

71,682

8,442

2014

73,313

10,073

2015

75,782

12,542

2016

77,662

14,422

2017

80,076

16,836

2018

82,458

19,218

2019

84,354*

21,114

Total

 

118,187

 

Par conséquent, pour cette deuxième période, 2007-2019, un endettement additionnel de 70,529 trillions est à comparer avec un flux de PIB additionnel de 118,187 trillions. Soit un ratio de 1,67 en nette baisse par rapport à celui de la période précédente analysée. C’est une autre manière d’approcher une baisse tendancielle du taux de profit. Incontestablement, la dernière crise de 2007-2009 a laissé des traces profondes. On ne peut cependant en conclure que toute l’accumulation du capital est artificielle.

 

D’autre part, la baisse des taux d’intérêt a pu favoriser l’endettement dans la mesure où la même charge d’intérêt s’applique à un capital plus grand et encourager également la substitution, dans le capital avancé, du capital emprunté au capital propre.

 

Taux d’intérêt à long terme.

EMDEs = Emerging Market and Developing Economies dans le jargon de la banque mondiale

 

La progression de la dette est par ailleurs inégalement répartie. C’est dans les EMDEs que la dette a le plus progressé.

Evolution de la dette des EMDs

Evolution de la dette dans les « pays avancés »

 

Dans l’endettement, il faut distinguer celui de l’Etat, qui est une dépense de revenu. L’argent emprunté est dépensé comme revenu. L’argent emprunté par les particuliers correspond pour une bonne part (immobilier, automobile) à une évolution du type de consommation, à la possibilité d’acheter des marchandises durables. En contrepartie suivant les classes sociales emprunteuses, le salaire ou les revenus sont amputés de l’intérêt. Seul l’argent emprunté par les entreprises va rejoindre le capital avancé. Si une partie de celui-ci sert à acheter des actions, il doit s’analyser comme renonçant au taux de profit moyen[20]. Une idée fréquente veut que le crédit soit uniquement du capital fictif, une création ex-nihilo. La thèse atteint un maximum d’absurdité dans les sphères qui gravitent dans les limbes de l’ultra-gauche. C’est le cas par exemple de Jacques Wajnsztejn qui ne recule devant aucune imbécilité[21].

 

Une partie du crédit est totalement liée à la réalisation de la plus-value. Pour faire circuler la plus-value, pour la réaliser en argent, une masse monétaire additionnelle doit être créée. Dans les schémas de reproduction, la matière monétaire supplémentaire, l’or, est produite en relation avec la circulation de la plus-value et de l’usure de la matière monétaire. Dès lors que l’or recule dans le financement de la production capitaliste, le crédit prend jusqu’à un certain point le relais. Il n’est pas dans l’objet de ce texte de traiter plus avant ces sujets particulièrement complexes. Nous les traiterons notamment dans un livre dédié au capital fictif.

 

Tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes ?

4.4             La loi de la valeur à l’échelle internationale

Comme nous ne cessons de le répéter, on ne comprend rien à la situation si on ne fait appel à un aspect fondamental, mais passé sous silence par tout ce qui se réclame du marxisme, à savoir l’action de la loi de la valeur à l’échelle internationale[22].

 

Que dit cette loi ?

 

Elle dit que sur le marché mondial, le travail plus productif compte comme du travail plus intense. Le même temps de travail aura donc une valeur différente sur le marché suivant le pays dans lequel il a été effectué. A ces différences de productivité vont également s’ajouter les différences d’intensité, de qualité et de complexité du travail. Ces éléments se traduisent fondamentalement dans la valeur relative des monnaies.

Par exemple, la France en 2018 avait un PIB de 2,925 trillions[23]. Le PIB français représentait donc 2,925/82,458 soit 3,54% du PIB mondial. En revanche, la population active française était évaluée à 30,259 millions[24] et le taux de chômage à 9,18 %[25]. Par conséquent, la population employée peut être évaluée à 27,48 millions, soit 27,48/3284,89 = 0,83% de la population mondiale employée. Le ratio entre la part de valeur affichée sut le marché mondial et la proportion de population employée dans la population mondiale est de 4,26. Par rapport à la moyenne mondiale, la valeur affichée par travailleur sur le marché mondial est plus de 4 fois supérieure. De plus, nous écartons la différence dans le temps de travail annuel et l’importance relative du travail improductif. Si nous prenions ces éléments en compte l’écart serait encore plus important.

 

2018

PIB

Population active

Taux de chômage

Population employée

Ratio relatif

Monde

82,458 trillions de $

3,456 milliards

4,951%

3,284 milliards

 

France

2,925 trillions de $

30,259 millions

9,18%

27,48 millions

 

Ratios France/Monde

3,54%

0,87%

1,85

0,83%

4,26

 

Faisons le même calcul en 1991, pour prendre les données les plus anciennes homogènes et disponibles facilement sur le site de la banque mondiale.

 

1991

PIB

Population active

Taux de chômage

Population employée

Ratio relatif

Monde

38,435 trillions de $

2,364 milliards

4,394%

2,260 milliards

 

France

1,914 trillions de $

25,921 millions

9,134%

23,553 millions

 

Ratios France/Monde

4,98%

1,09%

2,07

1,04%

4.,78

 

Soit un ratio relatif de : 4,98/1,04 = 4,78

 

Le poids spécifique de l’impérialisme français sur le marché mondial était donc plus élevé. Sa capacité à dominer les autres concurrents s’étiole et l’on doit voir aussi dans l’endettement croissant de l’Etat, une tentative pour une part désespérée de maintenir son rang. Inexorablement, sa position est affaiblie et avive la lutte des classes dans les nations en déclin. Car, il s’agit aussi pour la bourgeoisie de reporter ce déclin sur le prolétariat et les classes moyennes et au sein de la bourgeoisie, la grande, mieux insérée sur le marché mondial, est en conflit avec la petite bourgeoisie. L’endettement est aussi la résultante de la lutte des classes, et ne pourra cesser que si la bourgeoisie parvient à soumettre le prolétariat et les classes qu’elle opprime.

 

 

 

Faisons le même type de calcul avec les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne

 

1991

PIB

Population active

Taux de chômage

Population employée

Ratio relatif

Monde

38,435 trillions de $

2,364 milliards

4,394%

2,260 milliards

 

Etats-Unis

8,991 trillions de $

128,724 millions

6,8%

119,97 millions

4,39

Ratios EUA/Monde

23,3%

5,44%

1,54

5,30%

 

Chine

0,904 trillions de $

649,931 millions

2,4%

634,33 millions

 

Ratios Chine/Monde

2,35%

27,5%

0,54

28%

0,08

Allemagne

2,707 trillions de $

40,048 millions

5,317%

37,91 millions

 

Ratios Allemagne/Monde

7,04%

1,7%

1,21

1,67%

4,21

 

2018

PIB

Population active

Taux de chômage

Population employée

Ratio relatif

Monde

82,458 trillions de $

 3,456 milliards

4,951%

3,284 milliards

 

Etats-Unis

17,856 trillions de $

164,949 millions

3,933%

158,46 millions

4,48

Ratios EUA/Monde

21,6%

4,77%

0,79

4,82%

 

Chine

10,132 trillions de $

785,974 millions

4,417%

751,25 millions

0,53

Ratios Chine/Monde

12,2%

22,7%

0,89

22,8%

 

Allemagne

3,937 trillions de $

43,422 millions

3,425%

41,93 millions

 

Ratios Allemagne/Monde

4,77%

1,25%

0,69

1,27%

3,75

 

L’Allemagne, comme la France, décline sur le marché mondial, tandis que la Chine progresse de manière considérable, mais est encore loin d’être au niveau de la moyenne mondiale. La bourgeoisie allemande a su, mieux que la française, faire payer au prolétariat et aux classes qu’elle domine, son abaissement relatif qui est, en même temps, une clef de sa compétitivité. A contrario la baisse plus lente de la France est payée par un endettement croissant de l’Etat aux prises avec une population traditionnellement plus combattive. Ce soutien, comme le rôle délétère de l’euro dans ce cas particulier, favorise sans doute un maintien artificiel du niveau de ces nations sur le marché mondial et ne les met pas à l’abri d’un ajustement brutal à l’occasion d’une grande crise.

 

On se souviendra que l’URSS devenue Russie a payé en une fois sa pleine insertion sur le marché mondial (PIB pratiquement divisé par deux, inflation, chute du rouble).

 

Les Etats-Unis se maintiennent voire progressent, mais il faut voir là le résultat de l’avantage exorbitant dont jouissent les Etats-Unis du fait du rôle du dollar dans le commerce mondial et qui leur permet de s’endetter et de cumuler les déficits. Comme nous l’avons souvent dit, un des grands tournants de l’histoire mondiale sera lié à l’effondrement du dollar auquel travaillent ces concurrents et, en particulier, la Chine. Mais encore aujourd’hui le produit d’une année de travail d’un prolétaire américain s’échange contre 8 à 9 années de travail d’un prolétaire chinois.

 

L’endettement des Etats-Unis qui les maintient au sommet de la pyramide capitaliste en les faisant vivre à crédit sur le dos du reste du monde n’a donc pas complètement la même nature que l’endettement chinois qui pour une part, accompagne l’accumulation du capital la plus importante et rapide de l’histoire. Cette concurrence toujours plus forte entre les nations, le déplacement progressif du centre de gravité du mode de production capitaliste vers l’Asie, dont il ne fait aucun doute que la crise actuelle marquera une étape, minent la croissance des pays les plus riches et limitent l’inflation à laquelle ils aspirent pour effacer la dette. Pour une part, cet échec de la politique monétaire est compensé par une politique de taux d’intérêt négatif. Un des facteurs de la stabilité des démocraties repose sur l’impérialisme. Nous avons vu que la position relative des pays de vieux capitalisme se détériore et en essayant de faire payer au prolétariat et aux classes moyennes la détérioration relative de leur position internationale, la bourgeoisie accentue sa pression sur ces classes et par la même occasion leur résistance. La grande bourgeoisie qui craint de perdre le pouvoir politique au profit de la petite bourgeoisie retrouve les accents et les réflexions de la bourgeoisie censitaire, et voit toujours plus dans le suffrage universel et les droits démocratiques, des facteurs de risque pour sa domination.

4.5             De la mort du capitalisme à la mort de la politique révolutionnaire

De la mort du capitalisme à l’urgence de la révolution, de l’urgence de la révolution à la volonté de la précipiter par des concessions à la conscience actuelle des masses, de l’impatience à l’opportunisme il n’y a qu’un pas qui a été allègrement franchi par Matière et révolution. Au lieu de défendre le point de vue indépendant du prolétariat, au lieu de favoriser son indépendance de classe, on noie celui-ci dans le concept de « peuple travailleur ».

 

Quand le marxisme parle de peuple, il entend la masse des producteurs, et donc outre les prolétaires, les petits paysans et les artisans, les petits bourgeois c’est-à-dire des classes qui relèvent d’anciens modes de production et dont l’importance décroît avec le développement de la production capitaliste[26], mais que le prolétariat doit rallier à ses buts pour vaincre. Il faut y ajouter la petite bourgeoisie moderne dont les nouvelles classes moyennes salariées qui vivent du revenu. Ces dernières relèvent du mode de production capitaliste et leur importance relative croît avec le développement de ce mode de production et que le prolétariat doit également rallier[27].

 

Comme pour le prolétariat, il y a aussi une dimension politique au concept

 

« La haute bourgeoisie, depuis toujours contre-révolutionnaire a, par peur du peuple, c’est-à-dire des ouvriers et de la bourgeoisie démocrate, conclu une alliance offensive et défensive avec la réaction » Engels, Die Berliner Debate uber die Revolution, traduit dansT.1 p.96 NGR

 

Mais Marx et Engels ont toujours pris soin de parler au nom du prolétariat et de ses intérêts spécifiques[28] et appelé ce dernier à mener une politique indépendante, et pour cela à se constituer en parti politique distinct et opposé aux autres partis.

 

Quand Lénine emploie ce terme, dans ce qui est considéré comme une forme d’ébauche de constitution de l’Etat soviétique, c’est dans le cadre d’une révolution ouvrière et paysanne, d’une révolution bourgeoise, voire petite-bourgeoise sur le plan économique, où l’Etat est « ouvrier et paysan » et le gouvernement également.

« 2° La loi soviétique sur le contrôle ouvrier (…) est confirmée (…) en tant que première mesure préparant la remise complète des fabriques, usines, mines, chemins de fer et autres moyens de production et de transport, en propriété à l’Etat ouvrier et paysan.

3°La remise de toutes les banques en propriété à l’Etat ouvrier et paysan est confirmée (…) » (Lénine, Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité, Œuvres, Editions sociales, T.26, p.443)

 

La révolution d’Octobre a été bourgeoise[29], (voire par certains aspects petite-bourgeoise[30]) sur le plan économique, c’est-à-dire qu’elle ne sort pas du cadre du mode de production capitaliste (elle doit même le développer), populaire[31], plébéienne, prolétarienne et petite-bourgeoise[32], ouvrière et paysanne[33] sur le plan social, c’est-à-dire que la révolution s’appuie sur ces deux classes qui sont les composantes fondamentales du peuple russe ; prolétarienne[34] par sa direction politique, c’est-à-dire direction et prééminence du parti bolchévik, du parti prolétaire, et tout particulièrement de la tendance représentée par Lénine ; socialiste[35] par son intention (gestion de la société et du capitalisme pour préparer au mieux les bases du socialisme, perspective de la révolution internationale qui seule pourra fournir l’ensemble des moyens pour un passage au socialisme, mais, bien sûr, Lénine n’a jamais présenté ces mesures transitoires comme du socialisme. Et il n’a jamais confondu les rôles respectifs du prolétariat et de la paysannerie dans la lutte pour la démocratie et celle pour le socialisme[36].

Il ne faut donc pas se tromper de révolution et mettre en avant des mots d’ordre opportunistes qui sont contre-révolutionnaires et ramènent Matière et Révolution dans le marais d’où il vient : celui de l’extrême-gauche de la social-démocratie.

 

 



[1] Le cycle des crises aux Etats-Unis depuis 1929 (2); L'évolution de la prévision  Août 2016

[2] Le cycle des crises aux Etats-Unis depuis 1929 (10); Mise à jour du deuxième et troisième trimestre 2018 - Octobre 2018.

[3] Pour mieux préparer une nouvelle crise, la bourgeoisie met chaque fois au point une nouvelle théorie qui va permettre de repousser les limites de la prudence et favoriser les crises. On se souviendra par exemple de la « Nouvelles économie » qui facilitera la crise de 2001 dite crise de l’internet. Quant à eux, les partisans de la nouvelle théorie monétaire (Modern Monetary Theory), ont déclaré que l’Etat ne pouvait pas faire faillite et donc pouvait s’endetter jusqu’à plus soif sans conséquences inflationnistes.

[4] C’est-à-dire la vague d’accélération que nous déterminons par la confrontation des deux méthodes qui nous permettent de l’identifier. Elle est le résultat de la synthèse des deux méthodes.

[5] « Ainsi, plus les crises intermédiaires sont aplaties, plus la crise générale sera profonde. Je souhaite que la panique américaine ne prenne pas de dimensions trop grandes et n'ait pas de contrecoup sur l'Angleterre et, par là, sur l'Europe. Les crises périodiques générales sont toujours précédées de telles crises partielles. Si elles sont trop violentes, elles escomptent simplement la crise générale et en brisent la pointe » (Marx à Sorge, 27/9/1873, in Werke 33, p. 607), cité dans Marx, Engels, La crise, p.417)

 

[6] Selon nos analyses, la séquence de surproduction surspéculation commence dès le point de retournement du cycle et se décompose en deux phases : la phase de haute-prospérité et la phase de surproduction surspéculation proprement dite et que nous appelons également vague d’accélération. Elle précède généralement la crise de surproduction si celle-ci n’est pas différée par la politique de la bourgeoisie.

[7] Le capitaliste avance le capital variable qui recouvre le salaire net proprement dit mais aussi l’ensemble des cotisations sociales. Celles-ci sont régulièrement présentées par la bourgeoisie et plus encore la petite bourgeoisie comme des « charges » insupportables.

[8] C’est un des enjeux de la lutte contre la retraite à 64 ans – note de mai 2023.

[9] Nous parlons ici du capital industriel au sens du marxisme, c’est-à-dire du capital actif quelle que soit la branche d’activité. Le fermier capitaliste est tout autant un capitaliste industriel que celui qui réalise des services ou fabrique des produits industriels.

[10] Depuis que ces lignes ont été écrites, nous avons tranché et considéré qu’il était fini. Le prochain texte fera un bilan plus détaillé de ce cycle.

[11] Cf. Discussion avec Matière et révolution, disponible sur notre site web.

[12] Cf. banque mondiale.

Population : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.TOTL

Population active : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SL.TLF.TOTL.IN

Population 15-64 ans : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.1564.TO

[13] « Selon l’OIT, en 1991, le pourcentage des salariés parmi les actifs à l’échelle mondiale atteignait 44,1 % pour une population active de 2,4 milliards de personnes, soit environ 1,06 milliards de salariés. En 2017, le pourcentage de salariés était déjà passé à 54,3 % sur une population active en très forte expansion aussi, à savoir 3,45 milliards de personnes. C’est-à-dire, 1,87 milliards de salariés de par le monde. En 26 ans, le salariat mondial a donc gagné plus de 800 millions de membres – soit une progression de plus de 76 %. » (http://www.gds-ds.org/le-salariat-une-classe-mondiale-en-expansion)

[14] 4,394 en1991

[15] http://hussonet.free.fr/classow.pdf (85% de l’emploi des pays avancés 0,47 milliards + 1,11 milliards - salariat des pays émergents -)

[16] Pour ne parler que l’enseignement supérieur qui ne représente qu’une partie de la scolarisation des plus de 15 ans : « D’après l’UNESCO, il y aurait près de 153 millions d’étudiants dans le monde, soit 53 % de plus qu’en 2000 et cinq fois plus qu’il y a à peine 40 ans. On s’attend à ce que Les établissements d’enseignement supérieur accueilleraient plus de 262 millions d’étudiants d’ici 2025, contre 97 millions en 2000.

Actuellement, la majorité des étudiants dans le monde vit dans des pays à faibles et moyens revenus tandis qu’il y a 30 ans, ils se concentraient principalement dans quelques pays à revenus élevés. » (https://www .noirsurblanc.com/population-etudiante-dans-le-monde/?lang=fr)

« Entre 2006 et 2016, la population étudiante mondiale a crû de près de 50%, passant de 146 millions à 218 millions d’étudiants, soit une croissance de 4,1% par an. Cette augmentation est portée majoritairement par les pays d’Asie et d’Océanie (69%), et en particulier par la Chine (29%) et l’Inde (27%). La population étudiante mondiale devrait continuer à croître dans les prochaines années – à une moindre allure cependant – et atteindre 265 millions d’étudiants d’ici 2030. » (Olivier Rollot, avril 2019, https://blog.headway-advisory.com/chiffres-cles-campus-france-2019/)

“Entre 2000 et 2012, les effectifs de l’enseignement supérieur ont doublé dans le monde, passant de 100 à près de 200 millions d’inscrits. La mondialisation de l’économie se traduit en mondialisation du savoir.

Cette croissance provient surtout de l’Asie qui représente 66 % de la progression à elle seule, notamment de la Chine et de l’Inde où les ménages consacrent désormais plus de 10 % de leurs revenus annuels à l’éducation de leurs enfants. Les effectifs africains ont également doublé durant la même période, bien que cela ne saute pas aux yeux sur le graphique vu que leur contingent initial était réduit. » (https://www. Contrepoints.org/2015/02/28/199541-il-y-a-deux-fois-plus-detudiants-dans-le-monde-quen-2000)

[17] La population au-delà de 65 ans représentait 4,97% de la population en 1960, 6,162% en 1990, 7,046% en 2002, 7,384% en 2007, 8,873% en 2018. (https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.65 UP.TO.ZS)

[18] Selon Coe-Rexecode, le taux de croissance du PIB mondial en 2019 a été de 2,3%, le plus faible du cycle.

[19] Global waves of debt. Causes and consequences. Banque mondiale, 2019. https://www.worldbank.org/en/research/publication/waves-of-debt

Les auteurs distinguent 4 vagues d’accroissement de la dette : Une première vague qui s’étend dans les années 70/80 qui se termine par une crise au début des années 80. Une deuxième vague des années 90 au début des années 2000.Elle s’achève par une série de crise dans les années 1997-2001. La troisième vague a pris fin avec la crise de 2007-2009. Une quatrième vague est ouverte à partir de 2010.

[20] Cf. Les influences contraires à la baisse du taux de profit. Accroissement du capital-actions. (Marx, Capital L.III, Pléiade, Economie, T.2, p.023)

[21] C’est de surcroît un faussaire. Dans son texte « La « crise » et ses annonceurs » de mars 2017, où il accumule les perles, il prétend citer Marx (Temps critiques, supplément au numéro 18, p. 14) « Marx dit : "Le capital fictif est le capital par excellence (Théories sur la plus-value, vol III, ES, p. 538). ».

Allons vérifier la citation. Marx écrit p.538. « Il est le capital par excellence. » (souligné par Marx). Mais Marx parle du « capital porteur d’intérêts » et non du « capital fictif ». Quand une entreprise emprunte, par exemple en émettant une obligation, l’argent qui lui est prêté par un capitaliste financier, le propriétaire du capital porteur d’intérêts (le concept de « capital financier » n’existe pas chez Marx. C’est un produit de la social-démocratie entériné par le léninisme) entre dans son capital actif et concourt à la recherche du maximum de plus-value. Il s’agit d’un capital réel. En contrepartie de ce prêt, le capitaliste industriel verse un intérêt, c’est-à-dire une fraction de la plus-value, au capitaliste financier. A l’échéance du prêt, il remboursera le principal. Ce qui est du capital fictif (au sens I, au sens i c’est-à-dire imaginaire illusoire, cf. les divers sens du capital fictif chez Marx in Crise du capital, crise de l’entreprise), et qui fait face au capital réel, c’est la reconnaissance de dette, le titre, l’obligation, le capital papier pour imager un phénomène qui ne se traduit surtout par des lignes sur un écran informatique. Dans la mesure où ces titres peuvent être échangés, ils font l’objet d’un marché, de transactions, qui permet au capitaliste financier de revendre par exemple son obligation à un autre capitaliste financier. Que le montant de la vente soit inférieur ou supérieur au capital nominal du titre (notamment en fonction de la variation du taux d’intérêt), capital nominal qui correspond au capital réel accumulé par le capitaliste industriel, le capitaliste actif au sein d’une entreprise, ne change en rien la valeur du capital réel dont le mouvement obéit aux lois de la production capitaliste (valorisation/dévalorisation) tandis que la valeur du capital fictif, dans une autre sphère – mais les deux ne sont pas étanches – obéit à d’autres lois.

Qui plus est, dans cette page particulièrement remarquable que nous avons citée, le « capital par excellence » vise non pas le résultat de l’analyse scientifique mais le produit de la représentation fétichisée. « Dans le capital porteur d’intérêts, le fétichisme atteint sa forme parfaite.  (…) Dans le capital porteur d’intérêts ce fétichisme automatique est parachevé : c’est la valeur qui se valorise elle-même, l’argent qui fait de l’argent et, sous cette forme, il ne porte plus la moindre cicatrice révélant sa naissance. Le rapport social atteint sa forme parfaite de rapport de la chose (argent, marchandise) à elle-même. (…) dans capital et intérêt, le capital a trouvé sa forme accomplie en tant que source mystérieuse et auto-créatrice de l’intérêt, de son accroissement. C’est donc tout particulièrement sous cette forme que le capital existera pour la représentation que l’on s’en fait. Il est le capital par excellence. »

Le faussaire est aussi falsificateur. Ce contresens montre aussi qu’il est lui-même une victime de la mystification du capital.

[22] « Dans son application internationale, la loi de la valeur est encore plus profondément modifiée, parce que sur le marché universel le travail national plus productif compte aussi comme travail plus intense, toutes les fois que la nation plus productive n'est pas forcée par la concurrence à rabaisser le prix de vente de ses marchandises au niveau de leur valeur.

Suivant que la production capitaliste est plus développée dans un pays, l'intensité moyenne et la productivité du travail national y dépassent d'autant le niveau international. Les différentes quantités de marchandises de la même espèce, qu'on produit en différents pays dans le même temps de travail, possèdent donc des valeurs internationales différentes qui s'expriment en prix différents, c'est-à-dire en sommes d'argent dont la grandeur varie avec celle de la valeur internationale. La valeur relative de l'argent sera, par conséquent, plus petite chez la nation où la production capitaliste est plus développée que là où elle l'est moins. Il s'ensuit que le salaire nominal, l'équivalent du travail exprimé en argent, sera aussi en moyenne plus élevé chez la première nation que chez la seconde, ce qui n'implique pas du tout qu'il en soit de même du salaire réel, c'est-à-dire de la somme de subsistances mises à la disposition du travailleur » (Marx, Livre I, Capital)

[23] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD?end=2018&locations=FR&star t =1960&view=chart

[24] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.TLF.TOTL.IN?locations=FR

[25] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.TOTL.ZS?locations=FR

[26] « Mais le peuple réel, les prolétaires, les petits paysans et la plèbe, c’est, comme dit Hobbes, puer robustus sed malitiosus, un enfant robuste mais malicieux, et il ne se laisse mener en bateau ni par des rois maigres, ni par des rois pansus. (Marx, Le communisme du « Rheinisher Beobachter », Pléiade, politique, p.742)

« Le peuple travailleur – paysans, gens de métier, ouvriers agricoles et industriels – se trouve donc écrasé, d’un côté par des abus surannés, héritage des temps féodaux non seulement, mais encore de l’antiquité (mezzadria, latifundia du midi où le bétail remplace les hommes) ; de l’autre côté par la fiscalité la plus vorace que jamais système bourgeois ait inventée. » (Engels, 1894, Lettre à Turati)

[27] Nous consacrerons, un ouvrage complet à ce sujet mais on peut déjà consulter les annexes du livre « Aux fondements des crises » qui apporte la preuve, citation à l’appui, que le développement d’une classe moyenne salariée, vivant du revenu, est une composante du mode de production capitaliste le plus développé.

[28] « Par un reste de pudeur, on place « l'aide de l'État » ... sous le contrôle démocratique du « peuple des travailleurs ».

Tout d'abord, le « peuple des travailleurs », en Allemagne, est composé en majorité de paysans et non de prolétaires.

Ensuite, demokratisch est mis pour l'allemand volksherrschaftlich. Mais alors que signifie le « contrôle populaire et souverain (volksherrschaftliche Kontrolle) du peuple des travailleurs » ? Et cela, plus précisément pour un peuple de travailleurs qui, en sollicitant l'État de la sorte, manifeste sa pleine conscience qu'il n'est ni au pouvoir, ni mûr pour le pouvoir ! » (Marx, critique du programme de Gotha, 1875)

[29] « (…) en Octobre 1917, nous avons agi en commun avec la paysannerie, avec toute la paysannerie. Dans ce sens, notre révolution était alors bourgeoise. » (Lénine, Ier congrès de l’Internationale communiste, Mars 1919, T.28, p.498)

«  (…) le parti ouvrier social-démocrate allemand, précisément parce qu’il est un parti ouvrier, mène nécessairement une « politique de classe », la politique de la classe ouvrière. Comme tout parti politique s’efforce de conquérir le pouvoir dans l’État, le parti social-démocrate allemand aspire nécessairement à établir son pouvoir, la domination de la classe ouvrière, donc une « domination de classe ». D’ailleurs, tout parti véritablement prolétarien, à commencer par les chartistes anglais [29], a toujours posé comme première condition la politique de classe, l’organisation du prolétariat en un parti politique indépendant et, comme but premier de la lutte, la dictature du prolétariat. En déclarant cela « ridicule », Mülberger se place en dehors du mouvement prolétarien et à l’intérieur du socialisme petit-bourgeois. » (Engels, La question du logement)

[30] « Dans un pays où le prolétariat a été obligé de prendre le pouvoir avec l’aide de la paysannerie et de jouer le rôle d’agent d’une révolution petite-bourgeoise, notre révolution est restée dans une large mesure une révolution bourgeoise (…) » (Lénine, Le VIIIe congrès du P.C. (b) R., Œuvres, Editions sociales, T.29, p.155)

[31] « Pendant une révolution populaire, c’est-à-dire une révolution qui a appelé à la vie les masses, la majorité des ouvriers et des paysans, seul un pouvoir s’appuyant ouvertement et sans réserve sur la majorité de la population peut être stable. » (Lénine, Une des questions fondamentales de la révolution, septembre 1917, Œuvres, Editions sociales, T.25, p.399). Lénine reprend ici aussi Marx pour qui, suivant l’exemple de la Commune de Paris, la condition première de toute révolution populaire sur le Continent était de briser la machine bureaucratique et militaire de l’Etat.

[32] « (…) c’est la réaction des extrêmes devant l’essor de la révolution prolétarienne et paysanne. » (Lénine, Lettre aux camarades bolchéviks, octobre 1917, Œuvres, Editions sociales, T.26, p.188)

[33] « Le triomphe de la révolution bolchevique marquait la fin des flottements ; elle signifiait l'abolition complète de la monarchie et de la grande propriété foncière (celle-ci n'avait pas été détruite avant la Révolution d'Octobre). Nous avons mené la révolution bourgeoise jusqu'au bout. La paysannerie, dans son ensemble nous a suivis. Son opposition au prolétariat socialiste ne pouvait se manifester d'emblée. Les Soviets groupaient la paysannerie en général. La division en classes au sein de la paysannerie n'avait pas encore mûri, ne s'était pas encore extériorisée. » (Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, souligné par Lénine, T.28, p.312)

 

C’est aussi l’analyse de Trotsky « Le mot d'ordre bolchevique [la dictature démocratique NDR] s'est réalisé effectivement, non comme une illusion sémantique, mais comme la plus grande réalité historique. Mais il s'est accompli après le mois d'octobre, et pas avant. La guerre paysanne, pour se servir d'une expression de Marx, a soutenu la dictature du prolétariat. Grâce à Octobre, la collaboration des deux classes fut obtenue sur une gigantesque échelle. Chaque paysan ignorant a senti et compris alors, même sans les commentaires de Lénine, que le mot d'ordre bolchevique s'incarnait dans la vie. Et Lénine lui-même a considéré cette révolution, la révolution d'Octobre, dans sa première étape, comme la véritable révolution démocratique et, par conséquent, comme la véritable incarnation, bien que modifiée, du mot d'ordre stratégique du bolchévisme. » (Trotski, La révolution permanente, Gallimard, p.162-163)

 

Dans l’analyse de Trotsky, il est important de relever la formule, inspirée par Marx (qui parlait de la Prusse), à propos de la guerre paysanne soutenant le prolétariat. C’est que Trotsky a toujours contesté à la paysannerie la possibilité de jouer un rôle politique autonome, la possibilité d’être représentée par un parti, d’où sa formule de dictature du prolétariat soutenue par la paysannerie et non d’une dictature du prolétariat et de la paysannerie.

[34] « La propriété privée du sol fut abolie en Russie dès le 26 octobre 1917, c’est-à-dire dès le premier jour de la Révolution socialiste prolétarienne. » (Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Œuvres, Editions sociales, T.28, p.324)

« Ce sont les bolchéviks et les bolchéviks seuls qui, du fait même de la victoire de la révolution prolétarienne, ont aidé la paysannerie à achever réellement la révolution démocratique bourgeoise » (Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Œuvres, Editions sociales, T.28, p.325)

En même temps, celle-ci est en devenir car elle suppose le pouvoir spécifique du prolétariat et donc une différenciation de classe au sein de la paysannerie. Pour Lénine, ce ne sera qu’à l’été et l’automne 1918 avec la création des comités de paysans pauvres (qui sera problématique en fait) que la révolution prolétarienne prend complètement son essor. « Mais lorsque commencèrent à s’organiser les comités de paysans pauvres, à partir de ce moment, notre révolution devint une révolution prolétarienne. Un problème que nous sommes loin d’avoir résolu est posé devant nous. Mais, ce qui est extrêmement important, c’est que nous l’avons posé de façon pratique. Les comités de paysans pauvres ont été une étape de transition. (…). Cela [le ravitaillement des populations non agricoles NDR] n’était possible que par l’intermédiaire des comités de paysans pauvres, en tant qu’organisations prolétariennes. Et lorsque nous avons vu, en été 1918, la révolution d’Octobre commencer et s’effectuer dans les campagnes, alors seulement nous nous sommes installés sur notre véritable base prolétarienne, alors seulement notre révolution est devenue prolétarienne dans les faits, et non dans les proclamations, les promesses et les déclarations » (Lénine, Le VIIIe congrès du P.C. (b) R., Œuvres, Editions sociales, T.29, p.155)

[35] « Mais en 1917, dès le mois d’Avril, bien avant la Révolution d’Octobre et la prise du pouvoir par nous, nous disions ouvertement et expliquions au peuple : maintenant la révolution ne pourra s’arrêter là, car le pays a fait du chemin, le capitalisme a progressé, la faillite qui atteint des proportions inouïes exigera (qu’on le veuille ou non) la marche en avant vers le socialisme. » (Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Œuvres, Editions sociales, T.28, p.310)

[36] Il suffit de lire ici une des contemptrices acharnée de Lénine. Dans son livre, Lénine face aux moujiks, Dame Chantal de Crisenoy, qui ne comprend pas la première ligne du marxisme, s’exclame : « Ainsi, presque trois ans après Octobre, et bien que sans elle les forces révolutionnaires eussent été défaites, Lénine ne voit encore dans la paysannerie qu’une classe ennemie, étrangère à la construction du socialisme » (p.278) et p.281 à son grand dam, elle constate : « Une fois de plus, les théories de Lénine sur la paysannerie, font montre d’une cohérence extrême, qui ne se dément à aucun moment. »