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Réponse aux critiques
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Date |
Novembre 2017 ; Brumaire 226 |
Auteur |
Robin Goodfellow |
Version |
V 1.1 |
2. La critique du Foro-Inter-Rev
3. Quelques mots sur « l’indifférentisme ».
Comme il était prévisible, notre dernier texte sur la Catalogne a suscité quelques réactions. Alors que nos travaux menés depuis plus de 40 ans n’ont engendré que du silence et de très rares remarques, ce texte politique nous vaut la réaction du prolétariat universel[1] et du Foro político-social internacionalista[2] relayée par le blog Pantopolis.
Compte-tenu de l’ampleur du sujet, nous ne poserons ici que quelques rappels théoriques et de principe, sans rentrer dans le détail de la question nationale en général et de l’Europe en particulier, sujets que nous aborderons par la suite, dans un autre texte.
Le texte du Foro signé Anibal et Materia commence par affirmer que la situation historique et sociale où prédominait la révolution démocratique bourgeoise appartient à une histoire passée. De ce fait les mots d’ordre intermédiaires perdent tout intérêt. Donc, en reprenant les mots d’ordre dépassés du mouvement communiste des trois internationales, nous nous situerions sur le terrain du gauchisme petit-bourgeois.
Ces arguments relèvent de la pensée indifférentiste, caractéristique de l’anarchisme, c’est-à-dire du socialisme bourgeois ou du socialisme utopique. Cette pensée confuse sous une apparence radicale et binaire oublie au moins deux choses :
La première est que c’est depuis la deuxième moitié du XIXè siècle que sont posées les bases matérielles du communisme, et que donc dès cette époque c’est la révolution prolétarienne qui est la « question prédominante » pour reprendre leur vocabulaire confus. Par conséquent, elle l’était déjà à une époque que ces camarades jugent révolue, époque pendant laquelle les chefs du mouvement prolétarien défendaient becs et ongles la nécessité de la république démocratique comme ultime champ de bataille entre le prolétariat et la bourgeoisie. Cela fait donc bien longtemps que le mouvement communiste réel défend une vision dialectique de la relation entre république démocratique et communisme.
La deuxième est que, en même temps, le marxisme a toujours affirmé que ce n’est que dans le cadre de la république démocratique que pouvait se dérouler le combat final entre le prolétariat et la bourgeoisie. La critique marxiste de la démocratie s’applique dialectiquement à une démocratie qui aurait été poussée jusqu’à son terme, jusqu’à son plus profond développement, même si une démocratie « parfaite » est historiquement inatteignable, la démocratie, comme les autres formes de gouvernement, étant une « hypocrisie » et une contradiction dans les faits comme le rappelait Engels. Le marxisme lutte donc à la fois pour la plus grande extension possible de la démocratie dans la perspective de mettre à nu l’antagonisme entre le capital et le travail ET pour son dépassement au profit d’une dictature du prolétariat, phase de transition politique vers la société sans classes. Telle est la dialectique du cours de la démocratie que les débris du mouvement communiste ont complètement oublié après leur rejet par leurs ancêtres[3].
La république démocratique est « la forme spécifique pour (für) la dictature du prolétariat » (Engels). Dans cette citation extraite de la critique du programme d’Erfurt (1891), une traduction ambiguë du « für » allemand par « de » au lieu de « pour » a permis à nombre de commentateurs de présenter Marx et Engels comme des laudateurs de la république démocratique parlementaire, alors que la dictature du prolétariat est la destruction de celle-ci. Traduction de faussaire d’autant plus impardonnable qu’Engels reprend, en français, dans une lettre à Lafargue la même expression : « La république, vis-à-vis du prolétariat, ne diffère de la monarchie qu’en ceci qu’elle est la forme politique toute faite pour la dictature du prolétariat. » (Engels, 1894, Lettre à Paul Lafargue)
« Ce qu’il [le prolétariat] conquit [en imposant la République], c’était le terrain en vue de la lutte pour sa propre émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation même » (Marx, 1850, Les luttes de classes en France, Pléiade, Politique, p.244)
« Même la démocratie vulgaire, qui voit dans la République démocratique le millenium et qui ne soupçonne guère que c’est précisément sous cette forme ultime de l’Etat de la société bourgeoise que devra se livrer la bataille entre les classes (…). » (Marx, 1875, Critique du programme de Gotha, Pléiade, T.1, p.1430).
« Une chose absolument certaine, c'est que notre Parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. » (Engels, Critique du programme d’Erfurt, 1891)
« Marx et moi, depuis quarante ans, nous avons répété jusqu’à satiété que pour nous la république démocratique est la seule forme politique dans laquelle la lutte entre la classe ouvrière et la classe capitaliste peut d’abord s’universaliser et puis arriver à son terme par la victoire décisive du prolétariat » (Engels, 1892, réponse à Giovanni Bovio, in Révolution et démocratie chez Marx et Engels de Jacques Texier, p.388)
« (…) la république bourgeoise, a dit Marx, est la forme politique dans laquelle seule la lutte entre prolétariat et bourgeoisie peut se décider. » (Engels, 1894, Lettre à Turati, in Révolution et démocratie chez Marx et Engels de Jacques Texier, p.391)
Cette série de citations qui va de 1850 à 1894 est sans appel. Par conséquent, la position de Marx et Engels est limpide et restée constante tout au long de leur vie. La social-démocratie reprendra cette analyse, mais en l’affadissant au point qu’Engels sera obligé d’intervenir contre les socialistes français qui, en héritiers de la révolution française, voyaient dans la république bourgeoise de la troisième république un avantage à mettre en avant par rapport aux socialistes allemands.
Par la suite, Lénine qui en appelle à une troisième internationale se situe strictement dans la lignée de cette analyse. Par exemple, il ne voyait pas d’objection sur le plan politique aux Etats-Unis républicains (donc bourgeois) d’Europe et il prend soin de noter que ce mot d’ordre ne peut être rejeté pour des motifs indifférentistes.
« Il serait totalement erroné de s'élever contre cette façon de poser la question dans les limites d'une appréciation politique de ce mot d'ordre, par exemple en lui reprochant d'estomper ou d'affaiblir, etc., le mot d'ordre de révolution socialiste. Les transformations politiques dans un sens véritablement démocratique, et à plus forte raison les révolutions politiques, ne peuvent jamais, en aucun cas, quelles que soient les conditions, ni estomper, ni affaiblir le mot d'ordre de révolution socialiste. Au contraire elles ne font jamais que rapprocher cette dernière en élargissant sa base, en entraînant dans la lutte pour le socialisme de nouvelles couches de la petite bourgeoisie et des masses semi-prolétariennes. Par ailleurs, les révolutions politiques sont inévitables au cours de la révolution socialiste, qui ne doit pas être considérée comme un acte unique, mais comme une époque orageuse de bouleversements politiques et économiques, de lutte de classes très aiguë, de guerre civile, de révolutions et de contre-révolutions.
Mais si le mot d'ordre des États-Unis républicains d'Europe, formulé en liaison avec le renversement révolutionnaire des trois monarchies les plus réactionnaires d'Europe, la monarchie russe en tête, est absolument inattaquable en tant que mot d'ordre politique, on se heurte encore à une question éminemment importante, celle du contenu et de la portée économiques de ce mot d'ordre. » (Lénine, A propos du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe, 1916)
Dans la première partie de cette citation, Lénine est parfaitement clair et conforme à la position de Marx et Engels, quant à l’élargissement de la base d’action du prolétariat dans le cadre d’une république démocratique de plus en plus « pure » (avec les limites inatteignables que nous avons évoquées). Si ces conquêtes démocratiques sont le fruit de luttes prolétariennes, ou même d’aménagements consentis par les partis bourgeois, elles préparent un terrain favorable à d’autres actions et à la libre organisation du prolétariat.
Notons que Lénine écrit cela pendant la première guerre mondiale alors qu’il considère que le mode de production capitaliste est entré dans sa phase la plus avancée : le capitalisme de monopole, l’impérialisme. Or, pour lui :
«(…) l'impérialisme n'est autre chose que le capitalisme monopoliste.
Que le capitalisme, en Russie également, soit devenu monopoliste, voilà ce qu'attestent assez le « Prodougol », le « Prodamet », le syndicat du sucre, etc. Ce même syndicat du sucre nous fournit un exemple saisissant de la transformation du capitalisme monopoliste en capitalisme monopoliste d'État.
(…) le socialisme n'est autre chose que l'étape immédiatement consécutive au monopole capitaliste d'État.
Le capitalisme monopoliste d'État est la préparation matérielle la plus complète du socialisme, l'antichambre du socialisme, l'étape de l'histoire qu'aucune autre étape intermédiaire ne sépare du socialisme. » (Extraits de Lénine, La catastrophe économique et les moyens de la conjurer, Œuvres, T.25, p.388-389)
En d’autres termes, Lénine pensait qu’il n’y avait aucune autre étape intermédiaire entre cette forme de capitalisme qu’il jugeait pleinement développé et le socialisme et pourtant il reprenait les analyses de Marx et Engels que nos critiques cherchent à reléguer à un lointain passé en référence à des formes surannées du mode de production capitaliste. Donc, dans une époque considérée comme l’époque de la révolution prolétarienne, la démarche de l’élargissement de la république démocratique est considérée comme actuelle et clairement revendiquée par le parti du prolétariat mondial.
Par conséquent, pour promouvoir la pensée indifférentiste, il faudrait montrer en quoi le mode de production capitaliste s’est modifié. Qu’est ce qui est caduc dans l’analyse du capital de Marx et quelles évolutions font que le programme politique du prolétariat doit être modifié ?
Pendant près de vingt ans, Communisme ou Civilisation a cherché à montrer que les fondements matériels de l’analyse des courants indifférentistes n’avaient aucune validité du point de vue du marxisme[4].
Nous avons critiqué consciencieusement les théories de l’accumulation du capital de Rosa Luxemburg ou encore celles de Grossmann et de Mattick[5] qui reposaient sur la falsification de l’analyse de Marx consacrée à la baisse tendancielle du taux de profit. Nous avons montré point par point qu’elles n’avaient rien à voir avec le marxisme et qu’elles le ramenaient dans le giron de l’économie politique. Comme ces théories étaient à la base des théories de la décadence et de l’indifférentisme qui les accompagnait, nous avons toujours considéré qu’une fois éradiquée la base des analyses, celles-ci n’avaient plus aucune valeur et n’étaient que des variantes du fonds traditionnel de la pensée anarchisante ou utopique, elles-mêmes relevant du socialisme bourgeois ou du socialisme utopique, bref un socialisme des sectes.
Nous-mêmes, en étudiant la question de la soumission formelle et réelle du travail au capital avons dû reconnaitre l’inanité d’une démarche entreprise par la revue Invariance qui identifiait une coupure dans le mode de production capitaliste en 1914.
Sur un autre plan, les faits se sont chargés de démentir les prévisions de la gauche d’Italie[6] : ni la guerre, ni la révolution ne sont advenues en 1975 et la guerre froide a pris fin avec la débâcle de l’empire soviétique, conduisant à l’instauration de républiques démocratiques dans de nombreux pays et la création de nouvelles nations ; autant de faits qui étaient loin d’être escomptés et qui n’ont finalement pas été analysés à la lumière du marxisme, compte tenu de la dégénérescence des groupes issus de la gauche.
Ajoutons que du haut de leur indifférentisme, des sectes qui dépassent rarement dix personnes sur une base généralement nationale voire locale, font la leçon au mouvement communiste réel qui a regroupé dans trois internationales des millions d’individus à l’échelle internationale et que toutes les révolutions un tant soit peu prolétariennes se sont déroulées dans le cadre d’une république démocratique.
Il conviendrait donc qu’Anibal et Materia, ainsi que tous les autres groupes défendant ce type de position, fassent un travail de démonstration scientifique de ce qu’ils avancent à savoir que le capitalisme d’aujourd’hui représenterait une nouvelle phase où l’intérêt du prolétariat à plus de démocratie n’aurait plus cours au lieu de se lancer dans des affirmations péremptoires en totale opposition au marxisme.
Dans le cas particulier des Etats-Unis d’Europe, la seule critique conséquente serait de s’appuyer sur le fait que Marx, Engels ou encore Lénine ont critiqué cette formule[7] et de nous retourner cet argument alors que nous prétendons défendre bec et ongles le marxisme de Marx. Pour répondre à cet argument il nous faut plus que quelques lignes et nous y reviendrons dans un texte spécifiquement dédié à cette question (y compris les autres aspects traités dans le texte d’Anibal et Materia), en attendant donc que les camarades fournissent le début d’un commencement de preuve de leur analyse.
Un camarade du PCint nous interpelle sur le supposé « indifférentisme » de Communisme ou Civilisation, en ces termes :
Vous venez de "Communisme ou Civilisation" qui a TOUJOURS revendiqué son indifférentisme vis à vis des guerres nationales anti-coloniales que vous avez considérées comme déjà des guerres impérialistes. Pour "Il programma comunista", ces guerres nationales sont closes depuis quelques décennies. Donc, la question nationale est close. Pour vous, "ex-indifférentistes", la question nationale n'est pas close et nous surgit en plein visage. Evidemment, cette question ne sera JAMAIS close pour la bourgeoisie capitaliste. Mais, elle est close définitivement pour le mouvement communiste comme pour le prolétariat mondial. Alors, vous, "ex-indifférentistes", (et cela peut prêter à rire), de quel côté vous placez-vous AUJOURD'HUI vis à vis de la question nationale ? Du côté prolétarien et internationaliste ou de la bourgeoisie qui n'a qu'une vision nationale ? Choisissez votre camp !
Fraternellement, salutations communistes.
Voici la réponse succincte que nous lui avons adressée par mail, suivie d’un développement plus complet sur la notion d’indifférentisme.
Cher camarade,
Quelques mots en réponse à ta demande, sachant que par ailleurs nous travaillons à un texte de clarification sur la question nationale (cf. également notre récent texte sur la Catalogne) et de réponse globale à quelques autres critiques.
1°) Il n’est pas vrai de dire que Communisme ou Civilisation « a toujours été » indifférentiste. Le n°1 faisait référence aux thèses du n°6 d'Invariance première série que nous reprenions, sachant que CouC se situait dans le prolongement de la scission de 1966.
Par ailleurs, voici ce que nous écrivions dans notre texte intitulé « Marx Engels et la guerre » (RIMC n°12-13, 1993-94) :
« Cette ampleur même du conflit avait d'ailleurs été clairement diagnostiquée par Engels. Cette prévision a été rendue possible par le fait que, loin de tout indifférentisme, le parti communiste, sous sa forme historique, suivait et analysait très précisément les conflits contemporains en essayant à chaque fois de tirer les fils de l'écheveau des alliances et de définir une ligne propre au prolétariat révolutionnaire. Le moins que l'on puisse dire est que cette capacité d'analyse a été perdue par le mouvement révolutionnaire. Ainsi, comme toujours, la meilleure chose est de revenir à Marx et Engels, de s'imprégner des leçons passées de l'histoire du mouvement prolétarien pour en réapprendre les réflexes. »
Nous avions aussi pris position en faveur du mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud.
2°) Que "Il programma comunista" ait jugé "depuis quelques décennies" (?!?) que la question nationale était close à l'échelle internationale n'a aucune signification particulière dès lors que l'argumentation repose sur tout sauf sur une analyse marxiste conséquente. Et il nous semble que les faits historiques - qui ont infirmé toutes les prévisions de la gauche - et notamment l'effondrement du bloc de l'Est laissant la place à des républiques démocratiques, démentent complètement cette analyse.
3°) Aujourd'hui plus que jamais nous essayons de tirer les leçons de nos erreurs et de celles de la Gauche et de nous situer dans la stricte perspective de la défense et de la continuité du programme communiste, sur cette question comme sur les autres.
Fraternellement,
RG
Le terme indifférentisme a été employé par Marx dans un article publié en italien en 1873, puis par Riazanov en 1913 dans la Neue Zeit, et en français chez Spartacus (1970) dans le recueil « Textes sur l’organisation ». Ce texte s’intitule « De l’indifférentisme en matière politique » et était dirigé contre le mouvement anarchiste et notamment Proudhon. Il définit l’indifférentisme comme le désintérêt pour toute forme de lutte politique au nom des grands principes finaux du mouvement. Ce désintérêt se traduit par toute une série de sophismes du type : foin de la lutte contre les augmentations de salaires, car nous sommes pour l’abolition du salariat ; foin de la lutte pour le raccourcissement de la journée de travail car elle implique une négociation et des compromis avec la bourgeoisie ; foin de la dictature du prolétariat car il faut supprimer l’Etat, etc.
Le texte ne mentionne pas directement la question nationale, mais s’agissant de la constitution d’un nouvel Etat, l’argument serait identique : le prolétariat n’a pas à s’en mêler.
Distinguons alors ici deux choses : la position de principe, et son actualisation ultérieure. Sur le principe, rappelons que pour les communistes ladite « question nationale » est jugée à l’aune de deux critères :
Ce que la création d’une nouvelle nation produit sur l’équilibre général entre nations capitalistes, et singulièrement sur les pays qui jouent un rôle clé dans le poids de la contre-révolution (cf. par exemple la question polonaise vis-à-vis du tsarisme, ou la question irlandaise vis-à-vis de l’Angleterre).
Ce que cette création implique sur les rapports internes de classe au sein de la communauté visée. De ce point de vue – et c’est un aspect qui est trop rarement souligné dans les débats sans fin sur les « luttes de libération nationale » - la question du régime politique est primordiale. Une lutte pour l’émancipation nationale contre une puissance coloniale ou impérialiste rentre dans la catégorie des révolutions bourgeoises. Dans ce cadre, le prolétariat – s’il est appelé à jouer un rôle[8] – se prononce clairement pour l’établissement d’une république démocratique, « ultime terrain de lutte » (Engels) entre la bourgeoisie et le prolétariat[9]. Ici, la thèse marxiste de la révolution permanente s’applique parfaitement, de même que l’analyse selon laquelle, passée une certaine époque, l’élan révolutionnaire de la bourgeoisie s’érode face à la crainte de la mise en branle des forces prolétariennes (laquelle est pourtant indispensable).
Sur la base de ces deux principaux critères, la légitimité des mouvements nationaux est à envisager au coup par coup, en fonction de l’histoire spécifique de chaque zone, de l’énergie des peuples concernés, de leur vocation à devenir des nations « historiques » (Engels).
Il nous faut distinguer ici entre l’indifférentisme pur et dur (on n’en parle pas, ça ne concerne pas le prolétariat), et une attitude un tout petit peu plus cohérente consistant à analyser objectivement les situations historiques mais qui finit par brandir, quelles que soient les circonstances, le slogan du « ni-ni » pour renvoyer dos-à-dos les différentes forces en présence. Or, résumer des situations historiques différentes et variées en une approche toujours identique, c’est faire de la métaphysique. Le « point de vue du prolétariat » que défendent le PCint, le Cci et consorts est purement idéaliste et éthéré ; il ne tient absolument pas compte de la façon dont le prolétariat réel, dans chaque pays, dans chaque situation concrète, est confronté à des choix politiques dans lesquels doit prévaloir l’affirmation de son autonomie. Il ne tient pas compte non plus (ce qui est un comble pour des internationalistes) de ce que doit être une « politique étrangère » du prolétariat, considéré comme une entité mondiale représenté par son parti international (inexistant aujourd’hui).
Surtout, l’indifférentisme est un immédiatisme. Il rompt avec toute la perspective de Marx et Engels affirmée au long de leur vie durant, sur la nécessité de la révolution en permanence et d’élargir sans cesse le terrain de lutte (la république démocratique comme ultime terrain de lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat dixit Marx et Engels) jusqu’à ce que la solution à la crise économique, sociale, politique qui a conduit au discrédit des autres partis permette au prolétariat de conquérir le pouvoir politique et d’exercer sa dictature. Or, les courants issus des gauches de la Troisième Internationale, qui ont vu une sorte de fin de l’histoire avec la débâcle des années 1920 n’ont jamais réussi à montrer ni à démontrer comment, par quels ressorts, par quelles médiations, ré-émergera la révolution pure et immédiate, surgissant ex nihilo qu’ils appellent de leurs vœux.
Nous prétendons renouer intégralement avec les analyses de Marx et Engels et étudier, pour autant que nos forces nous le permettent, les cours nationaux et internationaux à l’aune des intérêts su prolétariat.
Evidemment la lutte pour la défense du marxisme ne peut éviter d’être confrontée à des éructations de petits-bourgeois hystériques. Par exemple, Pantopolis[10] nous reproche d’être une secte républicaine bourgeoise au motif que nous faisons mention dans nos textes de la date du mois selon le calendrier républicain.
Que le mouvement communiste soit réduit à l’état de sectes, au sens où Marx et Engels employaient ce terme, à savoir de petits groupes, sans influence sur le prolétariat, radotant dans des feuilles de chou (aujourd’hui souvent purement électroniques) sur une révolution « pure » grevée de théories propres à des variantes du socialisme bourgeois ou du socialisme utopique, est malheureusement une réalité. Et puisqu’une secte met toujours en avant ce qui la distingue des autres, disons que nous nous sommes toujours efforcés d’avoir une attitude la plus ouverte possible, par-delà les divergences, pour favoriser l’unité de ce mouvement communiste[11] et que d’autre part nous n’avons jamais renoncé à montrer que le socialisme en tant que science pouvait encore progresser.
Nous ne doutons pas une minute que Pantopolis dont les analyses ne font que passer un vernis « marxiste » sur celles de la presse bourgeoise quand il s’intéresse à l’actualité et sinon à faire l’inventaire, fort utile par ailleurs, des débris du mouvement communiste dans l’entre deux guerre, ait dépassé le statut de secte pour être à la tête d’un puissant mouvement prolétarien avec un parti de classe international (non ça c’est bourgeois[12]), ses syndicats (non ça c’est bourgeois), son mouvement coopératif (non ça c’est bourgeois), ses diverses associations (non ça c’est bourgeois), de nombreuses voix aux élections (non ça c’est bourgeois). Dès que ce sera vraiment manifeste, nous n’hésiterons pas à la rejoindre.
Quand nous utilisons le calendrier républicain, ce n’est pas parce que nous serions des partisans définitifs de ce calendrier, au demeurant repris par la Commune de Paris (sans doute aussi une horrible révolution bourgeoise), mais pour attirer l’attention sur le fait que la lutte contre la religion demeure une lutte fondamentale et que la révolution communiste devra également bouleverser cette mesure du temps. C’est que cette tâche est plus complexe qu’il n’y paraît. Le temps et l’espace ne sont pas symétriques et si la révolution française a apporté dans la plupart des pays du monde le système métrique avec son caractère décimal, elle y a échoué pour la mesure du temps. Quant à la révolution russe[13] qui semble être un monopole de Pantopolis, elle s’est contentée de passer du calendrier julien au calendrier grégorien, c’est-à-dire le calendrier de référence du marché mondial.
La bourgeoisie qui réfléchit un peu plus que ceux qui préfèrent le calendrier du page Grégoire XIII[14] a compris que ce calendrier avait bien des défauts pour permettre une gestion plus rationnelle du temps (semaines à cheval sur deux mois, deux trimestres, deux semestres, deux années, indépendance entre le jour et la date, …) et qu’au-delà de son avantage idéologique (mais qui ne fonctionne que pour une minorité de l’humanité), il présentait une gêne pour une organisation plus rationnelle de la production. Aussi l’ONU a-t-elle primé, à l’issue d’un concours, une variante du calendrier positiviste. Il semble qu’elle soit loin de le mettre en œuvre. Il n’entre pas dans notre propos de définir quel sera le calendrier de l’avenir, nous avons fort à faire avec d’autres tâches plus urgentes et qui ont trait directement avec le marxisme malmené par nombre de Pantopolis. Nous laissons cette tâche à la révolution de demain, mais une chose est sûre : il faudra qu’elle s’en préoccupe. Elle reste cependant une revendication d’aujourd’hui et si la bourgeoisie a l’audace de mettre en place un calendrier débarrassé de la religion, du paganisme et de facteurs d’irrationalité, nous ne pourrions que lui apporter notre soutien[15].
Pantopolis qui n’a pas lu notre texte ou, s’il la lu, n’y a rien compris (par exemple, il nous accuse, comme Anibal et Materia d’ailleurs, d’être favorables à l’indépendance de la Catalogne, alors que nous disons le contraire) prend donc appui sur ce point particulier (le calendrier) et sur notre rappel d’une position cardinale du marxisme, à savoir que le combat final entre les classes ne peut avoir pour terrain que la république démocratique pour ironiser sur notre apparentement à la révolution française. Le comique est que dans la révolution bourgeoise, il en critique non pas le fonds bourgeois mais la forme révolutionnaire, c’est-à-dire l’emploi de la violence et de la Terreur. S’il y a bien une leçon que Marx et Engels ont tiré de l’étude des révolutions et que, quelle que soit sa nature, la révolution russe a confirmé, c’est que le prolétariat ne devra pas reculer devant leur usage. Dans l’Adresse de 1850, Marx et Engels adjurent la petite bourgeoisie de mettre en œuvre ses phrases terroristes. En 1871, ils critiquent la Commune de Paris pour sa magnanimité. Lénine et Trotsky retiendront la leçon.
[1] https://proletariatuniversel.blogspot.fr/
[2] http://inter-rev.foroactivo.com/t7320-en-el-bosque-de-la-confusion-y-por-las-ramas-critica-a-un-texto-de-robin-goodfellow-sobre-la-independencia-de-cataluna
[3] Les idées du Foro ne sont pas non plus très neuves. Tirant une mauvaise leçon de la contre-révolution, le communisme de conseil, par exemple, considère dans les années 30, il y a près de 90 ans, que le capitalisme est entré dans une crise mortelle et qu’il est donc nécessaire de rejeter toutes les formes d’action du passé, le parlementarisme, le syndicalisme, le parti politique, … au profit de la grève de masse et des conseils ouvriers.
[4] Cf. Notre texte consacré aux 40 ans de Communisme ou Civilisation
[5] Cf. sur notre site, « La théorie marxiste des crises », texte qui rassemble en un seul tenant nos parutions sur ces sujets.
[6] Nous ne parlons même pas des démentis apportés aux théories conseillistes à base de crise mortelle et de décadence élaborées dans l’entre-deux guerres.
[7] C’est ce que tente de faire très maladroitement le Prolétariat universel sans plus avancer d’argument théorique sur la question.
[8] Dans la pratique, depuis la fin des années 20, il a disparu en tant que parti politique indépendant.
[9] La question de la forme parlementaire ou soviétique de cette république est un autre sujet que nous n’aborderons pas ici.
[10] http://pantopolis.over-blog.com/
[11] Ce mouvement quelle que soit sa faiblesse insigne est délimité. Cette délimitation repose sur ce qui définit le parti ouvrier : nécessité de l’organisation du prolétariat en parti politique distinct et opposé aux autres partis, conquête du pouvoir politique par le prolétariat, exercice d’une dictature révolutionnaire, phase de transition politique vers la société sans classes, sans Etat, sans salariat ni autres catégories marchandes. Les seuls groupes qui entrent dans cette définition sont les rescapés des gauches de la troisième internationale à l’exception de ceux qui seraient hostiles à toute forme d’organisation politique indépendante (quelques variantes du dit communisme de conseil)
[12] Rassurons-nous, Pantopolis n’est pas aussi jusqu’au-boutiste que notre caricature ; il accepte des compromis avec la bourgeoisie. Par exemple, il la laisse financer son blog avec la publicité. On peut aussi remarquer qu’il doit trouver quelque intérêt à la révolution française puisqu’elle a apporté le droit d’auteur.
[13] L’Italie fasciste ira légèrement au-delà en adaptant le calendrier grégorien tout en le faisant cohabiter avec ce dernier.
[14] Ce pape, notamment, confirma l’interdiction aux médecins juifs et infidèles de soigner les chrétiens.
[15] « Cela n'exclut pas, cependant, que ce parti [parti indépendant du prolétariat NDR] puisse momentanément utiliser à ses fins d'autres partis. Cela n'exclut pas qu'il puisse soutenir momentanément d'autres partis pour des mesures qui représentent ou bien un avantage immédiat pour le prolétariat, ou bien un progrès dans le sens du développement économique ou de la liberté politique. Pour ma part, je soutiendrais quiconque lutte véritablement en Allemagne pour l'élimination de la succession par ordre de primogéniture et d'autres survivances féodales, de la bureaucratie, des droits de douane, des lois de répression contre les socialistes, des restrictions au droit de réunion ou d'association. Si notre parti allemand du progrès ou votre Venstre danois étaient de véritables partis bourgeois radicaux et non de simples regroupements de misérables bavards qui, à la première menace de Bismarck (…) se mettent à ramper, je ne serais absolument pas inconditionnellement contre tout cheminement momentané avec eux pour certains buts précis. Si nos parlementaires votent pour un projet qui émane de l’autre côté – et c’est ce qu’ils sont obligés de faire assez souvent - , n’est-ce pas déjà un pas ensemble ? Mais je n’y suis favorable que lorsque l’avantage est direct pour nous, ou indubitable pour le développement historique du pays en direction de la révolution économique et politique, c’est-à-dire en vaut la peine et à la condition préalable que le caractère prolétarien de classe du parti n’en soit pas affecté. C’est ce qui est pour moi la limite absolue. Cette politique, vous la trouverez développée dès 1847 dans le Manifeste communiste. » (Engels – Brouillon de la lettre à Gerson Trier du 18 Décembre 1889).