|
Le marxisme en abrégé |
|
De la critique du capitalisme à la société sans classes
|
|
|
Date |
Août 2013 – Fructidor 221 |
Auteur |
Robin Goodfellow |
Version |
V 1.0 |
2. Le développement historique du mode de production capitaliste.
2.1 Conditions d’existence du mode de production capitaliste.
2.2 Les grands moments du développement capitaliste.
2.3 Le machinisme, la révolution industrielle et le développement de la productivité.
3. Quelques notions fondamentales de la théorie marxiste
3.1 Définition de la marchandise
3.2 Valeur d’usage et valeur d’échange.
3.4 La plus-value ou survaleur.
3.6 Les éléments composant le capital
3.7 Plus-value absolue et plus-value relative.
3.8 Travail productif et improductif
3.9 Subordination formelle et subordination réelle du travail au capital
3.10 Taux de plus-value, taux de profit et baisse tendancielle du taux de profit.
3.11 Le cycle de l’accumulation.
3.12 Rapport économique et rapport d’exploitation.
4. Dynamique du capitalisme et classes sociales.
4.1 Le dévoilement des mystifications capitalistes.
4.2 Evolution des classes sociales
4.3 Anciennes et nouvelles classes moyennes
4.4 Le rôle des classes moyennes modernes.
4.5 Classe capitaliste et propriété foncière
4.6 Concentration et centralisation du capital
5. Vers la société sans classes
5.1 Le prolétariat et son aliénation.
5.2 Derrière le mode de production capitaliste, le communisme.
Depuis la défaite des grandes luttes prolétariennes des années 1920, la plus longue contre-révolution de l’histoire a contribué à obscurcir, même pour les militants, les fondements de la théorie révolutionnaire. Dans ses représentations stalinienne, social-démocrate, gauchiste ou dans les comptes-rendus qu’en font les représentants de la bourgeoisie le marxisme est défiguré. Il n’a plus rien à voir avec la puissante critique de la société bourgeoise, avec la théorie scientifique qui à partir du milieu des années 1840 explicite la genèse, le développement et la mort de cette société et annonce la fin des sociétés de classe.
A l’occasion de la crise qui a secoué l’économie capitaliste en 2008-2010, une partie de la presse bourgeoise internationale a cru bon de se fendre d’un coup de chapeau à Marx. Mais, elle l’a fait en saluant le « visionnaire » des difficultés à venir du capitalisme et non le révolutionnaire qui démontrait la liaison intime entre crise et nécessité de son dépassement. C’est parce que nous nous plaçons du point de vue du prolétariat, que nous défendons son programme historique, que nous l’appelons à se constituer en parti politique distinct et opposé aux autres partis et à conquérir le pouvoir politique afin d’instaurer une société débarrassée des classes sociales et de l’Etat, du salariat, de l’argent et des catégories marchandes que nous défendons la portée révolutionnaire de cette théorie, en dehors et contre toute reconnaissance officielle ou académique.
Ce petit ouvrage qui résume l’essentiel de la critique communiste de l’économie politique vise à donner à tous ceux qui cherchent une critique radicale de la société actuelle, une vision synthétique de la cohérence et de la puissance de la théorie révolutionnaire. Il vise surtout à montrer que le futur communiste n’est pas un idéal ni un simple souhait ou une utopie, mais est nécessairement inscrit dans le développement même de la société bourgeoise qui repose sur l’exploitation de la classe productive : le prolétariat.
Le socialisme est devenu une science et doit être étudié comme telle. La seule école où il peut être compris, transmis et développé est le parti prolétaire au sens historique du terme. Les auteurs de cet ouvrage se revendiquent intégralement de cette tradition et ne reconnaissent aucune validité aux critiques du marxisme comme aux « modernisations » opérées par les savants bourgeois ou réformistes, les économistes et les professeurs d’université.
Ils s’adressent à une classe en lutte, qui sait d’instinct ce que représente l’exploitation et qui cherche à se donner de solides instruments théoriques pour affronter les combats de demain.
Nous avons essayé le difficile exercice de « vulgariser » une pensée scientifique complexe. Le socialisme révolutionnaire est scientifique au sens où il donne une explication de la réalité, et militant au sens où il défend passionnément la nécessité de la révolution. Dans certains cas, le vocabulaire d’hier peut être un obstacle à la compréhension des phénomènes qui sont décrits : par exemple dans l’expression force de travail, le mot force renvoie à la physique du 19° siècle, où il était utilisé pour décrire ce que la physique appelle aujourd'hui puissance. Nous avons cependant gardé le concept, mais en essayant de l’expliciter dans le langage d’aujourd’hui, où on pourrait le traduire par capacité de travail (ce que faisait déjà Marx) potentiel de travail. En même temps, le risque de la « vulgarisation » est de réduire des démonstrations complexes en simplifiant outre mesure certains concepts ou phénomènes.
Le lecteur désireux d’approfondir certains aspects de ce livre pourra se rapporter à nos textes plus théoriques et disponibles en plusieurs langues sur notre site www.robingoodfellow.info, et bien entendu en retournant aux textes originaux. De nos jours, de nombreux sites Internet en facilitent l’accès (pas toujours dans les meilleures traductions).
Pour des raisons de lisibilité, nous avons pris le parti éditorial de limiter au minimum les citations de Marx et Engels à quelques exceptions près lorsque la clarté de la formulation originale est indépassable.
Le marxisme est une science et donc une théorie vivante, dont les concepts résistent parfaitement à la complexité du monde contemporain (alors qu’au contraire l’économie politique bourgeoise, sans même parler de sa philosophie ou de sa sociologie, est toujours plus stupide) ; cela n’empêche pas qu’il faille aujourd’hui faire un effort considérable pour approfondir la théorie, affiner les concepts, les appliquer précisément aux phénomènes du mode de production capitaliste actuel, tout cela en restant dans le cadre général, programmatique, défini par la théorie. Sans théorie révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire disait Lénine ; ceci reste plus que jamais d’actualité.
São Paulo - Paris – Juillet 2013
Le développement sans précédent de l'économie capitaliste et l'atténuation des crises, pendant les trente ans, qui ont suivi, en Occident, la fin de la deuxième guerre mondiale, l’effondrement des faux « communismes » de l’Est, l’essor et le développement de nouveaux pays capitalistes sur tous les continents, et last but not least, l’interminable contre-révolution qui, depuis les années 1920 a réduit l’influence du communisme révolutionnaire à une peau de chagrin ont pu faire croire que le système capitaliste avait gagné son éternité sur terre.
Pour les gouvernants, les économistes, les journalistes, et autres représentants de la bourgeoisie, il n’y a aucun doute : rien ne peut se faire en dehors du capitalisme. L’économie (capitaliste sous-entendu) semble devenue aussi naturelle que l’air que nous respirons ; il paraît impossible même d’imaginer qu’une société puisse travailler, vivre, se reproduire, se développer, sans ces catégories que sont l’argent, le marché, l’échange, le salariat ; que l’on puisse vivre en utilisant des produits du travail qui ne soient pas des marchandises.
Pourtant, toutes ces catégories, dont nous rappellerons les définitions scientifiques données par le marxisme dans le prochain chapitre, ne sont pas éternelles ; elles n'ont pas toujours existé et le marxisme démontre qu'elles sont devenues des obstacles au développement de la société. Pour se développer, le capital a dû fondamentalement transformer les relations de production (les rapports de production) entre les hommes, les modalités de la production (le mode de production) et créer les conditions de son propre développement. Ce processus fut bien loin d’être pacifique et idyllique.
Marx se moque des économistes bourgeois qui proposent une fable vertueuse pour expliquer les origines des fortunes qui ont constitué les premières bases du capitalisme marchand. Elles seraient le fruit d’une épargne patiemment accumulée par des générations d’entrepreneurs probes et industrieux, tandis que les jouisseurs et les incompétents se seraient trouvés sans ressources et contraints de vendre leurs bras. Ce n’est évidemment pas comme cela que l’histoire a produit les deux principales conditions de l’exploitation capitaliste : l’existence d’une masse de bras « sans feu ni lieu », le prolétariat d'un côté et une classe de capitalistes monopolisant l'argent, les moyens de production et de subsistance, permettant de salarier les précédents, de l’autre. C’est au contraire par l’expropriation, l'intervention de l'Etat et une législation sanguinaire pour discipliner et contenir le prolétariat naissant, par la rapine, le vol, le pillage, le meurtre et autres violences, la traite des esclaves, le travail forcé, la dette publique, les exactions fiscales, les guerres commerciales, le protectionnisme, que se sont mises en place et développées ces conditions.
La structure économique capitaliste a émergé de la dissolution de la société féodale. Il fallait un travailleur libre, capable de disposer de sa propre personne, et pour cela s'affranchir du servage et du pouvoir des corporations.
La création du prolétariat est donc la concentration, à l’autre pôle de la société d’une masse d'hommes libres. Il faut comprendre ici «libres »… de vendre leur capacité de travail aux détenteurs du capital. Il faut qu’il existe une classe qui ne possède rien d'autre que « son travail à l’état de puissance » et qui rencontre en face d’elle les moyens nécessaires à l’existence de son travail : les outils, les matières premières, le lieu de travail. Contrairement à l’artisan qui est à la fois le propriétaire de ses outils et l’exécutant de la tâche, le prolétaire ne peut rien accomplir car il est en quelque sorte « nu » en face du capitaliste. Il s’agit là d’une séparation radicale d’avec les moyens de production, séparation qui ne fera que se renforcer au cours de l’existence du mode de production capitaliste.
En Angleterre, par exemple, il existait, sous le féodalisme, une part des terres dites communales, qui n’appartenaient pas aux seigneurs mais restaient la propriété du peuple, des villageois. Ils pouvaient y faire paître librement des bêtes qui leur appartenaient ou cultiver des parcelles sans qu’il y ait appropriation de la terre par l’un ou l’autre des villageois qui en avaient la jouissance (non liée, donc à une propriété privée). Au 17° siècle, le mouvement dit des enclosures (clôture des terres communales) fut encouragé par l’état, au moyen de lois votées par le Parlement. Par ce biais s'effectue l'expropriation d'une partie de la paysannerie, rendue disponible pour se vendre au capital.
Dans le chapitre 23 du livre I du Capital, consacré à la colonisation (colonies de peuplement), Marx utilise ce mode particulier d’expansion capitaliste pour démontrer que ce qui fait le capital ce ne sont pas les moyens de production en tant que tels, mais le fait que ceux-ci trouvent en face d’eux une masse de prolétaires dépossédés. Autrement dit, pour qu’il y ait production de plus-value, il faut non seulement qu’il y ait du capital, mais aussi que ce dernier trouve en face de lui une masse de prolétaires dépossédés de tout. Comme les économistes bourgeois reconstruisent de façon idyllique le passé pour expliquer comment est née la société moderne, Marx se tourne vers les endroits où la constitution des rapports capitalistes peut s’observer à l’œil nu : les colonies de peuplement, où le producteur se trouve encore en possession des moyens de production et de la terre, ce qui a été dissous plusieurs siècles auparavant en Angleterre. On y voit, dit-il le « secret de l’économie politique », en ce que sans expropriation du travailleur, le rapport capitaliste ne peut pas fonctionner.
En Europe, ce sont l’expropriation, la soumission des masses à la discipline du travail en manufacture, les législations sur les pauvres des 17° et 18° siècles, les châtiments contre les vagabonds, et autres mesures coercitives qui ont été utilisés pour créer et soumettre une masse prolétaire dont l’existence est nécessaire au développement du mode de production capitaliste. L'histoire de leur expropriation et de leur dressage pour les embastiller dans les manufactures a été écrite en lettres de feu et de sang. Mais ce n'est qu'avec la production capitaliste la plus développée, celle qui suit la révolution industrielle, que l'expropriation de l'immense majorité de la population rurale se radicalise tout comme se consomme la séparation de l'agriculture et de la production domestique (filage, tissage).
Pour que se développe le mode de production capitaliste, il faut que l'argent, les marchandises puissent se transformer en capital. Autrement dit, il faut que figurent d'un côté l'argent, les moyens de production et de subsistance et de l'autre qu'existe une classe de travailleurs libres. L'existence de cette dernière ne crée pas pour autant une classe de capitalistes. Celle-ci a des origines multiples. Le fermier capitaliste en est la forme la plus ancienne ; elle émerge progressivement. Puis, en contre-coup de la révolution agricole de la fin du 15° siècle et du début du 16°, un marché intérieur pour les produits industriels s'ouvre et favorise l'existence d'une classe capitaliste dans ce secteur. Cette classe est issue pour une part des maîtres de corporation, des artisans voire de salariés qui se transforment en entrepreneurs capitalistes mais surtout de l'existence d'un capital, légué par le Moyen-âge, qui avant l'ère capitaliste proprement dite avait rang de capital : le capital marchand et le capital usuraire. Il existait entre les mains de ces capitalistes une masse suffisante d’argent accumulé susceptible de se transformer en capital industriel, c'est-à-dire d'acheter des moyens de production et salarier une force de travail libre.
A partir de ces « formes antédiluviennes » du capital, se développeront les expressions du capitalisme moderne. Avant cela, le capital marchand joue surtout un rôle dans le développement des échanges, puisqu’il spécialise la fonction sociale de l’échange. Autrement dit, au lieu que le producteur de pommes aille vendre ses pommes au marché et achète ensuite des chaussures au cordonnier (nous ne sommes plus ici dans le troc, mais dans un échange monétaire), le détenteur du capital marchand joue l’intermédiaire entre les différents acteurs de la production. Une des voies du développement ultérieur du mode de production capitaliste sera la centralisation, par le capital marchand, des moyens de production dans des lieux centraux, ce qui favorisera l’accroissement de la productivité du travail. Ainsi, avant le travail, le capital commence par socialiser les échanges.
Ainsi dès le départ, le fonctionnement de l’économie capitaliste n’est ni possible ni explicable sans faire intervenir ce rapport entre deux classes antagoniques, dont l’une (la classe capitaliste) ne peut asseoir sa domination sur l’autre (le prolétariat) qu’en l’exploitant.
Nous allons voir maintenant brièvement comment, à partir de cette première impulsion, se déroule le mouvement historique du mode de production capitaliste.
Le capital se déploie à travers l’histoire en approfondissant sans cesse ce qui a déterminé son apparition, à savoir valoriser le capital en achetant une force de travail capable de produire plus de valeur qu’elle n’en coûte. Nous verrons plus en détail dans le deuxième chapitre comment le travail scientifique de Marx a donné les clés pour expliquer l’extorsion de la plus-value.
Au cours de son développement, le capital ne change pas de nature, mais il accomplit donc toujours mieux ce qui fait son but : produire un maximum de plus-value. Ce faisant, la bourgeoisie rassemble et élargit les moyens de production, développe la force productive du travail. Une des conséquences est la socialisation des moyens de production et des produits du travail. De plus, le mode de production capitaliste moderne ouvre la voie à un développement illimité de la productivité du travail. Ce développement entre en contradiction avec les buts limités du capital, avec la recherche du maximum de plus-value et appelle une autre société dont on vient de poser les bases. Une société qui ne reposera plus sur l’exploitation du travail salarié.
Dans ce mouvement, Marx distingue trois stades qui se sont succédé depuis le milieu du 14° siècle : la coopération simple, la manufacture et la grande industrie.
La production capitaliste suppose dès son origine, l'exploitation d'une masse significative d'ouvriers, placés sous le commandement d'un même capital qui lui-même pour faire face tant à l'avance des salaires que des moyens de production doit avoir atteint une certaine grandeur.
Cette organisation garantit que la force de travail collective coopérant à la production aura une productivité conforme à la moyenne sociale et, du fait des économies d'échelle, diminuera les dépenses en moyens de production (bâtiments par exemple). La coopération de ces forces de travail, la création d'un travailleur collectif permet également d'élargir le champ des travaux qui peuvent être réalisés sous l'égide du capital (grands travaux par exemple) et d'améliorer la productivité sociale. Cette coopération simple qui implique une production à grande échelle se retrouve tout au long de la production capitaliste tout en étant caractéristique d'une certaine enfance de celle-ci avec la manufacture professionnelle[1] et l'agriculture à grande échelle.
Avec la période manufacturière proprement dite, qui s'étend environ du milieu du 16° siècle au dernier tiers du 18°, une coopération reposant sur une nouvelle division du travail s'est mise en place. Nous avons vu que la révolution agricole de la fin du 15° et du début du 16° avait favorisé la production manufacturière et c'est lorsque la manufacture est la forme dominante du mode de production capitaliste que commence véritablement l'ère capitaliste. Sans entrer dans le détail des divers types de manufactures, soulignons ici la spécificité de la division du travail propre à la période manufacturière : le travailleur collectif y est constitué par la combinaison d'un grand nombre d'ouvriers parcellaires. De même, on y observe une différenciation et une spécialisation des instruments de travail. Tout en ayant tendance à parcelliser les tâches, à créer une hiérarchie entre ouvriers qualifiés et manœuvres, à réduire les frais d'éducation et à mutiler par une spécialisation à outrance le travailleur, le métier reste à la base de la manufacture et le point d'appui de la résistance du prolétariat. Avec le développement de la production manufacturière, cette base technique étroite entrait en contradiction avec les besoins de la production ; pour les dépasser elle enfanta les machines.
Dans la section du "Capital" - Livre I – qui traite de la grande industrie, Marx consacre un chapitre au "Développement des machines et de la production mécanique". Il commence par y rappeler ce point fondamental du communisme révolutionnaire : tout progrès de la force productive du travail, est un progrès dans l'exploitation de la force de travail prolétarienne et dans le raffinement de cette exploitation. Par conséquent "le développement de l'emploi capitaliste des machines" n'est qu'"une méthode particulière pour fabriquer de la plus-value relative".
Les chantres du progrès technique devront repasser, celui-ci est donc directement tourné contre le prolétariat. Il est synonyme de développement de la plus-value relative, synonyme d'accroissement de l'exploitation de la force de travail, synonyme de valorisation accrue du capital du fait de l'accroissement de la plus-value ou survaleur[2]
Le socialisme a repris le concept de révolution industrielle pour définir ce moment (qui correspond, pour l’Europe, au début de la grande industrie au 18° siècle après le passage par la manufacture) où la « production mécanique » prend le relais de la production manuelle dans laquelle l’outil reste central. L'outil hier manié par la main de l'homme devient une composante de la machine outil. L'ouvrier hier se servait de l'outil, désormais il sert la machine. Tant que la production reste basée sur une utilisation manuelle de l’outil, même en réorganisant la production comme c’était le cas dans la manufacture, il existe des limites à l’augmentation de la productivité du travail. Avec la machine s'ouvre la perspective d'un développement illimité de la productivité du travail.
La révolution industrielle ne se traduit donc pas par la création de machines qui sont dans le prolongement de la main, mais par l'élimination de l'homme du processus productif. Ce phénomène ouvre des perspectives grandioses au développement de la productivité du travail. D'une part, le nombre des outils agissant simultanément peut être démultiplié, d'autre part, la vitesse d'exécution est accrue. Le machinisme, au fur et à mesure, s’empare de toutes les branches de la production « qui s’entrelacent comme phases d’un procès d’ensemble ». Un progrès dans une branche en entraîne dans d’autres, par exemple la sphère du tissage et du filage à grande échelle exige des progrès dans l’industrie chimique pour les teintures, et ainsi de suite. Le mode de production capitaliste contribue donc ainsi à unifier toutes les activités humaines et à constituer un « système de métabolisme social universel » (Marx). En unifiant le tissu industriel, en associant toutes les branches de la production, en développant de manière considérable la productivité du travail, le capital crée les conditions d’une société où la production collective, sociale, permettra le libre développement individuel.
Mais cette logique propre du développement technique ne doit pas être seulement vue du point de vue interne à la machine, ni comme un mouvement détaché de la forme sociale dans laquelle il s’inscrit. Poussé par le mouvement de valorisation du capital, le mouvement d’intégration des techniques produit des effets sociaux fondamentaux pour l’évolution de l’humanité, à commencer par l’unification de la classe productive, le prolétariat.
Voilà notamment pourquoi le socialisme parle de révolution industrielle avec le phénomène du machinisme. Il ne s'agit pas seulement d'une évolution technologique, d'une nouvelle invention de l'histoire de l'humanité. Son arrivée pose les bases matérielles du communisme en permettant un développement illimité de la productivité et une réduction permanente du temps de travail nécessaire, en posant les bases d'une société d'abondance. Mais, ce n'est pas tout ! Le machinisme induit un procès de travail spécifique au mode de production capitaliste et crée de manière permanente le travail social associé. Il crée la classe de producteurs associés qui doit s'affranchir de la dictature du capital pour pouvoir achever le potentiel du machinisme, pour amener à un autre niveau, plus élevé, le degré de la force productive du travail.
Potentiellement, donc, dans son concept même, la révolution industrielle induit la perspective d'une société sans classes, la société communiste. Avec la révolution industrielle, la bourgeoisie met en branle des forces productives qui entrent en conflit avec le but exclusif et limité de la production capitaliste : la recherche du maximum de plus-value. Ce conflit entre la tendance au développement illimité des forces productives et les rapports de production propres au mode de production capitaliste se traduisent par des crises générales de surproduction (des crises catastrophiques au sens où la société, pour des raisons sociales, est dévastée à l'instar des catastrophes naturelles) qui rappellent périodiquement que le temps d'une nouvelle société est arrivé. La tendance de ces crises est d'être toujours plus vastes et conduisent au renversement violent du capital.
Tout au long de l’histoire, le développement de l’humanité se produit de manière contradictoire, à travers les sociétés de classes, les heurts et les contradictions diverses. Durant tout ce cheminement, la question de la productivité sociale est centrale. Tant que l’espèce humaine consacre une part prédominante de son temps à assurer sa subsistance nécessaire, il ne saurait être question de socialisme, même si, sous la forme des mouvements millénaristes et des utopies religieuses, l’idée d’une société égalitaire trouve des origines loin dans l’histoire. Le mode de production capitaliste est le premier au cours de l’histoire où la productivité se développe sur une base sociale telle qu’elle permet d’envisager une satisfaction des besoins sociaux qui aille bien au-delà de la simple reproduction de l’espèce.
On désigne par marchandise tout objet matériel ou service produit dans le but d’être échangé. La marchandise n’a pas toujours existé : les tribus indiennes de l’Amérique du Nord, par exemple, ne connaissaient pas la marchandise jusqu’à l’arrivée des colons européens. Les produits y étaient réalisés et consommés collectivement. Entre les premières apparitions de la marchandise et ce que nous connaissons aujourd’hui, se sont développées des sociétés qui n’étaient que partiellement marchandes, c'est-à-dire uniquement pour certaines activités (comme au moyen-âge où les villageois peuvent continuer à vivre sur leur propre production). Ce n’est que dans le mode de production capitaliste que le règne de la marchandise est généralisé.
Aujourd’hui, les objets que nous utilisons tous les jours sont des marchandises, qu’il s’agisse de choses tangibles, comme notre nourriture, nos vêtements, nos meubles ou de services comme les transports en commun ou certains loisirs. Il ne faut pas oublier pour autant que la marchandise ne concerne pas uniquement la consommation individuelle. Les machines, les matières premières, les locaux de travail, les outils de travail et, tout particulièrement, la force de travail du salarié elle-même sont aussi des marchandises. C’est leur mode de consommation qui diffère. Marx parle de consommation productive pour les marchandises qui sont consommées dans le processus de production.
Toutes ces marchandises ont une utilité pour ceux qui les achètent (on peut discuter de l’utilité sociale de certains objets ou gadgets mais ce n’est pas pour l’instant la question). On appelle cela leur valeur d’utilité ou plus exactement leur valeur d’usage. La valeur d’usage d’un objet, d’une marchandise, c’est ce pour quoi elle me sert et ce pour quoi je souhaite la posséder. Jusqu'ici, cette notion est parfaitement compréhensible par tout le monde. Reste à se demander pourquoi on appelle marchandise des objets aussi différents par leurs usages qu’un kilo de pommes, un DVD, un litre de gasoil, une clé à molette, une machine à commande numérique, une tonne de cuivre, un écran d’ordinateur, une heure de forfait de portable, un t-shirt… Reste aussi à savoir pourquoi, avec (150 ?) 50 €uros (réals), je peux acheter soit un four à micro-ondes, dix douzaines d’huîtres, cinquante kilos de clous, deux marteaux, dix ramettes de papier, une paire de chaussures, six places de cinéma, trois heures de ménage, etc.
La réponse réside dans le fait que ces objets (services) possèdent une autre dimension que leur valeur d’usage et qu’on appelle la valeur d’échange. Toute marchandise a donc un double caractère : elle possède à la fois une valeur d’usage et une valeur d’échange. Cette dernière est uniquement liée au fait que les objets ne sont pas d’abord produits pour la satisfaction des besoins sociaux, mais pour être vendus sur le marché. Dans une société communiste, comme dans les premières sociétés humaines, les objets produits auront toujours une utilité sociale, mais plus de valeur d’échange. Il s’agit d’une société, qui ne connaît plus la marchandise.
Mais qu’est-ce qui fait que des quantités d'objets différents possèdent la même valeur et qu’on peut donc les échanger ?
La réponse est la suivante : deux marchandises ont la même valeur parce qu’elles contiennent la même quantité d’une substance invisible dans leur forme concrète : le travail humain qui a été nécessaire pour les produire.
Il ne s’agit donc pas du travail concret du tailleur qui a fait l’habit, du cultivateur qui a fait pousser les pommes ou du papetier qui a produit le papier, il s’agit du travail humain comme activité générale. Le temps de travail dépensé pour produire une marchandise est ce qui détermine la grandeur de la valeur, de la valeur d’échange. Les marchandises s’échangent entre elles parce qu’elles représentent un volume égal du même travail général, abstraction faite de ses formes concrètes. On opposera donc le travail concret, producteur de valeurs d’usage, au travail général, abstrait, producteur de valeur d’échange.
Mais ce travail contenu dans les marchandises doit être effectué dans des conditions de production sociales moyennes, qui évidemment varient historiquement et géographiquement en fonction de l’évolution des sociétés. Lorsque nous disons que le temps de travail est la mesure de la valeur contenue dans les marchandises, nous parlons d’un temps de travail moyen socialement nécessaire. En effet, ce n’est pas parce qu’une personne aimant bricoler en menuiserie va créer ses propres meubles que ces meubles pourront être vendus sur le marché à la valeur correspondant au temps de travail qu’elle a passé pour les produire. La valeur de la table est calculée sur la base du temps de travail moyen socialement nécessaire pour produire un nouvel exemplaire de celle-ci. Or, notre bricoleur a passé un temps de travail privé nettement plus important pour fabriquer son produit. Par exemple, si une table de qualité d’usage comparable est vendue dans le magasin 200 €uros, correspondant à trois heures de travail social, et que notre homme en a passé neuf pour produire la sienne, (y compris avec ses achats de matériel) il ne peut espérer la vendre guère au-dessus de ces 200 €uros (et certainement pas 600 €, la somme que représenterait sa dépense de travail valorisée socialement).
Le double caractère de la marchandise est quelque chose qui ne relève pas de l’évidence. La marchandise ne laisse pas voir au premier abord que sa valeur est en proportion de la quantité de travail humain socialement nécessaire à sa production. Qui plus est, son double caractère apparaît comme quelque chose de naturel. La valeur d'échange qui lui est attachée et qui dissimule des rapports sociaux particuliers se présente comme une propriété naturelle. Nous verrons plus loin l’importance de caractère mystificateur, de la marchandise.
Pourquoi parle-t-on de force de travail et non de travail ?
Quand un ouvrier fabrique quelque chose, il peut assembler plusieurs matières premières ou objets, mais il n’a pas à côté de lui une caisse ou un seau marqués « travail » et contenant une substance qui serait « du travail » et qu’il injecterait dans la production. Le travail n’est pas une matière, il n’existe pas en dehors de la force qui est capable de le produire et qui est la capacité humaine, force musculaire et intellectuelle, que l’on mobilise pour accomplir une tâche, que ce soit cueillir des pommes, assembler des carcasses de voiture ou calculer les structures d’un pont.
Il existe dans la société bourgeoise une marchandise qui possède une valeur d’usage spécifique, la capacité de produire plus de valeur qu’il n’en faut pour la reproduire. Cette marchandise c’est la force de travail, c’est-à-dire cette capacité propre à l’homme de mobiliser son potentiel intellectuel et physique pour effectuer les tâches productives les plus variées et, finalement, transformer la nature.
Ainsi, ce que le capitaliste achète au prolétaire ce n’est pas son travail, mais cette marchandise particulière, sa force de travail, sa capacité de travail, afin de la consommer, dans la mesure où sa valeur d’usage consiste précisément à produire une valeur supplémentaire, une valeur extra, une plus-value, une survaleur. Aucune autre marchandise consommée pendant le processus de production, ne transmet au produit plus que sa valeur, pas plus les matières premières que les machines.
Pour que ce rapport d’échange existe, il faut arriver à un rapport historique où nous avons d’un côté des capitalistes qui ont le monopole de l'argent comme des moyens de production et de subsistance, et de l’autre des prolétaires[3] qui ont été dépossédés de tout moyen de production et ne possèdent pour toute richesse que leur force de travail qu’ils sont obligés d’échanger contre un salaire. Cela n’a pas toujours été le cas (par exemple les indiens des anciennes tribus, les gaulois) et ne l'est encore pas pour les producteurs directs (paysans, artisans, etc.)
Comment est définie la valeur de la force de travail ?
De la même manière que pour toutes les autres marchandises : par le temps de travail moyen socialement nécessaire pour la reproduire. Avant d’être en mesure d’effectuer un travail productif, un individu a été élevé, éduqué, formé. Puis, il doit tous les jours manger, se loger, s'habiller, consommer de l’électricité, se transporter… L’addition de tous ces besoins crée le montant global de ce qu’il est nécessaire de dépenser pour entretenir cette force de travail. Naturellement ces besoins varient selon les lieux et les époques. La part des loisirs ou d’une consommation plus aisée peut varier, à la baisse ou à la hausse.
Il y a de nombreux exemples dans l’histoire où l’on a fait changer les habitudes alimentaires des masses pour abaisser le coût de leur entretien, comme en favorisant l’introduction de la pomme de terre, ou en faisant boire aux ouvriers anglais du thé plutôt que du lait.
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que la force de travail est une marchandise. Comme toute marchandise elle possède une valeur d’usage (la capacité à produire des marchandises, à être source de la valeur et de la plus-value) et une valeur d’échange, qui est déterminée par la quantité de travail moyen socialement nécessaire pour la reproduire.
Pourquoi disons-nous que la force de travail, la capacité de travail est une marchandise qui est capable de produire plus de valeur qu’elle n’en a coûté à son propriétaire, c'est-à-dire le capitaliste.
Parce que le temps de travail moyen socialement nécessaire pour reproduire la force de travail est inférieur au temps de travail pendant lequel elle est exploitée par le capitaliste. Et puisque la valeur d’une marchandise n’est rien d’autre que le temps de travail nécessaire à sa production, la valeur de la force de travail est effectivement inférieure à la valeur créée tout au long d’une journée ou d’un mois de travail. Le capitaliste paie la première et s’approprie la seconde. C’est la différence entre les deux qu’on nomme plus-value ou survaleur. Elle correspond au travail non payé fourni par l’ouvrier ou surtravail.
Par exemple un capitaliste qui achète une journée de travail d’un prolétaire pour 100 unités monétaires, a le droit de le faire travailler sept, huit, dix heures ou plus selon la législation en vigueur.
Supposons que les éléments que nous avons indiqués plus haut et qui sont nécessaires à la reproduction de la force de travail représentent l’équivalent d’une production de deux heures, autrement dit qu’il suffit de deux heures de travail pour que le capitaliste soit remboursé de son avance, que se passe-t-il à la fin de la deuxième heure ? Est-ce que le capitaliste dit au prolétaire : « merci, tu as bien travaillé, tu peux maintenant aller te reposer » ? Évidemment non ! Il va profiter du contrat passé pour l’employer six heures de plus, dans le cadre d’une journée de travail normale, légale, par exemple de 44 heures par semaine au Brésil (40 heures en fait dans nombre d’entreprises), 35 heures par semaine en France (mais plus en Angleterre ou aux Etats-Unis).
Et que sont ces six heures pour notre capitaliste ? Du pur bonus, du travail qu’il n’a pas payé, du travail gratuit et donc ce que nous avons défini comme surtravail, temps pendant lequel la plus-value est produite.
On voit ici que les luttes pour la réduction du temps de travail constituent une composante importante du rapport de forces entre la classe capitaliste et le prolétariat, parce qu’elles concernent le temps qui peut être consacré à la production de plus-value.
Il en découle une conséquence importante : même un capitaliste respectueux, qui traite « bien » ses ouvriers, qui maintient la journée de travail dans les limites légales, qui rémunère de façon correcte la force de travail, qui reste proche de ses quelques salariés, même ce capitaliste, aussi vertueux soit-il, est un exploiteur puisqu’il fait produire du travail gratuit, qu’il n’a pas payé.
C’est bien là la force du marxisme, qui n’est pas une morale qui se limiterait à la dénonciation des mauvaises conditions faites au prolétariat, mais une théorie dont la démonstration a la force d’une vérité scientifique : l’exploitation est inhérente au rapport social capitaliste. C’est pourquoi, peu importe que le patron soit « voyou » ou non, il faut l’éliminer non pas en tant qu’individu mais comme représentant d’un rapport social qui est fondé sur l’exploitation (et qui a fait son temps, nous verrons qu’avec la hausse de la productivité du travail, la bourgeoisie toute entière est devenue, pour Marx et Engels, proprement inutile).
Nous avons vu que la force de travail, comme toute marchandise, a une valeur, que cette valeur est déterminée par le temps de travail moyen socialement nécessaire à sa reproduction. Comme toute marchandise, la force de travail a aussi un prix, lequel est l’expression monétaire concrète de la valeur.
La valeur d’une marchandise est déterminée socialement par la quantité de travail qu’elle contient, mais ensuite son prix de marché est fonction de l’offre et de la demande. Les marchandises sont vendues à un prix qui est au-dessus de la valeur si la demande est forte, en-dessous si elle est faible. Mais il s’agit bien de variations autour d’une valeur qui, elle, est déterminée par le temps de travail social moyen nécessaire pour produire cette marchandise. En fait, mais nous ne faisons que l’évoquer, la question est plus complexe. En effet, dans le cadre du mode de production capitaliste, le prix de marché des marchandises gravite non pas autour de la valeur mais autour du prix de production. Le prix de production est le prix qui résulte de l’égalisation des taux de profit entre les grandes masses de capitaux, mais ces prix de production eux-mêmes sont régis par le mouvement de la valeur. Pendant les crises, alors que la demande solvable fait défaut pour toutes les marchandises, il existe une tendance à une baisse généralisée des prix, une dépréciation générale des marchandises ; c’est une des formes de la dévalorisation qui s’empare du capital lors des crises de surproduction.
Il en va de même de la marchandise force de travail. Ce que le prolétaire négocie comme salaire, c’est le prix de sa force de travail. Nous avons vu que la valeur de cette dernière était constituée du temps passé à la produire et à la reconstituer. Par exemple, un temps d’études plus long, une plus grande qualification, mais aussi une usure plus rapide la force de travail sous l’effet de l’allongement de la journée de travail ou de l’accroissement de l’intensité du travail, tendent à augmenter la valeur de la force de travail. Mais ensuite, nous avons à faire là aussi à l’offre et à la demande pour ce qui concerne la variation des prix autour de cette valeur moyenne. S’il y a peu d’ouvriers de telle qualification pour une demande forte, la force de travail aura tendance à se vendre au-dessus de sa valeur, autrement dit à un prix plus élevé ; mais à l’inverse s’il y a trop d’ouvriers, en période de chômage par exemple, les salaires tendront à baisser, la force de travail sera vendue à un prix inférieur à sa valeur.
Indépendamment même du chômage dû aux crises, Marx montre que le capital entretient une « armée de réserve industrielle », une population surnuméraire dont le rôle est de maintenir une pression constante à la baisse sur les salaires.
Dans la recherche constante d’un maximum de plus-value, la classe capitaliste cherche à abaisser le prix de la force de travail en-dessous de sa valeur, et à faire baisser cette valeur elle-même. Par exemple, au 19° siècle, les capitalistes britanniques vantaient la frugalité de l’ouvrier français, mal nourri et donc coûtant moins cher. Eux-mêmes, par l’introduction de denrées moins coûteuses dans l’alimentation visaient à réduire la valeur de la force de travail. Et Marx écrivait : « De nos jours ces aspirations ont été de beaucoup dépassées, grâce à la concurrence cosmopolite dans laquelle le développement de la production capitaliste a jeté tous les travailleurs du globe. Il ne s'agit plus seulement de réduire les salaires anglais au niveau de ceux de l'Europe continentale, mais de faire descendre, dans un avenir plus ou moins prochain, le niveau européen au niveau chinois ».
Les notions évoquées ci-dessus : force de travail, plus-value, salaire, sont fondamentales dans la critique de l’économie politique, mais il faut voir aussi le mouvement du capital dans son ensemble, et les contradictions qui s’y manifestent pour comprendre pourquoi et comment il est condamné historiquement.
Le capitaliste n’avance pas que le salaire. Pour être en mesure d’exploiter la force de travail et de lui extorquer un maximum de plus-value, il doit également disposer de moyens de productions : machines, matières premières, énergie, bâtiments et sols, terres dans le cas de l’agriculture… C’est ce que Marx appelle le capital constant. Il est appelé constant parce qu’il ne fait que transmettre sa valeur au produit au cours du processus de production. Tandis que la partie avancée pour payer les salaires est dite capital variable parce qu’elle restitue une valeur variable, au-delà de sa valeur initiale. Mais, cette partie du capital peut restituer une valeur plus grande, uniquement parce qu’elle s’échange contre de la force de travail, qui est la seule marchandise capable de produire plus de valeur qu’elle n’en a coûté.
Ainsi, une production marchande qui sort tous les jours d’une usine sera composée de :
· une fraction de la valeur des machines et plus généralement de ce qu’on appelle le capital fixe (la partie fixe du capital constant)(cette valeur ne se transmet pas d’un coup, mais petit à petit, c’est ce que les économistes nomment la valeur d’amortissement)
· la valeur des matières premières, des fluides, etc. rentrant dans le produit ; c’est ce qu’on appelle plus généralement la partie circulante du capital constant.
· la valeur du salaire payé aux prolétaires correspondant au capital variable. C'est la partie payée de la journée de travail. Marx l’appelle travail nécessaire,
· enfin la plus-value produite pendant la journée par ces mêmes prolétaires. Elle correspond à la partie de la journée qui est du surtravail.
Ainsi la valeur de la marchandise se réduit, finalement, à la quantité de travail qu’elle contient, c’est-à-dire la quantité de temps de travail qui a été nécessaire pour la fabriquer, toutes étapes confondues. La matière première qui va être transformée a elle aussi été produite par du travail et a donc acquis, ainsi, dans le mode de production capitaliste une valeur d’échange. Cette valeur (ainsi que la fraction usée du capital fixe) va s’additionner à celle qui est créée dans la production de la nouvelle marchandise. Marx dit que la valeur de ce capital constant se transfère au produit.
On voit bien ici une des difficultés à laquelle va se heurter le capitalisme, et que nous allons aborder dans le chapitre suivant en exposant le rôle du machinisme. Pour rendre le travail plus productif, le capitalisme a tendance à augmenter la part du capital constant dans la production; or cette partie ne crée pas de nouvelle valeur; elle ne fait que transférer celle qui existe déjà.
La relation entre capital constant (c) et capital variable (v), exprimée par la formule c/v, représente ce que Marx appelle la composition organique du capital. Le fait que cette composition organique s’élève (c’est-à-dire que la masse du capital constant croît en importante en regard de la masse des salaires qui est mobilisée pour le mettre en œuvre), constitue un facteur de contradiction dans la production capitaliste, car celle-ci n’a pour seul objectif que la plus-value qui n’est elle-même produite qu’à partir du travail vivant. Nous verrons plus loin les conséquences que cela a sur le taux de profit et son évolution.
Mais quelles sont les méthodes que le capital peut employer pour pousser toujours plus loin cette quête de plus-value ?
Historiquement, Marx distingue deux méthodes : la production de plus-value absolue et la production de plus-value relative. Ces deux types de plus-value ne sont pas nécessairement antagoniques. Elles peuvent se combiner, voire se renforcer l’une et l’autre. En tout état de cause, la plus-value absolue ne peut exister que s'il existe un niveau suffisant dans le degré de développement de la force productive du travail et la plus-value relative que s'il existe une durée suffisante de la longueur de la journée de travail. Tout en formant la base l’une de l’autre elles se distinguent du fait de l’évolution historique de leurs rapports.
Dans un premier temps, lorsque le capital commence à s’emparer de la production, à partir de l’expropriation des producteurs traditionnels (artisans, paysans, mouvement que nous étudierons plus complètement dans le troisième chapitre), il commence par allonger la journée de travail. Le travail dans les économies agraires était certes rude et les années de mauvaises récoltes difficiles, mais si les paysans passaient beaucoup de temps aux champs, il y avait aussi de nombreux temps morts : pauses, déjeuners, collations, travaux de bricolage en hiver…. Mais c’est en quelque sorte un rythme naturel qui dictait l’organisation du travail et son déroulement dans le temps.
Dans le travail de la manufacture, qui se développe en Europe à partir du 16° siècle, ce rythme peut être considérablement transformé, et il le sera encore bien plus avec le passage à la grande industrie à la fin du 18° siècle.
Une première hausse de la productivité est obtenue par le fait de concentrer des forces de travail nombreuses dans un même lieu. Cette productivité accrue rend la manufacture plus compétitive, mais, elle ne fait que reprendre les techniques utilisées par les artisans, en les concentrant et en en rationalisant l’usage. Au-delà, le seul moyen d’accroître la part du travail non payé est d’allonger le temps de travail.
La plus-value, la survaleur qui résulte de cet allongement de la journée de travail, Marx la nomme plus-value absolue. Par exemple, si la journée de travail est de 12 heures et que 6 sont nécessaires pour reproduire la valeur de la force de travail (travail nécessaire), il faut allonger la journée de travail de 12 à 14 heures si l’on veut gagner deux heures de surtravail en plus. Nous aurons donc 6 heures de travail nécessaire et 8 heures de surtravail. Le temps de surtravail, donc la plus-value, ont été augmentés d’un tiers, sans toucher au temps de travail nécessaire, dès lors que l’usure supplémentaire de la force de travail n’est pas compensée.
Pendant la période qui précède la révolution industrielle le capital ne peut que privilégier cette forme de plus-value. Or, sur la base technique limitée qui prévaut dans les manufactures, on ne peut allonger démesurément le temps de travail. Outre les limites physiques, jouent également les limites techniques (par exemple l’absence d’éclairage suffisant pour travailler la nuit) et des limites culturelles, les rythmes sociaux et les coutumes facilitant la résistance à ce mouvement.
Il faut attendre le machinisme pour que le capital puisse généraliser d’autres méthodes pour augmenter la quantité de plus-value. En créant une base technique qui lui est spécifique, avec la machine, en éliminant la main du processus de production, le capital, à partir de la grande industrie, se donne les moyens d’accroître la quantité de plus-value produite en abaissant la valeur de la force de travail du fait du développement de la productivité.
Marx appelle plus-value relative cette plus-value qui est obtenue non plus en allongeant la durée absolue du travail, mais en diminuant la valeur de la force de travail ou en modifiant le rapport entre surtravail et travail nécessaire, en modifiant donc les grandeurs relatives entre les deux parties de la journée de travail, sans allonger la journée de travail.
Le travail nécessaire représente ce qui est, justement, nécessaire pour que la force de travail reproduise sa propre valeur ; au-delà, elle produit de la plus-value. Pour permettre une augmentation relative de la partie consacrée au surtravail sans augmenter la durée du travail, il faut donc que, soit le temps passé à la reproduction de la valeur de la force de travail diminue soit la valeur créée dans le même temps augmente tandis que la valeur (ou le prix) de la force de travail ne progresse pas dans les mêmes proportions.
Grâce à une augmentation générale de la productivité du travail, le capital peut diminuer la valeur des marchandises qui entrent dans la reproduction de la valeur de la force de travail ; la valeur de celle-ci baisse et par conséquent le temps nécessaire pour la reproduire également. Prenons le cas précédent où la journée de travail est de 12 heures avec 6 heures de travail nécessaire et 6 heures de surtravail. Supposons que la hausse générale de la productivité du travail ramène la durée du travail nécessaire à 4 heures. Le temps passé à produire la plus-value sera alors de 8 heures au lieu de 6 auparavant. Là aussi le capital aura réussi à augmenter de 33% la masse de la plus-value produite, mais sans toucher au temps de travail.
De même, en augmentant l’intensité du travail, le capital augmente la valeur créée dans le même temps. Dès lors que la valeur de la force de travail (ou encore son prix) reste identique ou n’augmente pas suffisamment la plus-value s’accroît.
Marx distingue, comme le firent avant lui nombre d'économistes classiques comme Adam Smith, le travail productif et le travail improductif. La définition du travail productif dans le cadre du mode de production capitaliste est très claire : le travail productif est celui qui produit une plus-value pour le capital. Autrement dit, comme nous le verrons, l’expression « travail productif » ne signifie pas un « travail qui produit quelque chose », sinon n’importe quel bricoleur ou cuisinier amateur serait « productif », mais travail producteur de plus-value.
On voit donc bien l’enjeu crucial de cette question car c’est toute la problématique de l’exploitation, de la définition des classes et de la lutte des classes qui se dessine en arrière-plan. Le prolétariat, classe productive est aussi dans le mode de production capitaliste la seule classe exploitée. A contrario, s’il existe un travail productif c’est qu’il existe également un travail improductif et des travailleurs improductifs. A contrario, donc quand un travail ne s'échange pas contre du capital mais contre du revenu, il ne produit pas de plus-value, il est improductif. Par exemple, lorsque le capitaliste d’une entreprise de nettoyage emploie dix salariés qui nettoient par exemple les bureaux d'une entreprise nous avons à faire à un travail productif. Mais quand ce capitaliste utilise son propre revenu (qui n’est pas ici du capital) pour employer une femme de ménage à son domicile, il n’emploie pas du travail productif, car, au cours de sa consommation, ce travail ne produit aucune plus-value.
Ainsi l’un des premiers critères permettant de déterminer si un travail (et donc un travailleur ou plutôt un groupe de travailleurs car l’individualisation de la question a peu d’intérêt en soi) est productif ou improductif, est de vérifier s’il est échangé contre du capital ou contre du revenu (ce sera le cas par exemple de tout le fonctionnariat).
Mais, le travail peut s'échanger contre du capital et de ce point de vue rapporter un profit à au capitaliste sans pour autant être productif. C'est le cas pour toutes les travaux qui relèvent de la sphère de la circulation (banques, fonctions mercantiles du commerce, etc.) ou des faux-frais de la production (assurances, comptabilité par exemple). Par conséquent, est producteur de plus-value et donc est du travail productif le travail qui s'échange contre du capital dans la sphère de la production matérielle.
Il découle de ceci :
1° Si tout travailleur productif est salarié, tous les salariés ne sont pas des travailleurs productifs. Le marxisme montre même que si le travail salarié s'accroît, au sein de celui-ci c'est le salariat improductif qui progresse le plus vite et fournit une base matérielle à l'essor des classes moyennes modernes, des classes moyennes salariées. Les classes moyenne anciennes ne relèvent pas du mode de production capitaliste et tendent à régresser. Par contre, si elles ne sont pas productrices de plus-value elles peuvent être productrices de valeur (paysans, artisans par exemple)
2° Le travail productif n’est pas assimilable à celui qui produit un bien tangible, un objet concret.
3° Le travail productif n'est pas assimilable au travail manuel. Le prolétariat n'englobe pas uniquement la catégorie socio-professionnelle « ouvrier » ou autrement dit, le concept de classe ouvrière chez Marx ne se réduit pas aux seuls travailleurs manuels. Le même type de confusion existe quand on assimile le capital industriel au seul secteur de l'industrie proprement dite. En fait, l'agriculture comme les services peuvent relever du capital industriel et permettre la production de plus-value.
4° Le travail productif n'est pas assimilable à la production d'objets socialement utiles. Les prolétaires qui produisent des armes ou des objets de luxe produisent de la plus-value et sont donc productifs. De même, travail improductif ne signifie pas que le travail est inutile ou socialement nuisible. Par exemple, la société communiste aura besoin d'une comptabilité sociale dont le rôle sera d'autant plus important même si son coût relatif sera beaucoup plus bas.
5° Il est vain d'individualiser le travail productif. Marx montre que ce qui caractérise dès son plus jeune âge la production capitaliste, c'est l'existence d'un travailleur collectif (cf. coopération, manufacture et grande industrie) qui accomplit la production matérielle.
6° La classe moyenne salariée ne se caractérise pas par un niveau de salaire intermédiaire comme le fait la sociologie bourgeoise. Les couches supérieures du prolétariat ou les fractions les plus qualifiées peuvent avoir des salaires supérieurs à bien des représentants de la classe moyenne. Ce qui les différencie c'est le caractère productif ou improductif du travail et non le niveau du salaire.
En relation avec l’évolution (mais pas seulement) du mode de production capitaliste, Marx emploie les concepts de subordination formelle et subordination réelle du travail au capital. Par travail on entend ici le travail salarié productif ; il s’agit donc bien aussi de la façon dont le prolétariat est soumis à l’autorité du capital.
Que veulent dire ces termes un peu complexes et dont la signification est régulièrement falsifiée ?
Le capital ne peut s’investir au départ que dans ce qu’il trouve déjà tout fait comme conditions de production dans la société de son époque. Le travail est alors majoritairement accompli au moyen d’outils dont la technique reste assez traditionnelle, comme le rouet pour le filage, le métier à tisser, ainsi que tous les outils à main manipulés dans les métiers traditionnels (charpenterie, maçonnerie, menuiserie, poterie, cordonnerie...)
L’un des rôles essentiels du capital est, dans un premier temps, de concentrer dans un même lieu (l’atelier, la manufacture, plus tard la fabrique) des forces de travail nombreuses, occasionnant de fait une amélioration de la productivité générale du travail (cf. chapitre 1 sur la coopération simple) qui se poursuit dès lors que se met en place une division technique du travail. Cette élévation du degré de la productivité du travail que permet la coopération simple puis la division du travail de l'époque manufacturière permettent d'accroître la plus-value relative. Mais ces organisations du travail une fois instituées, comme la progression de la productivité du travail reste limitée, l'accroissement de la plus-value ne peut être obtenu que sous la forme de la plus-value absolue.
Globalement, dans cette première période, les procédés techniques en vigueur ne sont pas fondamentalement modifiés. Le processus de travail, les procédés de fabrication, restent identiques ou proches de ce qu’elles étaient dans l’artisanat précapitaliste. C’est pourquoi Marx parle de subordination formelle du travail au capital. Dans sa forme, le procès de travail reste inchangé, mais il est désormais soumis au procès de valorisation du capital. Autrement dit, la fileuse ou le tisserand qui travaille avec d’autres dans l’atelier du capitaliste accomplissent les mêmes gestes au moyen des mêmes outils, mais leur rapport social à cet outil de travail et au produit de leur travail a changé. Bien que le processus de travail soit hérité des formes de production antérieures à la production capitaliste, il est désormais soumis au capital et à son but exclusif : produire un maximum de plus-value.
Avec la subordination formelle du travail au capital on voit croître l'échelle de la production. Un grand nombre d'ouvriers sont réunis sous le commandement du capital. Cette subordination formelle du travail au capital correspond donc aux origines du mode de production capitaliste et existe dès lors que les salariés travaillent sur la base d'une technologie pré capitaliste. La coopération simple, comme l'époque manufacturière, relèvent donc de la subordination formelle du travail au capital, car bien que le but soit toujours de produire le maximum de plus-value, le processus de travail, le procès de travail, n'est pas fondamentalement transformé.
De ce fait, dans le cadre d'une subordination formelle du travail au capital, une fois posé le niveau de développement de la force productive du travail, ce n'est que sous la forme de la plus-value absolue que peut être produite la plus-value. Sur la base des techniques déjà employées avant que le capital ne s’empare de la production, on ne peut augmenter l’extraction de plus-value, une fois posée la nouvelle organisation qui rend le travail plus productif, qu’en recourant à des procédés tels que l'allongement de la journée de travail. La subordination formelle du travail au capital ne connaît donc que cette seule forme de production de plus-value.
Socialement parlant, nous sommes bien déjà dans le mode de production capitaliste pleinement établi, c’est-à-dire dans le rapport social qui enchaîne le prolétaire à un instrument de travail qui se présente devant lui et en dehors de lui comme du capital. De ce point de vue, la subordination formelle du travail au capital est une forme générale du processus de production capitaliste. Mais techniquement, ce capital n’a pas encore modifié les formes générales du procès de travail ; la technologie n'est pas encore spécifique, propre au mode de production capitaliste.
Mais avec cette première concentration des moyens de travail (à la fois le capital constant avec les outils et les matières premières et le capital variable avec les prolétaires), et la division du travail qui s'ensuit se constitue la base pour le développement d’un progrès technique propre au mode de production capitaliste. Pour aller plus loin dans le mouvement d’extraction de la plus-value, il ne suffit pas de faire travailler les hommes plus longtemps, il faut aussi les faire travailler autrement.
Marx parle alors d’un moment où le capital se soumet réellement le travail, c’est-à-dire qu’il développe une technologie qui lui est propre, dictée par le but spécifique du capital : la production d'un maximum de plus-value, et non plus héritée des anciennes formes de production.
Ainsi, la subordination réelle du travail au capital est-elle une forme intrinsèque, propre au mode de production capitaliste, sa forme la plus développée. Elle englobe la subordination formelle du travail au capital, car dans sa dimension générale qui consiste à soumettre une quantité importante d’ouvriers au capital, celle-ci demeure tout au long du mode de production capitaliste. La subordination formelle du travail au capital a donc une dimension spécifique et, pour une part, propre à une époque historique révolue du mode de production capitaliste mais aussi une dimension générale qui perdure tout au long de l’histoire de ce mode de production et qui est englobée dans le cadre de la subordination réelle. D’une certaine manière la subordination réelle du travail au capital succède à la subordination formelle du travail au capital tout en la maintenant, en la posant à un niveau supérieur. Avec la subordination réelle du travail au capital, la production de plus-value relative peut prendre son essor et avec elle l’accroissement extraordinaire de l’exploitation du prolétariat.
Le mode de production capitaliste connaît ainsi un mouvement historique qui l’amène à se développer vers un modèle toujours plus « pur », même si ce modèle n’est jamais atteint complètement dans la réalité. L'ensemble des branches de production tombe sous la coupe du capital qui s'impose face au producteur indépendant. Marx dit que le capital est « la valeur en procès », valeur se valorisant. Cette expression, de nature philosophique, est abstraite, mais ce mouvement s’incarne de façon très concrète dans la recherche insatiable de plus-value, recherche pour laquelle le mode de production capitaliste va mettre en branle les forces productives et chercher à s’emparer de tous les résultats de la science et du développement technique pour les mettre au service de cette valorisation, de cette recherche du maximum de plus-value.
C’est à travers le développement du machinisme, lors de la révolution industrielle, que sont rendus possibles les formidables gains de productivité que le mode de production capitaliste met au service de la production de plus-value et que le communisme mettra au service de la réduction du temps et de la pénibilité du travail pour permettre aux humains de jouir de leur temps libre sans crainte du lendemain.
Il nous faut maintenant rentrer plus avant dans le mouvement général du capital et comprendre comment les principes sur lesquels il est fondé sont les facteurs mêmes de sa dissolution. En quelques mots : plus le capital poursuit sa recherche de plus-value, plus il rencontre des obstacles à l’accroissement de cette même plus-value.
Lorsqu’il rapporte le surtravail au travail nécessaire, la plus-value au capital variable, Marx parle du taux de plus-value, qui est défini par l’équation pl/v (masse de la plus-value produite sur le capital variable avancé). Il mesure le degré d'exploitation de la force de travail par le capital.
Supposons que le capitaliste avance 100 €uros de capital variable pour une journée de travail de 8 heures, et que 4 heures représentent le travail nécessaire. A la fin de la journée, la valeur correspondant au travail vivant réalisé représente 200 €uros, et le capitaliste pourra empocher une plus-value de 100 €uros. On dira que le taux de plus-value est de 100%.
Mais parmi les conditions de production, le travail vivant, la force de travail ne suffit pas. Elle ne produit que parce qu’elle met en branle du travail mort, sous la forme des moyens de production (machines, matières premières…) que nous avons qualifié, après Marx, de capital constant (c).
Si nous rapportons nos 100 euros de plus-value produite, non plus seulement aux 100 €uros de capital variable (v), mais à la totalité du capital avancé, c’est-à-dire c + v, nous n’obtenons pas le même résultat.
Si le capital constant c avancé est de 100, il faut rapporter la plus-value produite, qui est aussi de 100 à 100 c + 100 v = 200.
Le taux-de plus-value est toujours de 100%, mais le taux de profit, qui lui s’écrit pl/c+v, c’est-à-dire la plus-value rapportée à la totalité du capital avancé (c+v) n’est plus que de 50% (100/200).
On voit ici que, par définition, le taux de profit est inférieur au taux de plus-value.
Or, parmi les conditions de développement du mode de production capitaliste figure le développement du machinisme et de la productivité du travail qui l’accompagne et qui se traduit, nous l’avons vu, par une hausse de la composition organique.
Supposons que notre capitaliste achète des machines plus chères mais qui permettent d'accroître la productivité du travail et qui nécessitent pour leur mise en œuvre moins d'ouvriers. Parallèlement, toutes choses égales par ailleurs, si la productivité augmente la masse des matières premières et des produits intermédiaires utilisés par une même force de travail augmente également. Ainsi nous aurons, par exemple, ensuite la situation suivante (abstraction faite des effets en retour de la productivité) :
200 c + 80 v + 80 pl
Le taux de plus-value (pl/v) reste de 100%, mais le taux de profit est tombé à 28,5%
Marx qualifie ce phénomène de baisse tendancielle du taux de profit. C’est la loi la plus importante de l’économie politique[4]. Elle est tendancielle parce que, comme toutes les lois, son action est modifiée par des circonstances particulières. En l’occurrence, elle connaît des contre-tendances. Elle ne se manifeste donc que sur le long terme et dans certaines circonstances. S’il n’existait pas de contre-tendances, le capitalisme s’étiolerait rapidement.
Parmi ces contre-tendances, Marx note :
· l’accroissement de l’exploitation du travail, par le développement de la productivité et de l’intensité du travail
· la dépréciation des éléments du capital constant : le calcul que nous avons appliqué à la valeur de v, s’applique aussi à c. Supposons que pour construire une machine, il fallait auparavant 50 heures et qu’il n’en faille plus maintenant que 25, la part de c représentée par cette machine a diminué de moitié en valeur. De même, si la hausse de la productivité gagne la production des matières premières et des produits intermédiaires, leur valeur diminue. Le capital a donc pu augmenter la composition technique du capital, en freinant l’augmentation de la composition valeur. C’est pour cela que pour définir la composition organique que capital on dit qu’il s’agit de la composition valeur dans la mesure où elle reflète la composition technique.
· la surpopulation relative. Il existe dans la société une population non ou faiblement employée, qui pèse sur le progrès technique puisque le capital peut préférer employer des travailleurs mal payés plutôt que d’investir dans la modernisation. C’est le cas des industries de luxe en général, et la tendance au développement du luxe suit le développement du capital, notamment pour satisfaire les besoins des classes moyennes supérieures. De manière générale, le développement de branches employant plus de travail vivant que la moyenne contribue à contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit.
La production capitaliste prend la forme d’un parcours circulaire, d’un cycle. Celui-ci est le suivant :
Argent (capital argent avancé par le capitaliste) – Marchandise (achat des moyens de production et de la force de travail) – Production (production des marchandises au sein du processus de production) - Marchandise (marchandises issues du processus de production, prêtes à être vendues. Leur valeur est supérieure à la valeur des marchandises du début du processus de production car elle inclut une plus-value) – Argent (réalisation de la valeur des marchandises en argent. A la fin du cycle, le capital argent est supérieur au capital argent avancé au début du cycle. Il a été augmenté de la plus-value)
Le capitaliste avance le capital sous forme argent, le convertit en moyens de production et en force de travail, pour aboutir à une production de marchandises. Mais celles-ci ne lui servent à rien s’il n’arrive pas à les vendre. Autrement dit le mouvement de transformation du capital argent en capital marchandise n’a pas d’intérêt sans la suite du mouvement : transformation, réalisation du capital marchandise en capital argent, incrémenté de la plus-value produite.
Comme l’indiquent les mots « cycle d’accumulation », « circulation », il s’agit d’un mouvement circulaire, en principe sans fin. Mais on aurait tort de ne pas regarder ce qui se passe dans les différents moments du cycle. Une comparaison peut être faite avec le cycle de l’eau. Il faut passer par toutes les métamorphoses pour que le cycle s’accomplisse, mais il n’est pas indifférent de l’étudier à partir d’un de ses états plutôt que d’un autre. L’eau, la vapeur produite par l’évaporation, les nuages, la pluie et à nouveau l’eau ; il s’agit toujours de la même matière (H20) qui se manifeste sous des formes différentes.
Ici c’est le capital qui se présente sous diverses formes et passe d’une forme à l’autre. De la forme argent, à la forme de capital productif (moyens de production et force de travail), à la forme marchandise puis à nouveau à la forme argent.
Dans ce mouvement le capital réalise son objectif, son « but suprême » : produire le maximum de plus-value. Autrement dit, le capitaliste ne cherche pas simplement à retrouver la somme qu’il a investie dans la production, mais à récupérer une somme d’argent qui soit supérieure.
Il ne faut pas oublier que tout ce qui réside derrière ces objets (l’argent, la marchandise) c’est du capital. Le capitaliste jette son capital dans la production et celui-ci se métamorphose, il change sans cesse de forme : un temps il a une forme d’argent, un temps une forme de moyens de production (des machines, des matières premières, de la force de travail), un temps une forme de marchandise destinée au marché, avant de retrouver la forme argent et ainsi de suite. Si le rythme est suivi et soutenu, il n’y a pas de problème, mais si le temps entre deux métamorphoses se dilate, il y a risque de rupture du cycle. C’est ce qui se passe avec les crises : si les marchandises produites ne peuvent plus se reconvertir en argent, si donc le capital ne peut poursuivre son cycle pour se réincarner en argent et être réinvesti, se trouve inemployé, et donc court le risque de se dévaloriser. C’est pourquoi, pour Marx, les crises sont des crises de surproduction : il y a trop de capital, trop de marchandises produites et celles-ci ne peuvent pas se réaliser. D'un autre côté, si le capital argent n'obtient pas assez de plus-value, il ne cherchera pas à s'accumuler. Absence de réalisation comme absence de conversion du capital argent dans les éléments du capital productif (moyens de production et force de travail) deux aspects du même phénomène propres aux crises générales de surproduction, c'est-à-dire les crises économiques propres au mode de production capitaliste le plus développé (la première date de 1825)
Mais que va faire le capitaliste de cette plus-value s'il parvient à la réaliser ? S’il la dépensait toute entière, il n’y aurait pas d’accumulation. Afin de poursuivre son but, la production d'un maximum de plus-value, il faut que cette plus-value soit, au moins en partie, capitalisée, c’est-à-dire retransformée en capital pour engager un nouveau cycle de production sur une échelle élargie. Si, au départ, le capitaliste disposait d’une somme donnée pour la jeter dans la production, nous avons vu qu’il fallait qu’il trouve en face de lui des moyens de travail et des forces de travail. Dès lors qu’il dispose d’une somme additionnelle à injecter à son tour dans la production, il faut aussi qu’il trouve des moyens additionnels : d’autres machines, matières premières, et d’autres forces de travail.
Ceci forme la base du mouvement du capital, de l'accumulation du capital. Marx l'appelle aussi reproduction élargie, il la compare, reprenant les termes de l’économiste bourgeois Sismondi, à une spirale.
C’est ainsi que se créent les conditions du développement de la société capitaliste. Car, il ne suffit pas qu’il y ait l’argent, il faut aussi que l’argent trouve en face de lui de quoi s’employer utilement, en tant que capital.
Autrement dit, il faut que sur le marché on puisse transformer de l’argent en moyens de production et en forces de travail. Nous avons évoqué, avec la marchandise, la division du travail, condition sine qua non pour que s’effectue l’échange des produits selon un étalon commun : leur valeur en fonction du temps de travail passé pour les reproduire. Ici, nous retrouvons la division du travail, mais à une échelle sociale. Il faut qu’il existe des branches industrielles qui se complètent : les uns produisent des machines-outils, les autres des matières premières, des composants électroniques, etc. Il faut aussi qu’il y ait le développement d'une classe de travailleurs libres susceptibles, en passant sous l'autorité du capital, de fournir le travail productif. Ainsi le processus de production est également un processus de reproduction des rapports de production capitalistes, un processus de production, de reproduction et d'extension de ceux-ci. Et cette extension se fait en étant toujours plus défavorable à la classe productive.
Les économistes bourgeois, ceux qui précédaient Marx, mais encore plus les professeurs d’économie d’aujourd’hui ne comprennent rien à tout cela. Ils pensent que la valeur additionnelle que récupère le capitaliste vient de la sphère du commerce, que c’est parce qu’il a vendu plus cher que son prix une marchandise qu’il peut empocher une plus-value ou alors ils s'imaginent que les moyens de production sont doués par eux-mêmes de la capacité à produire de la valeur, une machine plus rapide produirait de la valeur, une terre plus fertile aussi, de nouvelles inventions, etc.. Or, nous avons vu que la plus-value est créée dans la sphère de la production, par le salariat productif. Ce n’est pas un vol, mais le produit de l’exploitation de la classe prolétarienne.
Il y a un autre point sur lequel Marx critique ses adversaires : les économistes. Ceux-ci, en bons défenseurs du droit bourgeois, envisagent toujours la relation entre capitaliste et ouvrier du point de vue du rapport de deux personnes qui passent contrat. Or, il ne faut pas considérer cette relation d’un point de vue individuel, mais regarder comment se nouent les rapports entre les deux classes, c’est-à-dire l’ensemble des capitalistes contre l’ensemble des prolétaires.
Le but de ce mouvement appelé accumulation du capital, est d'obtenir le maximum de plus-value. C’est pour le capital une nécessité absolue d’élargir en permanence la production dès lors que celle-ci est basée sur sa valorisation ; cela signifie qu’une valeur investie dans la production n’a de raison d’être que si elle ramène, à l’issue du processus productif, une valeur plus grande (composée de la valeur avancée et de la plus-value). Le capital, dit Marx est une valeur en procès, valeur qui se meut pour s’accroître sans cesse ; il ne peut pas en être autrement tant que l’on reste dans la logique de l’accumulation du capital.
L’économie politique bourgeoise, ainsi que le droit du travail bourgeois considèrent que la transaction qui a lieu entre l’ouvrier et le capitaliste, comme un rapport égalitaire de deux possesseurs de marchandises qui échangent leur bien : dans ce cas, une capacité de travail pour un temps donné (la force de travail), contre de l’argent (salaire).
Mais sous l’égalité de la transaction, le marxisme démontre que gît l’exploitation et que ce rapport d’exploitation se reproduit et se perpétue. D'un côté, le procès de production ne cesse de produire et reproduire le capital; de l'autre, l'ouvrier en sort comme il y est entré : source personnelle de richesse sociale, dénuée de ses propres moyens de réalisation. Son travail, fait propriété du capitaliste, ne peut évidemment durant le procès se réaliser qu'en produits qui fuient de sa main.
La production capitaliste, étant en même temps consommation de la force de travail par le capitaliste, transforme sans cesse le produit du travail non seulement en marchandise, mais encore en capital, en valeur qui pompe la force créatrice du travail, en moyens de production qui dominent le producteur, en moyens de subsistance qui achètent l'ouvrier lui-même. La seule continuité ou répétition périodique du procès de production capitaliste en reproduit et perpétue donc la base, le travailleur en sa qualité de salarié.
Au niveau de la société, l’ensemble de la classe productive engendre une masse croissante de plus-value ; celle-ci se trouve ensuite répartie entre les différentes fractions de la classe dominante sous diverses formes. Dans l’entreprise elle prend notamment la forme du profit.
Aujourd’hui, le terme « profit » est souvent employé, dans un sens moral, comme équivalent d’un profit « commercial » parasitaire : on condamne ainsi le fait que quelqu’un vendrait une marchandise au-dessus de son prix de production pour dégager un avantage qui serait le profit. Or, dans les termes scientifiques du marxisme, le profit, dans sa globalité, n’est en rien assimilable à la tromperie commerciale. Le profit est une fraction de la plus-value. L’ensemble des marchandises est vendu à sa valeur et c’est parce qu’elles sont, prises en tant que totalité, vendues à leur valeur que les capitalistes s’approprient la plus-value.
Cette plus-value va notamment se scinder en profit et rente qui délimite ainsi la classe des capitalistes et la classe des propriétaires fonciers. Au sein de la classe capitaliste, le profit va être partagé entre les capitalistes en relation avec le capital qu’ils ont avancé (égalisation des taux de profit). Les capitalistes du commerce obtiennent ainsi un taux de profit moyen égal au taux général de profit à l’instar des capitalistes industriels même si leur contribution effective à la production de la plus-value est moindre. Le profit lui-même se divisera entre le profit d’entreprise et l’intérêt qui échoit au capitaliste financier. Mais ce n’est pas tout, les impôts sont à la base de l’Etat et ils constituent une part de la plus-value (mais aussi du salaire social). N’oublions pas non plus les salaires de direction que s’attribuent les capitalistes et les salaires (et moyens de production) des classes improductives qui sont autant de formes de la plus-value.
Ainsi la plus-value est-elle répartie, au sein de la société, entre les différentes classes dominantes et au sein de la bourgeoisie elle-même, entre ses différentes fractions et encore au-delà. Mais Marx insiste très fortement sur l’origine unique de cette masse de plus-value ensuite partagée entre les différents protagonistes. C’est bien au départ le capitaliste industriel (ce terme vise le capital engagé dans une sphère de production quelconque et non uniquement le capitaliste de l’industrie) qui garantit la production de plus-value grâce à l’exploitation qu’il fait du travail salarié productif. Contrairement à ce que prétendent les courants de la critique petite-bourgeoise du capitaliste, ce n’est pas la banque, le monde de la finance, qui est l’ennemi à abattre, en comparaison avec le capitaliste industriel « vertueux ». Le mode de production capitaliste ne repose pas sur la finance, mais sur la production de plus-value et son accumulation grâce à l’exploitation du prolétariat.
Les développements théoriques propres aux questions agraires sont également l’occasion pour Marx de traiter les diverses formes de surprofits. Que ceux-ci proviennent de différentiels de productivité, de monopoles sociaux comme la propriété de la terre, ou de prix de monopole proprement dit du fait d’une demande supérieure à l’offre (du fait d’une rareté relative comme pour un vin fin ou parce que celle-ci est organisée – politique des marques et brevets par exemple -), ils trouvent une illustration dans les différentes formes de rente foncière. Loin de constituer une nouveauté théorique et une phase particulière de l’histoire du mode de production capitaliste, Marx montre comment s’articulent profit moyen et surprofits, concurrence et monopoles, sur la base de l’action de la loi de la valeur.
Avec l'accumulation du capital réel se développe également ce que Marx, à la suite d'autres économistes nomme le capital fictif. Il s'agit tout d'abord de titres (actions, obligations, bons du trésor, traites, …) correspondant à un capital réel qui a été prêté (peu importe sa destination). Dans la mesure où ces titres peuvent être négociés (à la bourse par exemple, auprès d'une banque ou d'un affactureur pour les traites et autres factures émises par une entreprise), ils font l'objet d'un marché particulier, soumis à des lois spécifiques. Ces marchés sont le lieu d'une spéculation intense qui permet de capter une part de la plus-value.
Pour le socialisme petit-bourgeois, cette sphère est à la racine des crises et la captation de plus-value dans les activités spéculatives et le paiement d'intérêts (ou de dividendes dans le cas des actions) en compensation du capital prêté, la forme la plus aboutie de l'exploitation. Or, nous avons vu qu'il ne s'agit dans ces cas que de formes de la plus-value (au même titre que le profit, la rente, l'impôt, les salaires des classes improductives, …). La plus-value, une fois extraite dans la sphère productive, fait l'objet d'une concurrence et de jeux de rapports de force pour savoir comment elle sera partagée. Le mouvement communiste vise à l'abolition du salariat et autres catégories marchandes et non pas à mettre sous tutelle les manifestations les plus évidentes du parasitisme social.
Une autre signification (sens II) du terme capital fictif concerne l'usage frauduleux du capital emprunté. Une fois l'argent prêté, il est dissipé par l'emprunteur qui ne le fait pas fonctionner comme capital. Outre les escrocs et fraudeurs professionnels on ne doit pas oublier que la frontière est ténue entre une entreprise en difficulté qui cherche à obtenir du crédit pour faire face à une mauvaise passe en espérant que les affaires vont reprendre et celle qui s'enfonce dans l'endettement sans issue. A ce jeu, l'Etat lui-même, un des plus gros sinon le plus gros emprunteur, qui s'empresse de dépenser l'argent en tant que revenu peut être regardé avec suspicion. L'histoire est jalonnée de ses faillites et des restructurations de sa dette ; ce qui le place, de ce point de vue, parmi les plus grands dispensateurs de capital fictif.
Un dernier aspect de la notion de capital fictif (sens III) réside dans le surcrédit. Pour réaliser la plus-value additionnelle, de nouveaux moyens de paiements doivent être créés. Dès lors qu'ils excèdent les besoins de l'accumulation (comme il existe d'autres marchés ils doivent nécessairement excéder ces besoins) et que, d'autre part, il est de l'intérêt des banques de prêter le plus possible dès lors qu'elles jugent leur risque limité (l'incompétence, la cupidité, la garantie des Etats, les prouesses techniques tant en matière d'ingénierie financière que d'automatisation des décisions, … seront autant de facteurs qui pousseront à minorer ce risque alors qu'à un moment ils l'amplifient) le développement du crédit s'accompagne du développement du surcrédit. Ce phénomène se résout en inflation des prix des marchandises, inflation du capital fictif (au sens I, titres), inflation de la rente foncière (le prix des terrains et des actifs immobiliers), inflation du capital fictif (au sens II), bref inflation du parasitisme social. Quand l'inflation se mue en déflation, ces phénomènes, vecteurs de crises par eux-mêmes, ne sont qu'un aspect, parmi les plus visibles, des crises de surproduction qui trouvent leur origine dans le cœur de la production capitaliste.
Marx a, à son époque, accompli un travail à la fois scientifique et révolutionnaire. Scientifique parce qu’il a montré, au-delà des phénomènes constatés par les différents protagonistes de la société, quels en étaient les ressorts profonds et donné une explication en rupture avec les interprétations des économistes bourgeois de son temps ; révolutionnaire parce qu’il a su saisir ce qui, derrière le fonctionnement de l’économie capitaliste, fournissait les conditions matérielles pour la rupture révolutionnaire. Bien plus, le travail scientifique n'a pu être accompli qu'en se plaçant d'un point de vue révolutionnaire, du point de vue du prolétariat et de la société de demain : le communisme. C’est pourquoi les œuvres fondamentales de Marx consacrées à l’économie portent le sous-titre de « critique de l’économie politique ».
Plus d'un siècle et demi après sa naissance, la conception matérialiste de l'histoire peine à s'imposer. Placé en position défensive depuis la fin du 19e siècle, revigoré par la révolution russe, anéanti par la contre-révolution qui a suivi l'échec de la vague révolutionnaire des années 1920 (défaite des révolutions allemande, hongroise, chinoise, …, involution puis contre-révolution russes avec le triomphe du stalinisme), le marxisme n'en finit pas de tirer les leçons des défaites du prolétariat. La ré exposition systématique des concepts, éléments théoriques et conclusions avancés il y a bientôt un siècle et demi tout comme leur application à la compréhension des évolutions et mutations du mode de production capitaliste contemporain sont une nécessité pour la cause de l'émancipation du travail.
L'évolution des classes sociales, et parmi elles, celle de la classe productive constitue une des questions les plus importantes aujourd’hui pour la théorie marxiste.
Le vingtième siècle aura été le siècle à la fois le plus vital et le plus mortifère de l'histoire. La population mondiale y a quadruplé, l'espérance de vie s'est accrue considérablement, tandis que les guerres ont fait 120 millions de victimes, que la sous-alimentation touche 800 millions de personnes (à l'autre extrémité 300 millions souffrent d'obésité) avec son cortège de conséquences tragiques (espérance de vie diminuée, mortalité infantile (6 millions par an aujourd'hui), troubles physiques et mentaux, ...
Le mode de production capitaliste a progressé encore plus vite que la population. La part des salariés dans la population active mondiale ne fait que croître et occupe une majorité de celle-ci. Dans les pays où le mode de production capitaliste est le plus développé, le salariat représente 80 à 90% de la population active. Le prolétariat y est devenu la majorité de la société. Les anciennes classes sociales, paysans, artisans, petits commerçants indépendants régressent. Leur soi-disant « indépendance » n’est souvent que formelle, et leur existence se love dans les pores de la société bourgeoise. Au pire, leur activité n'est que l'antichambre de la précarité généralisée et du chômage.
Prenons l'agriculture : celle-ci reste le premier employeur mondial mais ne représente plus la majorité absolue de la population active. Une grande masse de cette population agraire, telle que la paysannerie parcellaire, produit certes de la valeur mais pas de plus-value. Elle n’est pas dans un rapport salarial avec le capitaliste, mais elle a à faire au propriétaire foncier quand elle n'est pas elle-même propriétaire de la terre. Dans les pays les plus développés, elle ne représente plus qu'une très faible partie de la population active alors qu'elle était une majorité à l'époque de Marx. En son sein, le salariat joue un rôle toujours plus grand. Le mode de production capitaliste s'empare donc toujours plus de l'agriculture, la soumet à ses lois, ruine la paysannerie qui s'en va rejoindre l'armée de réserve industrielle, gonfler les populations urbaines.
Outre le prolétariat, le mode de production capitaliste connaît deux autres classes fondamentales : celle des capitalistes et celle des propriétaires fonciers. L'analyse de la formation des prix dans l'agriculture et dans la sphère de la production des matières premières montre que c'est sur les terrains (mines ou champs d'extraction) les moins fertiles et les plus mal situés que se forment les prix de production autour desquels gravitent les prix de marché. Dans le mode de production capitaliste, le prix relatif des matières premières et des ressources indispensables à la vie est donc plus élevé que celui des autres marchandises ; le luxe industriel est plus facile à produire que le nécessaire agricole. De plus, le monopole de la propriété foncière aggrave encore ce processus en freinant le développement de la productivité dans ces sphères de production. Au-delà de ces phénomènes, il faut également prendre en compte les effets particuliers liés aux prix de monopole stricto sensu (comme pour les vins les plus appréciés, par exemple).
La prise en compte de ces différents phénomènes montre à quel point le mode de production capitaliste est néfaste pour le métabolisme social.
Les contradictions du mode de production capitaliste poussent à leur paroxysme l'antagonisme entre la ville et la campagne, les déséquilibres entre le monde urbain et rural. Cette contradiction atteint un sommet tel[5] que la bourgeoisie, tout en étant incapable d’aboutir à une répartition harmonieuse de la population sur le territoire, se voit sommée de la prendre en charge et est conduite à nourrir, à maintenir sous perfusion, les populations qu'elle rejette de son système de production. Ainsi s’entassent dans les périphéries des mégalopoles capitalistes les masses expulsées des territoires agricoles.
Par ailleurs, la rente urbaine atteint des sommets ; par exemple, en France, elle dépasse en masse, depuis longtemps, la rente foncière agricole. Bien que le bâti (à des fins d'habitation ou pour les activités productives) occupe des superficies beaucoup moins importantes que les terres agricoles, leur prix global est supérieur et le rapport entre le prix au m2 des plus beaux logements ou bureaux et celui des plus mauvaises terres agricoles ne cesse de croître. Ce rapport est désormais en France l'ordre de 1 à 1 000 000. En effet, dans les beaux quartiers de Paris, le prix du mètre carré atteint facilement 10 000 € tandis que les plus mauvaises terres agricoles peuvent se négocier aux alentours de 1 000 €. En prenant les cas extrêmes on pourrait facilement multiplier par 10 l'écart considérable déjà obtenu.
Jamais la société bourgeoise ne pourra nourrir correctement l'humanité, ni lui offrir un toit décent, ni gérer du point de vue des intérêts généraux de l'espèce humaine; l'espace, les forêts, les sols, la santé et le bien-être des populations, le métabolisme entre l'homme et la nature.
Ce qui est vrai de l'agriculture l'est également pour l'industrie et les services ; l'emprise du salariat s'étend et rend la domination du mode de production capitaliste toujours plus évidente. En dehors de la paysannerie, du secteur artisanal et du commerce, encore puissant, qui représentent les classes moyennes classiques, historiques, une classe moyenne moderne, salariée, s'est développée. Comme nous l'avons vu, le mode de production capitaliste dans sa course à la plus-value dévalorise les marchandises en réduisant le temps de travail social moyen nécessaire à leur production. Mais cette masse croissante doit être écoulée et le capital doit multiplier les efforts et les dépenses improductives pour faire circuler les marchandises et réaliser en capital-argent le capital-marchandise (études de marché, publicité, forces de vente, crédit, assurances, …). Le temps de circulation augmente relativement par rapport au temps de production. La multiplication des foyers d'accumulation du capital avec leur cohorte de petites entreprises induit la création d'une classe de petits capitalistes dont le salaire et les revenus relèvent de la plus-value et qui représentent donc un coût d'entretien proportionnel à leur nombre. Par ailleurs, on assiste au développement et à l'entretien, aussi bien dans la petite que dans la grande entreprise, de catégories intermédiaires qui sont chargées de l’administration, de la comptabilité, de l’organisation des firmes.
Enfin, les sociétés capitalistes modernes connaissent un développement considérable de l’Etat et de la bureaucratie. En tant qu’ils sont payés sur le budget de l’état, c’est-à-dire par le biais de l’impôt ou de l'emprunt, les fonctionnaires ne sont ni exploités (ils ne produisent pas de plus-value et ne font pas face au capital dans la vente de leur force de travail) ni prolétaires. Leur force de travail ne s'échange pas contre du capital mais contre du revenu. Avec la défaite du prolétariat dans les années 20 et le rajeunissement du capital qui s'en est suivi (tout particulièrement après la deuxième guerre mondiale), on a assisté pendant des décennies à une croissance de la production de plus-value concomitante à l’élévation du degré de qualification de la force de travail. Ceci n'a pu être obtenu qu'en singeant le programme communiste, en réalisant une démocratie sociale, en apportant, dans les limites du mode de production capitaliste, des progrès par rapport au temps de travail, à la santé, à l'éducation, tout en renforçant en même temps le talon de fer (police, armée, etc.) et la bureaucratie de l'Etat. Tous ces phénomènes ont engendré la création d'emplois de fonctionnaires et fait de l'Etat un employeur important, parfois même le premier.
Tous ces phénomènes signifient que le salariat ne recouvre pas stricto sensu un rapport d’exploitation. Quand la force de travail s'échange contre du revenu ou lorsqu’elle est employée dans la sphère de la circulation ou encore qu’elle fait partie des faux frais de la production capitalistes (par exemple, comptabilité, facturation, administration, etc.) elle est improductive ; elle ne produit ni valeur ni plus-value (bien qu’elle puisse rendre un profit). Tout prolétaire est par définition salarié (puisqu’il ne possède que sa force de travail à vendre), mais tout salarié n’est pas un prolétaire.
La considérable expansion de la productivité du travail depuis la deuxième guerre mondiale peut se concevoir de deux manières :
· Dans la première, on considérera que cette richesse sociale est produite par l’ensemble de la population salariée. Or celle-ci reçoit, dans les pays développés, un équivalent qui varie entre la moitié et les deux tiers du PIB. Il est alors facile d’en conclure que l'exploitation (aussi bien absolue que relative) du prolétariat (ici confondu avec la population salariée en général) ne s’aggrave pas et que les intérêts du capital et du travail sont donc conciliables.
· Dans la seconde, on maintient la distinction cruciale chez Marx entre une fraction productive de la population employée et une fraction improductive, cette dernière pouvant être elle-même salariée. Dans ce cas, il faut ramener la production de la plus-value à la seule fraction productive. On considère donc que la production de valeur et de plus-value ne repose que sur le prolétariat, et non sur la totalité des salariés. Par conséquent, son exploitation est ici considérablement plus importante que ce qu’admet la première vision et on montre que les intérêts du travail et du capital inconciliables
La conséquence de ce dernier point pour évaluer la possibilité du communisme est cruciale ; en effet la concentration de la sphère productive sur le prolétariat et non sur tout le salariat témoigne d’une productivité inouïe atteinte par le développement du mode de production capitaliste, productivité dont le produit doit être gaspillé pour que la chaudière n’explose pas. Cela montre les formidables capacités qu’une réorganisation des fonctions productives, l’abandon de nombre de secteurs inutiles voire socialement nuisibles, une généralisation du travail productif à l’ensemble de la société tout en diminuant le temps de travail individuel amèneraient des changements considérables dès les premières phases d’un processus révolutionnaire.
A l’heure où, devant les perspectives catastrophiques offertes par la société bourgeoise, nombre de courants prônent la « décroissance », la limitation malthusienne de la production de richesses, au nom souvent de l’écologie et de la protection de la planète, il est bon de rappeler que l’origine des catastrophes économiques qui ravagent la société est sociale et que la direction de la société par le prolétariat révolutionnaire est une nécessité absolue.
Une bonne partie de ce salariat improductif représente ce que l’on appelle les « classes moyennes » modernes. Le salariat permet de les distinguer des anciennes (artisans, paysans…) dont nous avons parlé. Contrairement à ce qu’affirment les commentateurs bourgeois, ce phénomène de l’expansion des classes moyennes salariées était parfaitement anticipé par Marx. Vivant de la plus-value, et donc de l’exploitation du prolétariat ces classes défendent un intérêt « proche de celui des classes exploiteuses » (Marx).
Dans le livre I du capital, Marx expose le rôle du manager capitaliste en définissant sa fonction sociale, sa psychologie et son évolution. Le manager capitaliste (à distinguer du propriétaire du capital) personnifie le capital, il « fonctionne comme capital personnifié »1. Il a pour fonction de faire produire le maximum de plus-value, ce qui suppose à la fois d’obtenir le meilleur rendement possible de la force de travail à un moment donné et aussi d’étendre, en grandeur comme en profondeur, l’accumulation du capital. La production pour la production, l’exaltation du développement de la force productive du travail, telle est la fonction du capitaliste, « agent fanatique de l’accumulation ».
Le capitaliste ne s’intéresse qu’à la valeur d’échange, c’est pourquoi, parmi les qualités premières des pionniers du développement capitaliste apparaissent en bonne place la frugalité, l’austérité, l’avarice ; mais ces « vertus » bourgeoises, avec le temps, s’affaiblissent. Le capitaliste cède aux sirènes de la consommation improductive de la plus-value. Il est vrai que la progression de la concentration et de la centralisation du capital ont permis la production d’une plus-value croissante au moyen de laquelle il peut accroître sa consommation sans pour autant affaiblir notablement son accumulation. D’autre part, cette consommation devient une nécessité professionnelle ; l’étalage de sa richesse est un moyen d’obtenir du crédit, d‘inspirer la confiance et d’entretenir le cercle de ses relations. Mais, chez le capitaliste cette tendance rencontre des limites et la jouissance, la dépense se font avec une forme de mauvaise conscience car elles rencontrent en face d’elle le penchant inverse qui est nécessaire pour pousser les feux de l’accumulation.
Dès lors que le capitaliste renoncerait à la jouissance de l’accumulation pour l’accumulation de la jouissance, il renoncerait à sa fonction ; la sanction à terme, pour le capitaliste qui consommerait de façon improductive la plus-value plutôt que de l’accumuler, serait sa disparition sous les coups de la concurrence.
Du point de vue du capital total, deux écueils opposés guettent le mode de production capitaliste. Si nous supposons une société qui ne serait composée que de prolétaires faisant face à un capital qui n’aurait pour seule préoccupation que la production et l’accumulation de la plus-value, il s’ensuivrait un développement vertigineux des forces productives et de la productivité du travail. Ce développement prodigieux saperait à une vitesse accélérée les bases de cette même production capitaliste en poussant la dévalorisation du capital à son comble tout en créant une immense accumulation de marchandises dont la difficulté d’écoulement, leur réalisation, irait croissant. Le capital serait donc conduit d’autant plus rapidement vers la surproduction et les crises. D’un autre côté, un développement de la production pour la production, concomitant avec un développement de la richesse personnelle du capitaliste, pourrait conduire la production capitaliste à s’étioler, à perdre son dynamisme, à ronronner devant la masse des profits sans chercher à pousser systématiquement au développement de la force productive du travail ; le capital renoncerait d’autant plus vite à sa mission historique.
Dès 1845, Marx et Engels insistaient sur le fait qu’en même temps que le mode de production capitaliste développe les forces productives ces dernières se changent aussi en forces destructrices. Tandis que le capitaliste incarne la passion de l’accumulation, l’amour de la production pour la production, il faut que dans la société s’exprime également la passion de la dépense, de la consommation pour la consommation. Nous avons vu que le capitaliste ne peut avoir complètement cette fonction sans renoncer à son être. Il faut donc que le pendant dialectique de la production, la consommation, s’exprime dans une autre classe. Une classe qui représente la dépense, la consommation pour la consommation, doit se développer. Comme la classe capitaliste malgré le développement de ses penchants pour la consommation ne peut assurer à elle seule cette fonction et qu’à un certain point celle-ci entre en contradiction avec sa fonction sociale, la classe qui représentera le mieux la passion de la dépense et de la consommation est la classe moyenne.
Telle est la fonction économique de la classe moyenne chez Marx. Elle incarne la passion de la dépense et à ce titre joue un rôle régulateur dans le cadre du mode de production capitaliste. Le volcan de la production est limité dans son expansion et, en même temps, stimulé. Mais, au-delà de cet aspect, les classes moyennes jouent également un rôle social et politique en servant de rempart aux classes dominantes.
Avec le développement de la production capitaliste, le capital se concentre, c'est-à-dire qu'il s'accumule dans les mêmes foyers. Sous l'impulsion de la progression de la productivité, du développement du capital minimum nécessaire pour que celle-ci soit conforme à la moyenne sociale, des effets de la concurrence et des crises, du développement du crédit qui met à la disposition de certains le capital social, le capital se centralise, c'est-à-dire, toutes choses égales par ailleurs, réduit le nombre de foyers d'accumulation. Par exemple, on dit que 80 000 entreprises multinationales, dont le nombre a cru de manière inouïe, produisent 10% du PIB mondial et contrôlent 2/3 du commerce mondial, que les productions de leurs filiales sont supérieures au volume du commerce mondial. Parallèlement avec le système du crédit, le développement de formes sociales de la propriété (sociétés par action, entreprises publiques, coopératives, fonds de pension, holdings, …), la séparation entre la propriété et le capital s'affirme tandis que les protagonistes se professionnalisent, managers capitalistes, d'un côté, qui assurent la gestion du capital, capitalistes financiers, de l’autre côté, qui revendiquent les intérêts de la propriété du capital. Les différences entre capitalistes et propriétaires fonciers s'estompent et ces classes ont tendance à fusionner, les uns achètent la terre, les forêts, les immeubles qui font l’objet de sociétés à la propriété sociale tandis que les autres deviennent actionnaires et capitalistes. La bourgeoisie en tant que classe propriétaire devient toujours plus éloignée du processus de production qu'elle continue à entraver tout en facilitant les crises. Elle accentue ainsi son caractère parasitaire.
La concentration et la centralisation du capital sont des phénomènes relatifs et non absolus, parallèlement au poids relativement croissant des capitaux multinationaux et des plus grandes entreprises, les petites et, encore plus, les très petites entreprises pullulent. L'accumulation de capitaux dans de nouveaux foyers, soit parce qu’ils se détachent de sociétés plus anciennes soit à travers l’apport de capitaux nouveaux est d'autant plus important que les nouveaux champs d'accumulation n'exigent pas de capitaux importants pour exister. Le développement de services qui supposent une relation plus directe entre les personnes et une relative proximité territoriale s’inscrit généralement dans ce cadre. Marx avait déjà décrit un phénomène identique à propos de la production de produits de luxe, qui emploie plus de main d’œuvre. La production de produits plus raffinés, de qualité supérieure ou de luxe s’accroît avec le développement de la productivité. Le développement d’une force de travail qualifiée qui peut gagner d’autant plus facilement son autonomie que les tâches de conception occupent une part croissante dans le temps de travail global pour réaliser une marchandise favorise également ce mouvement.
Les causes du développement récurrent de ces petites entreprises sont nombreuses. Si la volonté d’échapper au salariat peut être un moteur pour un certain nombre d’individus, la plupart n’ont pas d’autre choix que d'essayer d'exister par eux-mêmes sur le marché lorsqu’ils ne trouvent pas un emploi salarié. D’autre part les divers statuts et protections plus ou moins archaïques qui existent dans tel ou tel pays (par exemple pour les pharmaciens, notaires, médecins, avocats, architectes…) freinent l'expansion du salariat dans ces secteurs. L’existence de ces entreprises plus petites est aussi une nécessité pour que les entreprises les plus productives puissent réaliser des surprofits, et qu'elles leurs servent de régulateur sous toutes les formes. Last but not least, l’innovation est fréquemment synonyme de petite entreprise, qui est plus agile que les grosses entreprises déjà installées. Un processus darwinien de sélection des nouveaux produits et services, des nouveaux marchés se développe. Cent se lancent, dix émergent, un réussit. Il sera racheté à bon prix par la grande entreprise.
Ce mouvement de concentration et d’émergence constante de nouvelles unités de production s’applique également à l’agriculture. Si la population mondiale a quadruplé au cours du 20ème siècle et que l'agriculture y occupait à la fin près de la moitié de la population active, le nombre de paysans et de paysans propriétaires a également augmenté, provoquant au niveau mondial une disparité impressionnante de productivité entre la grande agriculture capitaliste et la paysannerie qui ne parvient même pas à produire, par manque de terres, son auto subsistance.
La productivité qui atteint 1000 tonnes par actif et par an pour quelques millions d'actifs dans l'agriculture développée, tombe pour environ les deux tiers de la population active agricole, donc pour les centaines de millions qui ont connu les effets de la « révolution verte » à 50 tonnes ou 10 tonnes par actif suivant qu’ils disposent ou non de la traction animale. Enfin environ le dernier tiers (plusieurs centaines de millions de personnes) vivant dans des conditions de dénuement produit moins de 1 tonne par actif par an[6]
Si nous écartons la question de la manière dont cette productivité est atteinte et ses limites, c'est potentiellement plusieurs centaines de millions d'agriculteurs qui sont menacés de disparaître pour aller s’entasser dans les villes et, dialectiquement, quelques millions de personnes pratiquant une agriculture rationnelle pourraient suffire, tout en libérant le temps de travail, pour satisfaire les besoins agricoles de l'espèce humaine. Plus que jamais, la question agraire, tout comme la résolution de l'antagonisme entre la ville et la campagne, sont au cœur de la révolution sociale.
La recherche du maximum de plus-value conduit le mode de production capitaliste à des crises de surproduction. Celles-ci prennent un caractère périodique et leur gravité est tendanciellement en relation avec le degré de développement de la production capitaliste. Plus elle est développée, plus l'impact social de ces crises tend à être important. Les crises de surproduction sont caractéristiques du mode de production capitaliste le plus développé. La première de ces crises d'un type nouveau remonte à 1825 et depuis près deux siècles le monde bourgeois est régulièrement parcouru de secousses, de tremblements de terres sociaux qui sèment la désolation. Leur fréquence et leur intensité non seulement ne diminue pas mais on doit s'attendre à ce que régulièrement de nouveaux records soient battus. Ces faits laissent impuissants et ridiculisent aussi bien les prévisions et les théories des économistes, que les politiques, les « réformes » et autres tentatives d’établir un contrôle économique sur le développement du capital.
En recherchant le maximum de plus-value, de survaleur, le capital développe la productivité du travail comme si elle n'avait pas de limites propres à ce mode de production ; la masse énorme des marchandises doit être réalisée en argent et un certain rapport - que la production capitaliste tend à violer - doit exister entre la consommation productive et la consommation non productive (individuelle et collective). En ayant des difficultés pour trouver des marchés à ces masses considérables de marchandises, en restreignant la part des salaires de la classe productive et en poussant les feux de l'accumulation qui déséquilibrent le rapport entre production et consommation, la société bourgeoise favorise la surproduction de marchandises. D'un autre côté, si l'accumulation du capital n'engendre pas suffisamment de plus-value, si l'accroissement de la productivité est en panne et que le taux de profit vient à baisser brutalement, c'est la suraccumation, la surproduction de capital, qui le menace.
En, parallèle, le capital fictif (titres, …) gonfle sous les effets conjugués de l'accumulation du capital réel, de la spéculation et du surcrédit. Le crédit devient un des leviers les plus puissants pour favoriser la tension des forces productives et engendrer la surproduction.
La recherche du maximum de plus-value prend diverses formes :
- l'allongement de la journée de travail
- la hausse de la productivité,
D’autres formes favorisent la création de plus de valeur et de plus-value dans le même temps
- le développement de l’intensité du travail – création de plus de marchandises de même valeur dans le même temps -,
- le développement de la complexité du travail – la même force de travail produit plus ou moins de valeur suivant le type de travail, simple ou complexe, auquel elle est affectée -,
- le développement de la qualité du travail – une force de travail plus qualifiée a relativement plus de valeur qu'une force de travail non qualifiée et produit plus de valeur dans le même temps -,
- l’optimisation de la place du travail national dans la division internationale du travail[7]
En même temps qu'elle poursuit son but exclusif : le maximum de plus-value, la production capitaliste développe, dans les limites propres à ce mode de production, les forces productives. Ce faisant le potentiel de la production comme de la surproduction est toujours plus important. Pour différer cette contradiction, pour en contrecarrer les effets, le capital met en œuvre un ensemble de réponses de nature différente. Nous pouvons les classer en fonction du type de réponse qu’elles apportent :
1° Facilitation de la vente, la réalisation du produit social = développement du crédit
2° Recherche de débouchés et de nouveaux champs d’accumulation externes = exportation, lutte pour la conquête de nouveaux marchés.
3° Expansion du besoin et création de nouveaux besoins = développement de la publicité et de la mercatique (marketing) qui confère de nouveaux attraits à la marchandise.
4° Diversification, création de nouveaux besoins, création de nouvelles valeurs d’usage = développement de moyens de consommation de luxe. Un des intérêts de ce secteur est que généralement il permet, la production d’une masse plus grande de plus-value du fait de l’emploi relativement plus élevé de travail vivant. Comme d’autre part ces branches ont une composition organique moins élevée que la moyenne, elles favorisent aussi la hausse du taux de profit.
5° Evolution historique des valeurs d’usage et des besoins conduisant à freiner la baisse de la valeur unitaire des marchandises. « Revalorisation » des valeurs d’usage[8] évolution des besoins : le luxe d’hier devient le nécessaire d’aujourd’hui.
6° Programmation de l’obsolescence des marchandises. Organisation du gaspillage des ressources.
7° Fixation du capital. Accumulation de capitaux fixes qui ne sont pas immédiatement productifs (grands ouvrages d'art, grands travaux, canaux, par exemple) et donc absorbent de la plus-value sans produire un effet immédiat sur la productivité du travail.
8° Développement d’une classe de consommateurs qui consomme sans produire, d’une classe improductive. Une classe de consommateurs est nécessaire. Les théoriciens sous consommationnistes, notamment Malthus, ont pressenti ce besoin. Ce ne peut pas être le prolétariat dont la consommation est limitée - et d’autant plus limitée que le salaire relatif baisse avec le progrès de la production capitaliste – qui le remplit. Une hausse du salaire réel peut certes intervenir, mais nécessairement dans des limites étroites. Cette classe improductive moderne, c’est la classe moyenne salariée. Avec son développement, on limite ainsi le taux d’accumulation et la demande de moyens de consommation s’accroît et avec elle la consommation de produits plus raffinés et de produits de luxe.
9° Baisse tendancielle du taux de profit et du taux d’accumulation. L’accumulation ralentit, la croissance ralentit, le capital diffère ces contradictions en renonçant à sa mission.
Les crises n'engendrent pas mécaniquement des guerres ni des révolutions, mais elles y concourent et si la révolution est l'ultime issue pour le prolétariat afin d’en finir avec son exploitation et arrêter le cours catastrophique du mode de production capitaliste, la guerre sera également l'ultime solution que trouvera le capital pour se régénérer, au risque de détruire l'espèce humaine.
L’un des grands drames de l’histoire récente restera la disparition politique du prolétariat, qui a été dépossédé de ce qui représentait son caractère révolutionnaire. Par deux fois (deuxième et troisième internationale) son parti international est tombé entre les mains de forces contre-révolutionnaires. Nous ne reviendrons pas ici sur les circonstances historiques qui ont plongé le prolétariat dans la contre-révolution au tournant des années 1920, après qu’il ait accompli, à l’échelle internationale, le plus héroïque effort d’émancipation de son histoire, dont le temps fort reste la prise du pouvoir en Octobre 1917 en Russie. Depuis cette époque, le prolétariat a disparu comme parti politique indépendant et donc comme classe ayant conscience de ses buts historiques. Non seulement ses représentations, traditions, chants, drapeaux, emblèmes sont devenus des symboles de son oppression mais sa théorie a été aseptisée, dénaturée, caricaturée, transformée de théorie révolutionnaire en outil de conservation sociale, tandis que des sociétés qui relevaient du mode de production capitaliste (URSS, Chine, Cuba, …) s’érigeaient en exemple du socialisme réel.
Le prolétariat pendant toutes ces dernières années n'a combattu que comme aile extrême-gauche de la démocratie, à la remorque des partis des autres classes. Ce faisant, il a troqué dans les pays les plus développés son émancipation contre des aménagements de sa situation. Diminution du temps de travail, élévation de son niveau et de son espérance de vie, éducation de ses enfants, accès aux soins, etc., bref tout ce qui caractérise la « démocratie sociale ». De même, il a poussé à la conquête de la démocratie politique, élargi le suffrage universel et le droit des femmes. Le nombre de pays régis par une constitution démocratique voire organisés en république démocratique n'a cessé d'augmenter. Le prolétariat a donc conquis le champ de bataille pour l'ultime affrontement avec la bourgeoisie ; il a laissé la bourgeoisie diriger le développement des forces productives et le porter à un point où les contradictions se sont tellement accumulées que l'évidence de la nécessité d'une société sans classe pour les dépasser est toujours plus grande.
Même s'il peine encore à reprendre son combat révolutionnaire, le prolétariat mondial est toujours placé dans des conditions qui font de lui, seule classe exploitée, une classe révolutionnaire, dont l'objectif est la révolution communiste, renversement complet de toute la construction de la société actuelle. Cette révolution constitue plus que jamais un enjeu vital pour l'humanité toute entière. Rien n'est venu démentir ce qui constituait déjà le propos essentiel du « Manifeste du parti communiste » de 1848
La capacité politique du prolétariat dépendra évidemment des circonstances, du degré de préparation et de son énergie pour s’organiser en parti politique autonome, à l’échelle internationale, cohérent dans son programme révolutionnaire et opposé à tous les autres partis. Mais sa capacité historique, elle, est permanente, parce qu’elle est inscrite au cœur du rapport social qui caractérise le mode de production capitaliste. Le prolétariat, la classe productive, ne crée pas seulement de la plus-value, il crée aussi le capital, c’est-à-dire qu’il reproduit le rapport social tout entier. Mais ceci se présente, dans la société capitaliste, sous une forme renversée et mystifiée.
Dans le cœur du travail productif, au cœur du procès de production, le prolétariat produit, à travers son travail, une valeur (reproduction de la valeur avancée pour le capital constant et le salaire, plus la plus-value) qui non seulement lui échappe, mais se retourne contre lui. Son travail se transforme, face à lui, en son contraire, en capital. Le prolétaire est dominé par son propre travail qui lui fait face. Ce phénomène est qualifié par Marx d’aliénation, c'est-à-dire ici être rendu étranger à soi-même. L’exploitation (qui, rappelons-le, ne concerne strictement que le travail productif et donc le prolétariat) est en même temps une aliénation. Les autres classes sont elles aussi victimes de la mystification générale (la chosification des personnes et la personnification des choses, le caractère fétiche de la marchandise et du capital ou encore le fait que le capital ou la terre apparaissent comme des sources autonomes de valeur, des êtres doués de vie capables par eux-mêmes de produire de la valeur), qui voile la vraie nature des rapports sociaux, mais elles ne sont pas par elles-mêmes capables ni de la percer à jour à travers une analyse scientifique, ni de la briser en renversant le rapport capitaliste.
Nous avons parlé (chapitre 1) des origines du mode de production capitaliste et ensuite (chapitre 2) de l'analyse que fait Marx de la marchandise. L’apparition de la marchandise suppose une société où les liens communautaires qui posaient a priori le cadre de l’activité humaine comme une activité sociale sont dissous, au moins partiellement. Du même coup, l’évidence des rapports sociaux disparaît. Chaque producteur produit de manière privée, et n’entre en contact avec autrui que par l’échange. Or, il s’agit ici de l’échange de produits, réalisés par leur travail, et qui se présentent du même coup comme marchandises et non pas simplement comme des objets utiles. Non seulement ainsi les rapports humains apparaissent médiatisés par l’échange de marchandise, mais c’est même cet échange qui est la condition pour qu’existe un rapport social entre individus dont les activités sont séparées et exécutées de façon privée. Le fait que la socialisation des travaux s’effectue dans l’échange, donc par une médiation qui n’est pas contrôlée par les individus, crée d’emblée un voile sur la réalité, que Marx compare à un phénomène religieux.
Dès lors que la production marchande est généralisée et que la force de travail devient elle-même une marchandise, la mystification qui l'accompagne s'amplifie. Cette mystification est d'autant plus importante que le mode de production capitaliste est plus développé. Avec le développement de la plus-value relative et du procès de travail spécifiquement capitaliste elle conduit à la production d'une vision totalement renversée des rapports sociaux.
La classe capitaliste possède la totalité des moyens de production et d’échange, sous toutes leurs formes, et, en cela, le capital apparaît comme l’élément moteur de la société, sa face productive. Marx parle de renversement, car le capital apparaît productif alors qu’en fait il ne produit rien par lui-même, il se contente de mettre en contact et en mouvement tous les éléments nécessaires à la production, les mêmes (dans leur fondement, car ils évoluent historiquement) que ceux qui servaient à produire dans les formes de production pré-capitalistes : pour toute production, il faut une matière à travailler, des moyens de travail, par exemple des outils, et un agent de la production, le travailleur.
Le rapport social capitaliste masque donc, et même renverse le rapport réel sous-jacent. Ainsi c’est le capital qui apparaît « productif », créateur de richesse, alors que c’est le travail humain qui l’est en réalité[9]9 En impulsant le mouvement d’ensemble, en poursuivant la recherche du maximum de plus-value, en développant la force productive du travail, le capital masque le fait que ce qui à la source de cette plus-value et permet le développement de la civilisation capitaliste c’est le travail productif réalisé par le prolétariat. Celui-ci produit non seulement la base matérielle de la société qu’il contribue, par là même, à reproduire et à élargir mais il reproduit et perpétue également le capital et le rapport d’exploitation qui lui est inhérent. Il se développe ainsi une spirale infernale où le prolétariat crée un être étranger qui lui échappe et le domine. Le capital lui fait face concrètement sous la forme des installations et des machines, par exemple, mais aussi sous une forme encore plus générale, plus anonyme, qui le domine et l'exploite. Les progrès de la science et de la technique se retournent contre le travailleur.
Avec la circulation et la concurrence, la mystification se parachève. Le capital portant intérêt, le capital fictif, la terre apparaissent comme des sources de revenus sans rapport immédiat avec le travail. L'égalisation des taux de profit qui intervient entre des masses égales de capitaux qui emploient des masses inégales de force de travail obscurcit également un processus qui d'emblée dépasse le cadre du capital individuel. Dans ce processus d'égalisation la participation de capitaux qui se meuvent dans la sphère de la circulation comme le capital commercial ajoute sa contribution au voile opacifiant les rapports sociaux tandis que le hasard des réussites et des échecs des capitalistes individuels soumis à la concurrence contribue également au mystère de la production de capitaliste. Les forces contre -révolutionnaires s'appuient souvent avec succès sur cette mystification et avec d'autant plus de bonne foi qu'ils en sont victimes. Par exemple, on désignera ainsi à la colère des masses, les banques, la « finance », le capital financier tout en parant de toutes les vertus le capital industriel. On oublie ainsi que c'est ce dernier qui est au cœur du rapport d'exploitation, que c'est lui qui se soumet le prolétariat et lui fait produire le maximum de plus-value laquelle prend diverses formes (profit, intérêt, rente, impôts, …) qui font l'objet d'autant de disputes entre les diverses fractions de la bourgeoisie et ses affidés.
Au cours de ce procès, toute l’essence du travail humain est renversée. C’est en cela que le rapport social capitaliste est le plus violent de l’histoire, car il nie l’être même de l’homme qui est soumis au capital, c’est-à-dire à la valeur en procès. Tout violents qu’ils soient, les rapports du maître et de l’esclave, du seigneur et du serf, restent des rapports entre personnes, et ils sont donc clairement identifiés comme des rapports de pouvoir et d’exploitation. Spartacus sait pour quoi, contre quoi et contre qui il peut et doit se révolter.
Dans le mode de production capitaliste, le rapport social, le rapport entre les classes prend la forme d'une chose, le capital, la valeur en procès, qui domine le prolétaire. D’où cette impression d’impuissance que peut ressentir le prolétariat ; le capital domine tout, il apparaît comme le deus ex machina, comme une force naturalisée, aussi inamovible que le ciel et les montagnes, invincible. Pourtant, il n’est qu’une figure inversée de la réalité, et se soulever contre lui, c’est remettre le monde sur ses pieds. Tel est le rôle de la théorie révolutionnaire et - car l'arme de la critique ne saurait remplacer la critique par les armes - celui de la révolution. La révolution du prolétariat moderne se distingue de toutes celles qui ont précédé, car il ne s’agit plus uniquement de porter au pouvoir une nouvelle classe capable de développer un nouveau mode de production, mais de réunifier l’espèce avec elle-même et d’abolir définitivement toutes les conditions de l’exploitation d’une classe par une autre.
Or, ceci n’est possible que parce que le mode de production capitaliste développe, par sa tendance à l'accroissement de la force productive du travail, les conditions matérielles, objectives de la mise en place de cette nouvelle société qui n’a plus besoin des cadres de la propriété privée ni d’une classe dominante pour se développer. Bien plus, ce développement ne peut passer que par l'abolition de cette propriété privée qui est devenue une entrave insupportable. Les classes sociales doivent être supprimées non pour des raisons morales mais parce qu'elles sont un obstacle au développement social.
L'effrayante impression que l'on ne peut plus se sortir de la domination du capital est liée au fait que le processus d'exploitation fonctionne comme une spirale, où toute l'énergie de la classe exploitée va se concentrer en face d'elle pour renforcer et développer les conditions de son exploitation. Pourtant, en même temps que l'on décrit ce processus, on énonce les conditions de sa destruction, puisque le prolétariat, qui le fait vivre, est en même temps la classe qui peut le faire cesser. Il lui suffit de reprendre son autonomie en brisant le lien qui le relie au capital pour engager la transformation révolutionnaire de la société, vers la société sans classes.
Dans le livre I du « Capital », Marx décrit ainsi le communisme :
« Représentons-nous enfin une réunion d’hommes libres travaillant avec des moyens de production communs, et dépensant, d’après un plan concerté, leurs nombreuses forces individuelles comme une seule et même force de travail social. Le produit total des travailleurs unis est un produit social. Une partie sert de nouveau comme moyen de production et reste sociale ; mais l’autre partie est consommée et, par conséquent, doit se répartir entre tous. Le mode de répartition variera suivant l’organisme producteur de la société et le degré de développement historique des travailleurs. Supposons, pour mettre cet état de choses en parallèle avec la production marchande, que la part accordée à chaque travailleur soit en raison son temps de travail. Le temps de travail jouerait ainsi un double rôle. D’un côté, sa distribution dans la société règle le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins ; de l’autre, il mesure la part individuelle de chaque producteur dans le travail commun, et en même temps la portion qui lui revient dans la partie du produit commun réservée à la consommation. Les rapports sociaux des hommes dans leurs travaux et avec les objets utiles qui en proviennent restent ici simples et transparents dans la production aussi bien que dans la distribution. »
La perspective d'une société sans classes, sans Etat, sans salariat n'est pas une idée généreuse qu'il s'agirait de traduire dans la réalité. Le communisme n’est possible que parce que ses fondements matériels, à commencer par la socialisation des moyens de production, ont été déjà produits dans le cadre du développement du mode de production capitaliste. Nous avons vu que dans son mouvement le capital tendait à se concentrer et se centraliser, créant de vastes ensembles industriels planifiés dans le cadre de sociétés transnationales à l'échelle mondiale. (voir par exemple la production automobile ou aéronautique). Ce développement aboutit, sur le marché mondial, à un tissu économique totalement enchevêtré où il est quasiment impossible de distinguer et d’abstraire des îlots qui pourraient être protégés des crises ou échapper aux lois de la production capitaliste.
Mais cette tendance à expulser les petits producteurs, à regrouper les forces productives, à rationaliser les techniques à l’échelle internationale se heurte à des obstacles inhérents au mode de production capitaliste. C’est ce que Marx appelle la contradiction entre le développement des forces productives et les rapports de production. Ces derniers deviennent, à un moment donné du développement historique, trop étroits. La production elle-même exige une coordination sur une large échelle, au-delà même des frontières, qui se heurtent aux rapports de propriété bourgeois et nationaux. Compte tenu du cours catastrophique suivi par le capital, il conviendrait que les grandes politiques en matière d’énergie, de ressources naturelles, d’agriculture, d'organisation de l'espace, de production manufacturée soient décidées et menées consciemment à l’échelle mondiale, selon les intérêts des producteurs associés et non pas selon les exigences de production de plus-value qui caractérise la production capitaliste. Le capital connaît ainsi une contradiction intenable, car son propre intérêt le pousse à unifier toujours plus l’appareil productif et l’organisation de la circulation des marchandises et de l’argent, à développer la force productive du travail comme si elle n'avait pas de limite mais il ne peut pas pousser ce mouvement à son terme sans se nier lui-même. Cette contradiction, comme nous l’avons vu, se manifeste régulièrement par des crises de surproduction potentiellement toujours plus graves. La propriété privée, le salariat, ainsi que la division sociale du travail sont devenus, de facteurs de développement historique aux débuts de l’histoire du capital, de véritables entraves au développement ultérieur de l’humanité. Telle une forme comprimée dans un cadre trop étroit, la base communiste qui gît au cœur de la société bourgeoise ne demande qu’à s’épanouir à condition qu’une force suffisamment puissante fasse voler en éclats ce cadre étroit. La propriété privée elle-même à travers des mouvements comme la nationalisation, régionalisation, municipalisation et autres formes de capital public, les coopératives et les sociétés anonymes qui permettent à la fois de centraliser le pouvoir et de disperser la propriété (holdings, investisseurs institutionnels, fonds de pension) prend un caractère social, abolissant la propriété privée dans le cadre de la propriété privée. D'un point de vue matérialiste, ceci constitue une des bases pour le développement du communisme, qui n'est pas un idéal inatteignable, mais une nécessité provoquée par le développement même de la société.
Un marché mondial est une condition de l'existence du capital. Marx y voyait une des conditions matérielles pour le développement du mouvement communiste à l’échelle internationale qu’il appelait de ses vœux. Après l’échec des révolutions de 1848 en Europe, Marx et Engels s’interrogeaient sur le fait que la révolution pourrait être étouffée « dans ce petit coin du monde » alors que le capital connaissait encore des perspectives d’expansion considérables sur le reste du globe. De son côté, le stalinisme a forgé et s’est servi de la doctrine du « socialisme dans un seul pays » pour développer les rapports de production capitalistes en Russie et dominer en les étouffant toutes les expressions autonomes du communisme à l’échelle internationale. Le communisme est en totale contradiction avec l’idée d’un développement national ; il ne peut exister qu’à l’échelle internationale et mondiale. Aujourd’hui, le développement considérable du mode de production capitaliste sur l’ensemble de la planète, même compte tenu des niveaux inégaux de ce développement selon les régions, font que les possibilités matérielles pour le passage à une société sans classes sont plus que mûres.
Marx, dans ses différents travaux, a peu décrit ou défini explicitement le communisme et son contenu. Mais à chaque fois qu’il en est question, il est présenté comme le renversement radical de la situation présente, la récupération par l’espèce humaine, au sortir de la gangue capitaliste, de ses fonctions vitales. Le communisme est une société qui abolit le travail aliéné, le travail salarié, pour articuler sur une autre base le travail nécessaire et le travail libre. Via la socialisation des moyens de production et d’échange, c’est la communauté des producteurs associés qui prend les décisions et organise la société. Le libre développement de chacun passe par la réduction du travail nécessaire et sa répartition entre tous les membres de la société en âge et capables de travailler. En même temps qu'elle développe une formation polytechnique, la société lutte contre la division sociale du travail en généralisant le travail manuel, la polyvalence des activités, et en s’attelant à l’abolition de l'antagonisme entre la ville et la campagne.
Dans le communisme, l'argent et la forme valeur des produits du travail disparaît On reconnaît à l'individu sa participation au travail social pendant un temps déterminé (temps qui sera considérablement réduit par rapport à aujourd'hui), en contrepartie de quoi il pourra consommer, une fois défalquée les éléments utiles à l'expansion de la société, à la consommation collective et aux membres de la société qui ne sont pas ou plus à même de travailler, de quoi satisfaire ses besoins (de manière limitée dans un premier temps, et sans limitation autre que celles de la satiété et du bon sens par la suite).
La révolution vise à abolir le salariat. Dans la communauté des travailleurs associés la relation de domination entre le possesseur des moyens de production et le prolétaire a disparu. Par la médiation de la communauté, le travail de l'individu devient immédiatement social.
Ce caractère immédiatement social de la production est maintes fois souligné par Marx. Dans le communisme, « ce n'est plus par la voie d'un détour, mais directement, que les travaux de l'individu deviennent partie intégrante du travail de la communauté. » (Critique du programme de Gotha)
Le détour dont parle Marx ici n’est autre que le rapport marchand qui lie la classe capitaliste au prolétariat, rapport qui ne peut exister que parce que la première possède le monopole des moyens de production et d’échange et la seconde uniquement sa force de travail. Bouleverser les termes de l’échange c’est permettre que la véritable essence humaine du travail se manifeste, et aussi que la productivité du travail acquise par le développement du machinisme serve véritablement les besoins humains et ne soit plus entièrement dirigée par et pour la valorisation maximum du capital.
Ce qui était déjà valable du temps de Marx l’est infiniment plus aujourd’hui. Toutes les conditions pour abolir la propriété privée des moyens de production et d’échange et jouir d’une organisation collective de la société sont archi-mûres.
Il nous faut revenir pour cela aux contradictions qui minent, par nature, ce mode de production, du fait même de son organisation économique et sociale. En poussant toujours plus la productivité du travail, en développant les forces productives, le capital crée les conditions d’une société nouvelle. Il finit par démontrer lui-même que les rapports de production propres au mode de production capitaliste sont devenus trop étroits pour pousser plus avant ce développement. Un nouveau mode de production, de nouveaux rapports de production qui correspondent à une société sans classes et qui font sortir l'humanité de sa préhistoire pour préparer consciemment son avenir doivent être instaurés. Le marxisme montre que ceci est un phénomène inéluctable et que l’histoire du mode de production capitaliste est celle « de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production ». Cette révolte se manifeste régulièrement par des crises, au cours desquelles le capital, quelle que soit sa forme (machines, argent, marchandises, forces de travail...) se trouve brutalement dévalorisé : marchandises détruites, machines à l’arrêt, faillites, baisse ruineuse des prix, forces de travail au chômage…
Autrement dit, l’augmentation croissante de la productivité du travail, permise par le machinisme et l'incorporation de la science à la production, qui est la plus sûre garantie que la société actuelle débouche, de manière nécessaire, sur une société d’abondance, est aussi le facteur qui menace le plus les fondements même de cette société.
Il arrive donc un moment où le capital et la classe capitaliste non seulement peuvent être renversés parce que la base matérielle pour un travail collectif, immédiatement social et débarrassé des contraintes mercantiles et de valorisation du capital est suffisamment développée mais encore doivent l'être pour assurer la continuité de l’histoire humaine.
Mais ceci ne saurait être ni graduel, ni mécanique. Si la société est grosse d'une société sans classe, l'enfant est tellement gros qu'il faut le tirer au forceps du ventre d'une mère marâtre, prête à un infanticide. Il ne peut pas y avoir de passage « spontané » à partir d’un moment où les forces productives auraient atteint un niveau tel que puisse surgir de manière « naturelle », le communisme. Une discontinuité, une révolution est nécessaire pour briser les mille fils du mercantilisme. La première condition de celle-ci est la conquête du pouvoir politique par le prolétariat organisé en parti politique distinct et opposé aux autres partis.
De la même manière que le capital produit les conditions de son propre dépassement, il produit la classe qui exécute la sentence : le prolétariat. Marx écrit : « Le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien ». Il n’est prolétariat qu’en tant qu’il est porteur de cette puissance révolutionnaire, qu'en tant que classe consciente organisée en parti politique, forte d'une conception scientifique du monde, le marxisme, capable de prévoir et d'éclairer une action tendue vers le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et de sa société.
Pour Marx et Engels, ce n’est qu’à travers sa constitution en parti politique que le prolétariat existe comme force sociale organisée et partant, consciente. Dans « La question du logement », Engels résume ainsi « les conceptions du socialisme scientifique allemand : nécessité de l'action politique du prolétariat et de sa dictature comme transition à l'abolition des classes et, avec elles, de l'État ». Il précise « qu'elles ont déjà été exprimées dans le Manifeste du Parti communiste et d'innombrables fois depuis ». Dans ces autres passages la condition de la « constitution du prolétariat en parti politique » est clairement posée.
En prenant les mesures adéquates pour démanteler l'Etat bourgeois, abolir la propriété privée, l'échange des marchandises, le prolétariat révolutionnaire brise le cercle infernal qui transforme le travail du prolétaire en son contraire en même temps qu’il réoriente les forces productives de la société (ce qui ne signifie pas que le communisme puisse réaliser immédiatement son programme intégral, mais qu’il existe un saut qualitatif qui fait passer, potentiellement, la société d’une sphère dans une autre ; cette phase de transition politique est ce que Marx et Engels ont appelé la dictature du prolétariat).
Un parti révolutionnaire devra définir les mesures qui, actuellement, sur la base du développement des forces productives modernes, incomparablement plus développées que celles de 1848, seront nécessaires pour briser la machine d'Etat et conduire la société vers une société sans classes.
Ces mesures qui peuvent varier d’un pays à l’autre et dont la mise en place dépend pour une part de l’état du rapport des forces et de la situation révolutionnaire internationale pourront ressembler à celles-ci.
· Diminution drastique et immédiate de la durée du travail et intégration d’un temps de formation polytechnique (y compris pour apprendre à gérer le semi-Etat prolétaire dont l'organisation vise au maximum de simplicité) à ce temps de travail.
· Généralisation du travail et du travail manuel à tous les membres de la société en âge et capables de travailler.
· Mesures visant à socialiser le travail domestique (cuisine, ménage, blanchisserie, garde d’enfant, …)
· Rotation des tâches et partage des tâches collectives sous la forme d’un service civil.
· Développement de secteurs publics reposant sur une gratuité des services (santé, éducation, ...)
· Réquisition de logements afin d'améliorer immédiatement la situation des mal logés.
· Armement du prolétariat, création de milices assurant les tâches de police.
· Passage entre les mains de l’Etat des banques, assurances et création d'une entité unique. - Mise en place d'une planification et comptabilité sociales afin de répartir la force de travail entre les grandes branches d'industrie.
· Passage entre les mains de l’Etat prolétarien des grandes entreprises.
· Mesure visant à favoriser le regroupement des petites entreprises dans des entités plus vastes et mutualisation des moyens pour permettre l’augmentation de la productivité sociale, une des conditions de la diminution du temps de travail.
· Interdiction du travail de nuit et du travail posté là où il n’est pas strictement nécessaire (santé, sécurité…)
· Arrêt du développement des constructions dans les grandes villes et leur agglomération. Mesures visant à réconcilier la ville et la campagne. Développement d'une force de travail dans l'agriculture, les forêts, la mer.
· Suppression des impôts indirects, Impôt progressif sur le revenu, Abolition de l’héritage ; Mise en place d'une contremarque sociale basée sur le temps de travail (l'équivalent des bons de travail promus par le marxisme au XIXè siècle) pour gérer la consommation individuelle. Cette contremarque n'est pas de l'argent, car elle ne peut pas s'accumuler et salarier la force de travail.
· Responsabilité et révocabilité à tout moment des représentants élus
· Revenu des représentants égal au salaire moyen.
· Suppression du parlement, démantèlement des administrations d’état et des administrations locales pour restituer la gestion de la vie sociale à la communauté des producteurs associés. Mise en place de conseils sur une base territoriale (soviets) en charge de l'administration de la société et réunissant les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
· Unification de tous les pays ayant accompli la révolution et abolition des frontières
· Mise en place dès le plus jeune âge d’une éducation combinant les apprentissages fondamentaux, le travail manuel, le sport et la créativité et la participation à la vie collective
· Séparation draconienne de l'église et de l'état. Renvoi de l'activité religieuse à la sphère strictement privée
Le mode de production capitaliste a joué un rôle crucial dans le développement de l’humanité. En développant la productivité du travail, le machinisme, en créant le marché mondial, en unifiant toujours plus les conditions de la production et de l’échange et surtout en créant une classe internationale, le prolétariat, capable de prendre en mains l’appareil productif et d'amener la société vers une société où ne subsistent ni exploiteurs ni classes sociales. Le mode de production capitaliste a ainsi créé les conditions pour le passage à une société supérieure.
La continuité du mode de production capitaliste, sa survie, sa mainmise sur tous les moyens de production et de vie, la continuation de sa course folle sont gros de désastres pour l’humanité. En poursuivant le développement de la productivité du travail, le capital poursuit sa course au maximum de plus-value, se soumet une masse croissante de prolétaires en même temps que le développement de ses ressorts productif les rejette sur le pavé. En ruinant les autres formes de production, il crée également une situation où ni les centaines de millions de paysans africains, chinois, brésiliens, mexicains, etc., ni les millions de chômeurs et exclus de l’Europe et des Etats-Unis ne pourront même pas trouver une place dans une société qui repose sur l’exploitation du prolétariat.
Alors même que toutes les conditions existent pour créer un cadre de vie harmonieux pour l’humanité, famines, crises, guerres et autres catastrophes sont au menu du siècle qui commence. Seul le prolétariat peut se dresser pour bouleverser l’ordre actuel et instaurer la société sans classes : le communisme
[1] C'est-à-dire une manufacture qui réunit un ou des métiers sans encore les modifier sous l'influence de la division du travail. Cette manufacture est à l'origine de la manufacture propre à la période manufacturière
[2] Pour la définition de ce terme, voir plus loin 3.7
[3] Dans la Rome ancienne, le prolétaire (proles) est celui qui n’est riche que de sa lignée.
[4] Pour approfondir ce sujet, voir Robin Goodfellow, « Aux fondements des crises. Le marxisme de la chaire et les crises »
[5] Désormais, plus de la moitié de la population mondiale est urbaine (5% en 1920) et la plus grande partie de celle-ci s’entasse dans des grandes villes.
[6] Marcel Mazoyer, Protéger la paysannerie pauvre dans un contexte de mondialisation, FAO.
[7] La loi de la valeur dans son application internationale est profondément modifiée dans la mesure où, sur le marché du monde, le travail plus productif acquiert une valeur sociale plus importante tant que la concurrence ne l'oblige pas à baisser cette valeur. De ce fait, une heure de travail dans un pays plus développé peut s'échanger par exemple contre trois heures de travail dans le pays le moins développé. Si ces deux pays entretiennent des échanges le premier exploite le second. Par exemple, la France et le Brésil ont désormais un PIB comparable mais pour l'obtenir le Brésil doit employer une population active qui est le triple, et donc dépenser globalement trois fois plus de travail, de celle de la France (et nous faisons ici abstraction des différences dans le temps de travail annuel comme dans l'importance relative des classes improductives). C’est aussi sur cette loi que s’appuient les grandes entreprises multinationales pour répartir la production à l’échelle mondiale au mieux de leurs intérêts tout en contournant les politiques fiscales et sociales des Etats et par la même occasion en faisant pression sur elles.
[8] Par exemple, l’automobile n’a cessé d’évoluer en matière d’équipements et d’options. Son prix relatif n’a donc pas autant baissé, voire s’est maintenu, en dépit des progrès de la productivité et des substitutions de matériaux (phénomène qui peut jouer dans les deux sens).
[9] On peut voir une illustration vulgaire de ce fait dans les discours du patronat lorsqu’il est question de la « prise de risques » de la « responsabilité » de l’entrepreneur, etc. Les patrons ont l'habitude de dire qu'ils « donnent du travail », alors que c'est l'inverse, c'est le prolétaire qui donne gratuitement une partie du temps d'utilisation de sa force de travail. Lorsque le prolétaire intériorise cet argument, cela donne : « mais qui me donnera du travail s’il n’y a plus de patrons ? ». Engels écrit clairement : « Dès le début, nous avons vu que cette prétendue « productivité du capital » n'est rien d'autre que cette qualité qui lui est inhérente (dans les conditions sociales actuelles, sans lesquelles d'ailleurs il ne serait pas ce qu'il est) de pouvoir s'approprier le travail non payé de travailleurs salariés. » (La question du logement)